Car
tout est préférable à l’inaction de la vie telle que vous
l’entendez. Rien ne se passe et rien ne passe. Enfin voici les
soldats et la lampe muette, la lampe aux fleurs, la lampe du phare,
sinistre trou dans la nuit, comme le corbillard est un accroc dans le
jour, avec son cortège de pierres tombales, pierres précieuses
entre toutes. Ci-gisent un cri d’appel et des hurlements de
prairie. Je suis appuyé au pied de l’Étoile Polaire… Je songe,
non sans tristesse, aux inondations de larmes, je me souviens avec
joie des autodafés de prospectus. Rien n’égale la fraîcheur des
plantes, le matin, lorsque l’aube roulant sur des charnières et
des charniers chasse le tableau noir astrologique. J’y songerais
encore, à ces équations sympathiques, si j’avais le temps de
songer. Mais pas plus que la lune les étoiles ne m’intéressent.
Rien ne me sollicite, pas plus les métaux que le bois, pas plus les
bois que les forêts, les grandes forêts vierges où se rencontrent
les lions à crinière d’opale et aux yeux de feu, bataille des
couleurs. Qui oserait m’empêcher de mettre le pied sur ce navire
qui, de la cale à la corne de mât, halète et soupire, et bat des
voiles comme un poisson ? De quelle gare de marchandises est-il
originaire, de quel équateur vient-il, ce sinistre marin au faux nez
de carton ? Symphonie en rouge. Je suis appuyé contre une
bouteille. Je lis mes propres romans, mes poèmes sanglants. Il est
temps, je crois, d’aller les écrire.
Léo
Malet – Le rêveur absolu – 1930
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