Avril
Je suis retourné à l'usine
à bruits où mon maître m'emmène chaque après-midi avec une
régularité surprenante. La plupart des visiteurs s'y accroupissent
le long des murs et sur des banquettes de velours où ils
s'agglutinent les uns contre les autres. Ils se versent dedans le
corps un si infect brouet noir qu'ils en ont la gueule fumante. Puis
un monstrueux vacarme sort de leurs bouches. Des bordées de sons,
des trilles, des entrechocs, des stridulations, des cris éclatent de
toutes parts, accompagnés de grimaces, de hochements de tête, de
torsion du cou, d'expectorations. Il y a tout lieu de croire qu'on
expérimente ici les bruits de bouche qui plus tard joueront un si
grand rôle dans la rue. Une vapeur bleue, artificiellement produite,
emplit toute la fabrique de bruits et permet à chaque groupe de
mener à bien son travail sans être vu par les tables voisines.
Je ne sais toujours pas si
ces folles menées sont des expérimentations en vue d'une meilleure
compréhension ou si ce sont des réjouissances. Dans le premier cas,
les pauvres doivent avoir d'énormes difficultés et ce malgré la
perfection de leurs instruments buccaux. Je ne peux qu'admirer
d'ailleurs ce qui se passe aux autres tables, autour desquelles sont
assis quelques montreurs de jambes. Chacun d'eux tient dans sa main
des petits feuillets soigneusement découpés et recouverts de
figures amusantes. Ils les jettent violemment sur la table tout en
fixant leurs vis-à-vis avec des yeux exorbités et blancs. Cette
besogne muette dure un certain temps. Puis un formidable trille
déchire toutes les bouches : leur tâche est accomplie, il
semblerait qu'ils soient parvenus à une entente.
Oskar
Panizza - Journal d'un chien
Traduction Claude Riehl
Plasma – 1983
Traduction Claude Riehl
Plasma – 1983
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