Plus raide la vie, redneck society - Ollivier Desmarais



the Summer Redneck Games in East Dublin, Georgia, on May 26, 2012


Dans tous les jours, ici c’est plouc-land, ici c’est nez d’boeuf, c’est gadoue-gadoue, c’est trou du cul de la fRance profonde d’en bas, c’est bas du plafond parfois, c’est ras du plancher, ras des pâquerettes, c’est on a pris des brouettes pour pouvoir marcher sur les pattes arrière, c’est pas faux.
C’est lilas et lisier, les pissenlits plus tendres sous les bouses, c’est les rosiers dans le fumier, l’odeur des foins coupés, le parfum de la terre après une courte averse d’été et ses foutues orties qui ont eu le temps de grainer vu qu’on a trop traîné à les arracher et des angoisses indicibles pour le potager parce que les lapins, les taupes, les pies, les merles, les mouches à poireaux, les limaces qui niquent mes grosses blondes paresseuses, les saints de glace et la chatte en chaleur de la voisine.
C’est des battles d’oiseaux qui ont le flow sur la rythmique des tracteurs, pendant que ça meugle dans les prairies, que ça braie sur les causses, que ça glousse en basse-cour et caquette à deux milles tassés dans un hangar ; le clocher qui séquence le temps, les tronçonneuses, les débroussailleuses, les moissonneuses et parfois la classe unique de l’école qui passe en riant, un chien coursant une chienne ou un lièvre ou la voiture du facteur, protégeant un portail, louvoyant de pisse en pisse et ajoutant sa trace, aboyant pour rien d’autre que se faire entendre ou alors c’est juste pour faire chier.
C’est des occupants dans le nouveau lotissement empilés sur le vieux pré là-bas plus loin pour maintenir l’effectif de l’école déjà que la boulangerie a fermé et qu’on n’a jamais eu la Poste, un bout de dortoir de la sous-préfecture d’à côté, des qui seront jamais des ceusses-d’ici parce qu’ils travaillent pas là ou qu’ils viennent d’un village voisin, qui ont douze mètres carrés de pelouse pour croire vivre à la campagne, qui font mettre de la fausse pierre pour dissimuler le parpaing et une tour sur le côté pour compenser va savoir quoi.
C’est du jeune néo-rural qui rebâtit des granges, qui construit en paille ou en bois, qui croit pas au méchant grand loup, qui plante des yourtes et un peu d’herbe, qui cultive en collectif, qui fait pousser des variétés rares, réinvente l’autogestion, s’active en chantiers solidaires et piétine du Monsanto en chantant, fait les poubelles de supermarché parce qu’il aime pas qu’on gaspille et que la grêle a flingué les potirons, qui finit parfois au poste, qui prend des baffes, des coups de fusils, qui n’avait qu’à retirer ses piercings et s’habiller correctement.
C’est de l’ado rustique qui se fait chier, qui s’emmerde à longueur d’année, entre quine et poule farcie, qui passe la semaine au pensionnat et le week-end à la porcherie, qui se bourre la gueule deux fois l’an et tous les week-end seulement mais pire que goret aux fêtes de village, qui fantasme la ville et l’agitation, qui rêve de se tirer, qui se retrouve à la cambrousse comme d’autres suffoquent en cité, coincé dans son non-avenir d’enfant de bouseux à perpétuité.
C’est des filles qui veulent pas la vie de leur mère, qui veulent pas des garçons du village, qui veulent pas avoir l’air du village, qui épouseront un gars du village d’à côté si elles réussissent pas esthéticiennes, ou un comptable de la sous-préfecture pour pouvoir faire caissière, ou auxiliaire de vie à la maison de retraite parce qu’on ouvre plus de crèches, c’est des femmes à vite s’user de trop de travaux ou de pas de boulot mais tant de lessives, de trop d’enfants en si peu de temps, à vieillir de fatigue et d’ennui devant plus belle la vie si elles finissent par divorcer sinon c’est l’heure de la traite.
C’est du paysan à bout, à bout de nerfs, au bout du rouleau, au bord du trou, au fond du gouffre, broyé dans le silo à grains, asphyxié par les quotas, les marges des distributeurs, Lactalis, le Discrédit Agricole, qui désespère célibataire mais qui aurait rien pu laisser aux mômes, du qui a jamais pris de vacances, qui se reposera dans la tombe, qui est de plus en plus crevé, du qui a envie de crever, du qui finit ballotant sous une poutre ou explosé sur un platane imprudent en rentrant bourré du dernier thé dansant de l’amicale bouliste.
C’est de l’agriculteur déraisonné qui bouffe à toutes les subventions pour remplir ses râteliers, qui détruit les haies pour agrandir l’exploitation, qui fait bien intensif avec tous les intrants, qui veut faire OGM et agrocarburant, qui chie du hors-sol sous serre, qui rafle toutes les terres du désespéré du paragraphe précédent, qui privatise du vivant, qui se réserve une chasse, qui fait des saignés blanches dans les bois, qui paye ses journaliers au lance-pierre et asservit du travailleur clandestin, du qui exploite la terre mais ne la travaille pas.
C’est tout n’est pas rose dans le vert, ici c’est un peu comme un peu partout dans le dur, dans la misère, dans le mal au ventre, c’est bucolique les yeux fermés et les oreilles bouchées, c’est champêtre et pastoral lorsqu’on y passe sans trop s’y arrêter, c’est le malheur aussi est dans le pré.
C’est plus respirable qu’en ville mais c’est pas moins étouffant.

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