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Décidément, tout de même, il noircit, l'hôpital, en dépit du beau mois de juin dont nous jouissons, toute
verdure humide de pluie sentant bon et luisant de clarté vive. Oui,
l’hôpital se fait noir, malgré philosophie, insouciance et fierté !
« Nous nous plairions au grand soleil
Et sous les rameaux verts des chênes, »
Et sous les rameaux verts des chênes, »
nous, les poètes, aussi bien qu’eux, les ouvriers nos compagnons de
misère et de « salles ». Et vivent les purs luxes, et les femmes, pures
ou non, et la vraie vie vivante, pure et impure !
En attendant, frères, artisans de l’une et de l’autre sorte, ouvriers
sans ouvrage et poètes... avec éditeurs, résignons-nous, buvons notre
peu sucrée tisane ou ce coco, avalons bravement qui son médicament, qui
son lavement, qui sa chique ! Suivons bien les prescriptions, obéissons
aux injonctions, que douces nous semblent les injections et suaves les
déjections, et réprimons toutes les objections, sous peine d’expulsions
toujours dures, même en ce mois des fleurs et du foin, des jours
réchauffants et des nuits clémentes, pour peu que l’on loge le diable
dans sa bourse, et la dette et la faim à la maison.
Évidemment, nous sortirons tôt ou tard, plus ou moins guéris, plus ou
moins joyeux, plus ou moins sûrs de l’avenir, — à moins que plus ou
moins vivants. Alors nous penserons avec mélancolie, une
mélancolie que j'ai déjà connue dans mes « entr'actes », un tantinet
rageuse, goguenarde un petit, reconnaissante tour à tour et rancunière à
nos souffrances morales et autres, aux médecins inhumains ou bons, aux
infirmiers rosses ou pas, à telle ou telle surveillante qu'on maudissait
quand on ne la mystifiait pas, — pas nous, les autres ! — parce qu'elle
était trop bonne, etc., etc.
Et peut-être un jour regretterons-nous ce bon temps où vous,
travailleurs, vous vous reposiez ; où nous, les poètes, nous
travaillions ; où toi, l'artiste, tu gagnais ton banyuls et tes todds
avec des portraits de suppléantes et d'élèves et quelles « fresques »
dans la salle de garde !
Oui, peut-être un jour nous reviendront, mélodieuses du passé, ces
conversations de lit à lit, de bout à bout de salle parfois : « Allons,
messieurs, un peu de silence, donc ! Nous ne sommes pas ici à la
Chambre. Taisez-vous, 27, espèce de cheval de retour ! C'est toujours
les abonnés qui font le plus de pétard ! », ces discussions plus
qu'animées et rien moins qu'attiques ; ils nous reviendront, ces
sommeils coupés de cris d'agonie, ces vociférations de quelque
alcoolique, ces réveils avec de ces nouvelles : « Le 15 a cassé sa pipe.
— As-tu entendu ce cochon de 4 ? Quel nom de Dieu de sale ronfleur ! »
Par-dessus tout nous reviendra, hélas ! sous forme d'utile regret, ce
calme sobre, cette stricte sécurité de ces lieux de douleur, certes, mais aussi de soins sûrs et de pain sur la planche.
Peut-être, un jour que la mort nous tâtera, que la maladie
avant-courrière et fourrière nous tiendra fiévreux et douloureux,
peut-être miséreux et solitaires, les reverrons-nous, non sans
attendrissement et une sorte de triste — ô bien triste ! — gratitude,
ces longues avenues de lits bien blancs, ces longs rideaux blancs, car
tout est long et blanc, en quelque sorte, en ces asiles...
Tout, sauf, en ce jour suprême de juin, pour moi, las de tant de
pauvreté (provisoirement, croyez-le, car si habitué, moi, depuis cinq
ans!), l'Hôpital avec un grand H, l'idée atroce, évocatrice d'une
indicible infortune, de l'hôpital moderne pour le poète moderne, qui ne
peut, à ses heures de découragement, que le trouver noir comme la mort
et comme la tombe, et comme la croix tombale, et comme l'absence de
charité, votre hôpital moderne, tout civilisé que vous l'ayez fait,
hommes de ce siècle d'argent, de boue et de crachats !
1891
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