L'ère Pataphysique commence le 8 septembre 1873.
Je n’avais pas rêvé pourtant :
un coureur étrange précédait la locomotive mais il ne montait pas
un corps-droit à caoutchoucs pleins ! mais il ne portait pas de
bottines à élastiques ! mais sa bicyclette ne grinçait pas,
sinon dans mes oreilles qui bourdonnaient ! Mais il n’avait
pas cassé sa chaîne puisque sa bicyclette était une machine sans
chaîne ! Les bouts d’une ceinture lâche et noire flottaient
derrière lui et caressaient l’éperon de la locomotive !
C’était ce que j’avais pris pour un garde-boue et pour les pans
d’une redingote ! Sa culotte courte était éclatée sur les
cuisses par le gonflement de ses muscles extenseurs ! Sa
bicyclette était un modèle de course dont je n’ai jamais vu le
pareil, aux pneus microscopiques, au développement supérieur à
celui de la quintuplette il l’actionnait en se jouant et en effet
comme s’il eût pédalé à vide. L’homme était devant nous :
je voyais sa nuque, houleuse de cheveux longs le cordon de son
lorgnon — ou une boucle noire de sa chevelure — était rabattu en
arrière par le vent de la course jusque sur ses épaules. Les
muscles de ses mollets palpitaient comme deux cœurs d’albâtre.
Alfred Jarry – Le Surmâle
La course des dix mille milles
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