André Stas - le Docteur Faustroll
Le
docteur Faustroll naquit en Circassie, en 1898 (le XXème siècle
avait (-2) ans), et à l’âge de soixante-trois ans.
À
cet âge-là, lequel il conserva toute sa vie, le docteur Faustroll
était un homme de taille moyenne, soit, pour être exactement
véridique, de (8 × 1010 + 109 + 4 × 108 + 5 × 106) diamètres
d’atomes ; de peau jaune d’or, au visage glabre, sauf des
moustaches vert de mer, telles que les portait le roi Saleh ;
les cheveux alternativement, poil par poil, blond cendré et très
noir, ambiguïté auburnienne changeante avec l’heure du soleil ;
les yeux, deux capsules de simple encre à écrire, préparée comme
l’eau-de-vie de Dantzick, avec des spermatozoïdes d’or dedans.
Il
était imberbe, sauf ses moustaches, par l’emploi bien entendu des
microbes de la calvitie, saturant sa peau des aines aux paupières,
et qui lui rongeaient tous les bulbes, sans que Faustroll eût à
craindre la chute de sa chevelure ni de ses cils, car ils ne
s’attaquent qu’aux cheveux jeunes. Des aines aux pieds par
contraste, il s’engaînait dans un satyrique pelage noir, car il
était un homme plus qu’il n’est de bienséance.
Ce
matin-là, il prit son sponge-bath quotidien, qui fut d’un
papier peint en deux tons par Maurice Denis, des trains rampant le
long de spirales ; dès longtemps il avait substitué à l’eau
une tapisserie de saison, de mode ou de son caprice.
Pour
ne point choquer le peuple, il se vêtit, par-dessus cette tenture,
d’une chemise en toile de quartz, d’un pantalon large, serré à
la cheville, de velours noir mat ; de bottines minuscules et
grises, la poussière y étant maintenue, non sans grands frais, en
couche égale, depuis des mois, sauf les geysers secs des
fourmilions ; d’un gilet de soie jaune d’or, de la couleur
exacte de son teint, sans plus de boutons qu’un maillot, deux rubis
fermant deux goussets, très haut ; et d’une grande pelisse de
renard bleu.
Il
empila sur son index droit des bagues, émeraudes et topazes, jusqu’à
l’ongle, le seul de ses dix qu’il ne rongeât point, et arrêta
la file d’anneaux par une goupille perfectionnée, en molybdène,
vissée dans l’os de phalangette, à travers l’ongle.
En
guise de cravate, il se passa au cou le grand cordon de la
Grande-Gidouille, ordre inventé par lui et breveté, afin qu’il ne
fût galvaudé.
Il
se pendit par ce cordon à une potence disposée à cet effet,
hésitant quelques quarts d’heure entre les deux maquillages
suffocatoires dits pendu blanc et pendu bleu.
Alfred Jarry - Gestes et opinions du Docteur Faustroll
arléa - 2007
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