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- Les objets ne sont pas des objets, mais des images qui n'existent que quand nous faisons attention à elles et qui disparaissent dès que nous cessons d'y penser. Il n'existe donc, non des objets, mais notre rapport envers eux.
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TOLSTOÏ.
La maison était seule au bord du Vide qui avait enveloppé son petit jardin.
La maison était seule au bord du Vide, comme toutes les maisons, à qui personne ne pense et que personne ne voit.
Le Vide montait jusqu'au ciel, qui n'était plus le ciel, mais
l'Éternité ! Et si l'on s'était retourné assez vite, l'on aurait
peut-être vu, du seuil de la maison : la Vie tout entière précédée du
Passé et suivie de l'Avenir.
La maison, la Vie banale et particulière suivait son cours.
Une famille (comme toutes les familles) faisait ses préparatifs pour
aller passer l'été dans une campagne qu'elle désirait infinie et
tranquille.
Le père, préoccupé, consultait l'horaire.
La mère remettait du linge dans une malle déjà pleine.
Le fils fermait les volets.
Et la fille descendait de sa chambre, avec un sac de cuir jaune, qu'elle allait poser dehors sur les autres colis.
Elle ouvrit la porte de la maison et le petit jardin bien fidèle
revint du fond de l'Éternité et l'Éternité bien fidèle refléta l'image
exacte de sa pensée, dans le petit jardin qu'elle aimait.
La jeune fille s'arrêta alors au bord de la maison et des fleurs
poussèrent tout de suite sur les plates-bandes des allées : des
capucines et quelques tulipes pâles.
Une petite pluie très fine tombait sur la pelouse verte et des
souvenirs ! et des souvenirs ! montaient dans l'âme de la jeune fille.
« C'était là, cette année, qu'elle avait vu le Printemps venir. Le
Printemps un peu fou, qui avait couvert l'herbe de pâquerettes, la terre
d'iris, le mur d'églantines et de ce jasmin qui restait encore. C'était
là qu'elle avait lu, par des journées d'or pâle : Shakespeare, qu'elle
aimait tant ! Balzac et son premier Zola. C'était là qu'elle avait vu
tous ces crépuscules, comme de grandes ailes d'ange, ourlées d'ombre
bleue, venir frôler la terre avant d'aller au ciel. Et c'était fini,
tout ça !
Pourquoi ? Parce que l'Été était venu, un vilain été pluvieux qui
avait noyé toutes les petites fleurs du Printemps... toutes les petites
fleurs ! Puis, tout d'un coup, elle songea que la campagne l'attendait,
une campagne si douce ! où Il était depuis un mois déjà. Alors,
elle fut heureuse ! Le jardin lui sembla rempli de soleil ! Elle sortit
d'ans la rue... et le Vide se reforma derrière elle.
Le fils, quand il eut fermé tous les volets, sortit brusquement de la
maison ; regarda le jardin, insignifiant pour lui, dans son gris-vert,
monotone, puis ses yeux allant bien plus loin, il vit la mer, la plage,
le tennis dont il avait déchiré et réparé à ses frais, le filet l'année
dernière. Puis il revint au jardin, fixa un moment le trapèze, où il
avait failli se tuer et saisissant une valise, il courut dans la rue. La
porte resta entr'ouverte et un passant vit le jardin, qui lui sembla
« grand pour Paris », et la maison qu'elle trouva « laide ». Ce fut
tout. — Le Vide.
Le père et la mère sortirent ensemble.
Le père ferma la porte de la maison. La mère pensa qu'elle n'avait
toujours pas retrouvé ses ciseaux dans la pelouse. Elle vit la pelouse.
« Si le chat revient, il abîmera les dernières tulipes. » Elle vit les tulipes. Elle passa.
Le père dit : « J'aime mieux que la pluie se soit calmée, ça abîme
les bicyclettes ». Il mit les clefs dans sa poche, ne vit pas le jardin,
ferma la porte de la rue. Mais le jardin resta là, un moment encore.
Puis l'Éternité revint dans l'ombre infinie de la Solitude : II n'y eut
plus qu'un ciel, de bas en haut, dont les contours étaient l'Infini.
⁂
Au-dessus de la terre, habitée par la pensée des hommes : un ciel clair,
semé d'étoiles. La terre est très lumineuse. A l'endroit où la famille a
laissé la maison, il n'y a rien. Des Âmes, peut-être ? et des
souvenirs... Mais si, pourtant, le Vide s'écarte, le ciel apparaît
admirable, d'une pureté divine. Puis la maison haute ! haute ! comme une
cathédrale. Puis le jardin, avec une pelouse, comme un champ, et les
allées, comme des routes de campagne.
Qui y a-t-il ? Il n'y a rien. Mais si, par terre, un peu au-dessus du
sol, deux étoiles sont suspendues : Les yeux du chat qui regardent la
maison. Le chat est là et pour lui, tout revit. Le chat se promène :
c'est calme. Il va doucement, près d'un soupirail : il entre, les
étoiles illuminent la cave, qui est toute blanche comme le couloir d'une
abbaye. Le chat ronronne en marchant. Il est tranquille, rien n'est
changé chez lui. Il ressaute sur la route de campagne et va se promener
dans le champ. Le chat passe en revue : toute la Nuit. Aux fenêtres des
maisons, des vitraux scintillent. Le chat se couche sur une marche de la
maison. Devant lui le Vide revient. Ses yeux deviennent très grands, il
voit dans le Néant !
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