Faites-vous apporter de quoi écrire, après vous être établi en un lieu
aussi favorable que possible à la concentration de votre esprit sur
lui-même. Placez-vous dans l'état le plus passif, ou réceptif, que vous
pourrez. Faites abstraction de votre
génie, de vos talents et de ceux de tous les autres. Dites-vous bien que
la littérature est un des plus tristes chemins qui mènent à tout.
Ecrivez vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas retenir et ne
pas être tenté de vous relire. La première phrase viendra toute seule,
tant il est vrai qu'à chaque seconde il est une phrase étrangère à notre
pensée consciente qui ne demande qu'à s'extérioriser. Il est assez
difficile de se prononcer sur le cas de la phrase suivante ; elle
participe sans doute à la fois de notre activité consciente et de
l'autre, si l'on admet que le fait d'avoir écrit la première entraîne un
minimum de perception. Peu doit vous importer, d'ailleurs ; c'est en
cela que réside, pour la plus grande part, l'intérêt du jeu surréaliste.
Toujours est-il que la ponctuation s'oppose sans doute à la continuité
absolue de la coulée qui nous occupe, bien qu'elle paraisse aussi
nécessaire que la distribution des noeuds sur une corde vivante.
Continuez autant qu'il vous plaira. Fiez-vous au caractère inépuisable
du murmure. Si le silence menace de s'établir pour peu que vous ayez
commis une faute : une faute, peut-on dire, d'inattention, rompez sans
hésiter avec une ligne claire. A la suite du mot dont l'origine vous
semble suspecte, posez une lettre quelconque, la lettre l, et ramenez
l'arbitraire en imposant cette lettre pour initiale au mot qui suivra.
1924
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire