Ce fut Foilleron qui eut cette
idée, et il y persista jusqu'au bout, quoi que Lude, son associé,
pût lui dire.
Ce Foilleron, c'en était un
qui parlait bien, et beaucoup, aimant les grands mots et les belles
phrases :
- C'est basé, disait-il, sur
la profondeur. Vous autres, vous vous imaginez peut-être que le fond
du lac va à plat : erreur ! Il y a le mont, je te dis, et
aussi raide est la pente qu'on voit, autant l'est celle qu'on ne voit
pas. La ligne du mont que tu suis de l’œil , tu n'as qu'à la
prolonger en idée. Alors… (il s'arrêtait, il se touchait le front
du doigt, cela se passait dans un petit café qu'il y a sur la place
du port, et, quand il fait beau on se tient sous une tonnelle de
vigne vierge), alors tous mes calculs sont basés là-dessus. Je me
suis dit : « Pourquoi est-ce que tout le monde se plaint
de ne plus rien prendre ? » Tu me répondras :
« C'est qu'il n'y a plus de poisson. » Et c'est bien, en
effet, ce que tout le monde répond, mais on se trompe. J'ai
réfléchi, vois-tu, plus que personne à la question ; il y a
des nuits et des nuits que je ne dors pas, tant j'y réfléchis :
à la fin des fins j'ai trouvé…
Il criait :
- Une chope !
Charles-Ferdinand Ramuz
Le gros poisson du lac – 1914
séquences - 1992
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