L'intranquillité - Fabienne Yvert





A la manière de.

Ici il faut toujours lutter.
Contre le vent, contre le sel, contre le sable et la poussière, contre le soleil, la chaleur, contre la pluie, contre l'humidité, la moisissure.
Ici, il faut toujours lutter contre l'envahissement, c'est tout petit & c'est plein. Il faut ranger, tasser, ruser. Ou ça devient vite irrespirable.
Comme ça, ça a l'air bien rangé, mais certains tableaux ne tiennent qu'à une punaise, ou à un clou à peine enfoncé dans le mur en béton où les clous se tordent.
La poussière est tranquille sur les étagères, sur les objets, sur les livres, dans les coins, on ne la chasse qu'en gros, & dans les endroits faciles d'accès.
Ici le sol est pente, quand on dort sans oreiller, on a la tête en bas. Il faut mettre des cales sous la platine disque.
Ici il n'y a pas de séparation entre les pièces, il faut que les odeurs, les bruits, la lumière, l'air qui circule conviennent à tout le monde.
C'est souvent le règne de l'inquiétude. Mais il y a une grande réserve de tabacs, d'alcools, de livres & de musiques pour arrondir les angles. Sans parler de l'euphytose & du L 72 qui servent assez souvent.
Ici il y a deux téléphones mais on n'aime pas tellement téléphoner.
Ici il y a des mites qui vont les placards en carton qui ne ferment pas, & des papillons qui envahissent périodiquement la nourriture. C'est pénible, on leur fait la chasse, mais on s'y est fatalement résigné.
Ici avec l'air marin très salé, ça fait des grosses gouttes de condensation qui tombent de toutes les ampoules multicolores de la guirlande électrique qui éclaire le balcon.
Ici avant d'étendre la lessive, il faut toujours essuyer plusieurs fois tous les fils à linge encroûtés d'un mélange de sel & de sable, ça fait une boue grise. C'est le même chiffon qui sert à ça depuis plusieurs mois qui est plein de marques brunes dans tous les sens.
Ici les plantes crèvent régulièrement, on essaye une nouvelle variété réputée plus robuste mais les feuilles se racornissent après un coup de mistral puis tombent, il reste alors les tiges sans feuilles ou des plantes brunes desséchées comme celles qui ont gelé sur les tombes des cimetières.
Ici quand il pleut ou quand on arrose, l'eau s'infiltre dans le toit-terrasse.
Ca fait des cloques sur le plafond peint en blanc du salon.
Ici ça rouille toujours ou ça finit toujours par rouiller, par s'écailler.
Ici aussi on peut difficilement échapper aux voisins. Surtout aux voisines braillantes & hystériques. Ils sont rassurés quand leur voiture est garée juste devant leur porte.
Ici quand le vent souffle fort, le mur à l'intérieur en aplomb du faîtage, tremble.
Ici les couvertures & les couettes rangées dans un grand tiroir sous une banquette sentent l'humidité, rien n'y fait.
Ici on est fatigué.
On guette le vol rasant d'un cormoran ou le plongeon d'un grèbe huppé pour s'illuminer.
Ici on voudrait habiter dans une gare désaffectée : attendre dans un transat en lisant sur le quai un train fantôme.
Ici l'eau est régulièrement coupée. Il faut prendre ses dispositions pour ne pas retrouver au sec ou dans la merde.
Ici c'est comme ça, mais on peut voir les choses autrement.

In Poé/tri - pp. 147-149 - éditions Autrement Littératures 2001
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