Henri Michaux par Claude Cahun - 1925 |
Dans
notre vie, rien n’a jamais été droit.
Droit comme
pour nous.
Dans
notre vie, rien ne s’est consommé à fond.
A
fond comme pour nous.
Le
triomphe, le parachèvement,
Non,
non, ça n’est pas pour nous.
Mais
prendre le vide dans ses mains,
Chasser
la lièvre, rencontrer l’ours.
Courageusement
frapper l’ours, toucher le rhinocéros.
Etre
dépouillé de tout, mis à suer son propre coeur.
Rejeté
au désert, obligé d’y refaire son cheptel,
Un
os par-ci, une dent par-là, plus loin une corne.
Ça,
c’est pour nous.
Dire
que les sept vaches grasses naissent en ce moment.
Elles
naissent, mais ce n’est pas nous qui les trairons.
Les
quatre chevaux ailés viennent de naître.
Ils
sont nés. Ils ne rêvent que de voler.
On
a peine à les retenir. Ça ira presque aux astres, ces bêtes-là.
Mais
ce n’est pas nous qui y serons portés.
Pour
nous les chemins de taupe, de courtilière.
De
plus, nous sommes arrivés aux portes de la Ville.
De
la Ville-qui-compte.
Nous
y sommes, il n’y a pas de doute. C’est elle. C’est bien elle.
Ce
que nous avons souffert pour arriver... et pour partir.
Se
désenlacer lentement, en fraude, des bras de l’arrière...
Mais
ce n’est pas pour nous qui entrerons.
Ce
sont des jeunes m’as-tu-vu,
tout verts, tout fiers qui entreront.
Mais
nous, nous n’entrerons pas.
Nous
n’irons pas plus loin. Stop ! Pas plus loin.
Entrer,
chanter, triompher, non, non, ça n’est pas pour nous.
1932
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