Isidore Ducasse. Ces quelques syllabes suffisent à
me réconcilier pendant une heure avec moi-même. Il
m'importe peu de découvrir ici ou là d'autres
intercesseurs. Cette joie que tout à coup je recueille pour
mes sens endormis est une joie sans qualificatif, une joie enfin
que je désire et que j'attends. Lautréamont. O
désespoir de ma vie, ma chère frontière,
borne miraculeuse. J'apprends grâce à lui à me
décider à vivre comme le dernier des crabes. Tout ce
qui, autrefois, pinçait mon cœur et fouillait mon cerveau
se fane et achève de mourir sans même que j'y prenne
garde. Ce n'est pas de moi que je parle uniquement. Une rumeur,
semblable peut-être à celle de l'ivresse et à
celle du sang, tourne autour de la terre. Merci de l'accueillir et
de la réchauffer pour un éclat.
Je songe à toi, Isidore, à toi qui te
croyais vaniteux, et qui avais simplement conscience de ta
supériorité, tandis qu'assis devant ton piano, les
cheveux à la mélodie, de tout ton miroir aux
alouettes, tu exécutais une dernière fois le
concerto pour toi-même. Lorsque tu élevas tes mains
que la fièvre maligne faisait trembler, cette fièvre
qui quelques jours plus tard allait t'étrangler décidément,
dans le silence de la nuit, un infâme chiffonnier écoutait
encore, écoutait déjà les dernières
mesures. L'infâme, le chiffonnier à la figure de
frangipane, c'était moi Philippe Soupault, qui allait
naître quelque vingt-sept années plus tard.
Ô mon Dieu ! Quelle honte je transpire ! J'ai
écouté d'autres musiques, et les vénériennes
et les motifs pour tapis de table. Est-ce donc nécessaire
qu'à la fin je découvre entre mes doigts les petites
taches jaunes de la compromission qui annoncent les gros boutons
du désespoir?
Toi, Isidore, tu n'as rien oublié et je veux
tout à coup me confondre en excuses, en palinodies. Je veux
être ton humble pédicure, celui qui regarde briller
la dernière bouffée de ton cigare. Je m'approche de
la rue N. D. des Victoires, je traverse à la hâte la
rue Vivienne, en passant devant une pissotière je lache un
gros juron : « Nom de Dieu ». Attends moi quelques
minutes encore, un quart d'heure peut-être et je te rejoins.
Je te rejoins pour te soigner, pour détruire
le plus tôt possible cette gloire dont tu n'as que faire,
pour rompre ce qui t'attache encore à ce tam-tam, pour
gonfler à bloc le silence, la seule dignité que tu
mérites.
Je ne veux pas m'incliner devant toi comme devant le
premier roi venu, comme le dernier Dieu, mais simplement m'étendre
près de toi dans ce petit lit de bois et baiser notre mort.
Je sais que c'est elle qui flous présentera : «Monsieur
Philippe Soupault .. . . Monsieur Ducasse. » Je rougis de
plaisir. J'ai tellement attendu ce jour. 0 nuit, que je te désire
! Ma gorge sèche s'étonne de cette volubilité.
Tous nos meilleurs amis, tu te souviens, les crapauds, les
parapluies, les machines à coudre, ont voulu m'accompagner.
Et Paul Eluard nous attend de l'autre côté de la
terre, à la lisière de la vie, vêtu de son
merveilleux costume bleu ciel et or dans toute sa splendeur. Je
suis faible. Le sommeil ronge mon nez et égratigne mes
épaules. Ma chair est forte. Je suis ton ami, n'est-ce pas?
Oui? dis un seul mot, je te rejoins.
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Il est indiscutable que l'auteur des Chants de Maldoror, né à
Montevideo et mort à Paris, a refusé la part du pauvre. Ici, en Europe,
on joue au tric.trac et au jacquet, la vérité des lieux communs.
Qu'importe ! Ici la jeune parque est une prostituée en tailleur caca
d'oie, les jeunes filles, des fleurs de pissenlits.
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, en vérité, je vous le dis, bienheureux les riches car ils verront la lumière, bienheureux ceux qui boivent parce qu'ils ont soif. Je ne rougis pas d'oublier mon nom et de jeter les dés dans un désert de papier mâché et remâché. La méditation in extremis est une escroquerie dont je suis friand comme de croquignolles. Qu'on se méfie. Je renie aujourd'hui et solennellement (avec toute la solennité désirable) mon dernier hoquet et mon secret espoir. La lutte sera chaude. Ce n'est pas à moi, ni à personne (Entendez-vous, messieurs? qui veut mes témoins?) de juger M. le Comte. On ne juge pas M. de Lautréamont. On le reconnaît au passage et on salue jusqu'à terre. Je donne ma vie à celui ou à celle qui me le fera oublier à jamais. |
J'étais
couché dans un lit d'hôpital lorsque je lus pour la
première fois les Chants de Maldoror. C'était le 7,8
juin. Depuis ce jour là personne ne m'a reconnu. Je ne sais
plus moi-même si j'ai du cœur.
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PHILIPPE
SOUPAULT.
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Le Disque Vert.
4ème
Série, N°4. 1925
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Mon cher ami Isidore Ducasse - Philippe Soupault
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