"... J'écris pour sortir de prison." - Frédérick Houdaer

Emeric Cloche : Frédérick, tu publiais il y a peu ton sixième roman Ankou, Lève-toi dans la collection Polar Grimoire chez AK éditions. Comment es-tu venu à l'écriture ? Y a-t-il eu un déclencheur, un auteur et/ou un livre qui t'a particulièrement marqué ?

Frédérick Houdaer : Une réponse nette. Oui, il y a eu un déclencheur. Une émission de télévision. J'ai huit ans. Je regarde la télé. Un mercredi après-midi. Une émission consacrée à Jules Verne, je m'en souviens très bien, avec son lot d'extraits de films (Les Enfants du Capitaine Grant, etc.). Et cette évidence que je RECONNAIS devant la barbiche de Jules Verne : c'est ça que je dois devenir, c'est ça que je SUIS. Et hop, illico, j'ai foncé rejoindre ma mère dans sa cuisine pour lui annoncer la (bonne ?) nouvelle: elle avait un fiston apprenti-déjà-écrivain. Puis j'ai foncé dans ma chambre écrire trois courtes histoires (les premières). La seule dont je me souvienne clairement racontait l'histoire d'un faucon au moyen-âge ! Après, j'ai eu neuf ans, dix ans, quinze ans... Ce qui a compté, ce sont toutes ces rencontres qui ont balisé mon parcours de lecteur. Corbière m'a attrapé à la fin du collège. Fante m'a sauvé du lycée. Cendrars du foyer pour SDF où je bossais vers la vingtaine, etc.

Emeric Cloche : Tu es né le jour de la sortie de La Horde Sauvage, le cinéma influence-t-il ta façon d'écrire ?

Frédérick Houdaer : N'importe quel auteur né au XXe siècle a connu l'influence du cinéma. Après, chacun se positionne comme il l'entend. L'accepte, la refuse... Le seul prof digne de ce nom que j'ai eu, ado, a été... un magnétoscope (celui que je me suis offert avec ma première paye à quinze-seize ans) ! Je suis clairement un ancien cinéphile. Un ex. Maintenant, les enjeux se déplacent pour moi. J'écris moins "visuel", moins avec l'œil, plus avec l'oreille. La musique est entré dans ma vie depuis quelques années seulement, mais elle s'insinue partout. Et puis, il y a la pratique des lectures publiques, des performances avec d'autres auteurs-comédiens-musiciens, etc. Oui, "l'oreille" prend toute sa place. Tout cela change ma façon d'écrire, je ne sais pas si je suis clair, là. À dix-sept ans, je me reconnaissais dans la formule de Truffaut "Tous les écrivains sont des metteurs en scène frustrés, tous les metteurs en scène sont des écrivains ratés". Maintenant, je serais plus... dubitatif. Disons que je me méfie de plus en plus de la toute puissance de l'image. Kafka a écrit des trucs très durs là-dessus, comparant le cinéma à un volet métallique venant fermer notre regard (je retrouve plus la citation, elle était meilleure, plus courte). La télé marche très peu chez moi. J'ai la chance d'avoir des amis toujours cinéphiles qui m'offrent des séances de rattrapage DVD remarquables. Je fréquente les salles de cinéma, mais moins qu'avant. Il est clair que certains films me font me poser des questions purement techniques en matière d'écriture. Je vois un film comme Memento de Nolan, et je me demande: cette scène, cet enchaînement de scènes là, je l'écrirais comment, avec quels temps de narration ? Avec mon stylo-caméra, pas de doute, je peux aller beaucoup plus loin que l'effet "bullet-time", je peux étirer le temps à l'infini... Qu'est-ce que je peux tenter avec mon stylo que Spielberg n'a pas les moyens de réaliser ? Ça me semble une bonne question quand on écrit en 2007.

Emeric Cloche : Tu es l'auteur d'un recueil de poésie, Angiomes, paru aux éditions La Passe du Vent. Quand tu écris un roman, quelle place tient la poésie dans ton processus d'écriture ?

Frédérick Houdaer : La première. Je te réponds "emploi du temps". Je me lève très tôt. Les vingt premières minutes d'écriture sont réservées à la poésie. Ensuite, et seulement ensuite, j'attaque le roman en cours. Et deux ou trois heures plus tard, j'enchaîne sur l'article que je dois écrire pour tel ou tel journal. Cet ordre ne doit rien au hasard. J'ai essayé différents enchaînements. Retenu celui qui me semblait le plus... fluide. D'abord, la poésie donc. Quand je suis "le plus frais" et là où tout semble le plus "ouvert" (pour les tartines sur le travail à l'aube, voir Philippe Jaccottet). Ensuite, embrayer sur un effort plus long, le roman donc. Enfin, quand j'en peux plus, je "file" (j'habite un quartier de canuts) le dernier article qu'on m'a commandé, ce qui requiert un certain savoir-faire mais aucune prise de risque en matière d'écriture. J'ai la conviction que ce n'est pas les mêmes zones de mon cerveau qui surchauffe lors de ces différentes étapes. Que je me repose en passant de l'une à l'autre. Je suis pas le premier à le dire, mais "l'emploi du temps", c'est un sujet méga-important !

Emeric Cloche : Tes six romans tournent autour du polar. Pourquoi avoir choisi le noir pour t'exprimer ?

Frédérick Houdaer : Quand j'ai écrit ce qui allait devenir mon premier roman noir publié (L'Idiot n°2), j'étais déjà l'auteur de plusieurs romans "blancs" (pas publiés puisque, pour la plupart d'entre eux, pas publiables). J'ai pu constater quelques bouleversements dans le paysage éditorial de l'époque, à savoir : chaque boite d'édition créait sa collection de polars. J'aimais ce genre, le connaissais bien... Je me suis passé une commande en quelque sorte. Et avec L'Idiot n°2, j'ai constaté avoir écrit un roman plus "perso" que certains de mes textes autobiographiques pondus précédemment. Si je continue d'écrire du "noir" au jour d'aujourd'hui, rien ne m'autorise à dire que j'en écrirai toujours dans vingt ans. Par contre, écrire pour le théâtre, pour des comédiens et des comédiennes, ça oui, c'est d'actualité pour moi depuis trois ans, et ce n'est pas près de partir.

Emeric Cloche : Pourquoi écrire ?

Frédérick Houdaer : La réponse qui vient, sans réfléchir : J'écris pour sortir de prison. Après, si je développe, il y en a pour trois plombes. 




Interview de Frédérick Houdaer réalisée par Emeric Cloche pour http://www.polarnoir.fr/index.php en mai 2007
http://houdaer.hautetfort.com/

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