Le rêveur absolu - Léo Malet / Laia Cabrera






Car tout est préférable à l’inaction de la vie telle que vous l’entendez. Rien ne se passe et rien ne passe. Enfin voici les soldats et la lampe muette, la lampe aux fleurs, la lampe du phare, sinistre trou dans la nuit, comme le corbillard est un accroc dans le jour, avec son cortège de pierres tombales, pierres précieuses entre toutes. Ci-gisent un cri d’appel et des hurlements de prairie. Je suis appuyé au pied de l’Étoile Polaire… Je songe, non sans tristesse, aux inondations de larmes, je me souviens avec joie des autodafés de prospectus. Rien n’égale la fraîcheur des plantes, le matin, lorsque l’aube roulant sur des charnières et des charniers chasse le tableau noir astrologique. J’y songerais encore, à ces équations sympathiques, si j’avais le temps de songer. Mais pas plus que la lune les étoiles ne m’intéressent. Rien ne me sollicite, pas plus les métaux que le bois, pas plus les bois que les forêts, les grandes forêts vierges où se rencontrent les lions à crinière d’opale et aux yeux de feu, bataille des couleurs. Qui oserait m’empêcher de mettre le pied sur ce navire qui, de la cale à la corne de mât, halète et soupire, et bat des voiles comme un poisson ? De quelle gare de marchandises est-il originaire, de quel équateur vient-il, ce sinistre marin au faux nez de carton ? Symphonie en rouge. Je suis appuyé contre une bouteille. Je lis mes propres romans, mes poèmes sanglants. Il est temps, je crois, d’aller les écrire.

Léo Malet – Le rêveur absolu – 1930

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire