EXORDE
EN COURANTE.
PROPOSITION
(THEME DE SARABANDE).
COURANTE
EN SENS INVERSE (CONFIRMATION).
Sans
doute le sais-je bien... (pour l'avoir quelque jour dévidé
de moi-même ? Ou me l'a-t-on jadis avec les linéaments
de toute science appris ?) que l'araignée secrète son
fil, bave le fil de sa toile... et n'a les pattes si distantes et si
distinctes – la démarche si délicate – qu'afin de
pouvoir ensuite arpenter cette toile – parcourir en tous sens son
ouvrage de bave sans le rompre ni s'y emmêler – tandis que
toutes autres bestioles non prévenues s'y emprisonnent de plus
belle par chacun de leurs gestes ou cabrioles éperdues de
fuite...
Mais
d'abord, comment agit-elle ?
Est-ce
d'un bon hardi ? Ou se laissant tomber sans lâcher le fil de
son discours, pour revenir plusieurs fois par divers chemins ensuite
à son point de départ, sans avoir tracé, tendu
une ligne que son corps n'y soit passé – n'y ait tout entier
participé – à la fois filature et tissage ?
D'où
la définition par elle-même de sa toile aussitôt
conçue :
DE
RIEN D'AUTRE QUE DE SALIVE PROPOS EN L'AIR MAIS AUTHENTIQUEMENT ¹
TISSUS – OU J'HABITE AVEC PATIENCE – SANS PRETEXTE QUE MON
APPETIT DE LECTEURS.
A
son propos ainsi – à son image -, me faut-il lancer des
phrases à la fois assez hardies et sortant uniquement de moi,
mais assez solides – et faire ma démarche assez légère,
pour que mon corps sans les rompre sur elles prenne appui pour en
imaginer – en lancer d'autres en sens divers – et même en
sens contraire par qui soit si parfaitement tramé mon ouvrage,
que ma panse ² dès lors puisse s'y reposer, s'y tapir, et
que je puisse y convoquer mes proies – vous, lecteurs, vous,
attention de mes lecteurs – afin de vous dévorer ensuite en
silence (ce qu'on appelle la gloire)...
Oui,
soudain, d'un angle de la pièce me voici à grands pas
me précipitant sur vous, attention de mes lecteurs prise au
piège de mon ouvrage de bave, et ce n'est pas le moment le
moins réjouissant du jeu : c'est ici que je vous pique et vous
endors !
SCARAMOUCHES
AU CIEL ³ QUI MENEZ DEVERS MOI LE BRANLE IMPENITENT DE VOTRE
VESANIE...
Mouches
et moucherons,
abeilles,
éphémères,
guêpes,
frelons, bourdons,
cirons,
mites, cousins,
spectres,
sylphes, démons,
monstres,
drôles et diables,
gnomes,
ogres, larrons,
lurons,
ombres et mânes,
bandes,
cliques, nuées,
hordes,
ruches, espèces,
essaims,
noces, cohues,
cohortes,
peuples, gens,
collèges
et sorbonnes,
docteurs
et baladins,
doctes
et bavardins,
badins,
taquins, mutins,
et
lutins et mesquins,
turlupins,
célestins,
séraphins,
spadassins,
reîtres,
sbires, archers,
sergents,
tyrans et gardes,
pointes,
piques, framées,
lances,
lames et sabres,
trompettes
et clairons,
buccins,
fifres et flûtes,
harpes,
bassons, bourdons,
orgues,
lyres et vielles,
bardes,
chantres, ténors,
strettes,
sistres, tintouins,
hymnes,
chansons, refrains,
rengaines,
rêveries,
balivernes,
fredons,
billevesées,
vétilles,
détails,
bribes, pollens,
germes,
graines et spermes,
miasmes,
miettes, fétus,
bulles,
cendres, poussières,
choses,
causes, raisons,
dires,
nombres et signes,
lemmes,
nomes, idées,
centons,
dictons et dogmes,
proverbes,
phrases, mots,
thèmes,
thèses et gloses,
FREDONS,
BILLEVESEES, SCHEMES EN ZIZANIE ! SACHEZ, QUOI QU'IL EN SOIT DE MA
PANSE SECRETE ET BIEN QUE JE NE SOIS 4 QU'UN ECHRIVEAU 5
CONFUS QU'ON EN PEUT DEMELER POUR L'HEURE CE QUI SUIT : A SAVOIR
QU'IL EN SORT QUE JE SUIS VOTRE PARQUE ; SORT, DIS-JE, ET IL S'ENSUIT
QUE BIEN QUE JE NE SOIS QUE PANSE DONC JE SUIS (SACHET, COQUILLE EN
SOIE QUE MA PANSE SECRETE) VOTRE MAUVAISE ETOILE AU PLAFOND QUI VOUS
GUETTE POUR VOUS FAIRE EN SES RAIS connaître VOTRE NUIT.
Beaucoup
plus tard, - ma toile abandonnée – de la rosée, des
poussières l'empèseront, la feront briller – la
rendront de toute autre façon attirante...
Jusqu'à
ce qu'elle coiffe enfin, de manière horrible ou grotesque,
quelque amateur curieux des buissons ou des coins de grenier, qui
pestera contre elle, mais en restera coiffé.
- Var. : Mésentériquement.
- Var. : Pensée.
- Var. : Squadra de mouch's au ciel.
- Var. : Jeune soie.
- Var. : Echrivain.
Francis
Ponge – Pièces – 1962 // Poésie/Gallimard – éd. de 1989 - pp. 111-115
Quel texte !
RépondreSupprimerEt quel site ! Quelle richesse, quel travail ! (On ne peut que rester bloquer sur le mode exclamatif !) Bravo pour tout ça...
Merci. Mais point trop d'exclamation, je rougis. La vraie richesse, ce sont toutes celles et tous ceux qui écrivent, qui me remuent, m'émeuvent... ou qui comme vous savent créer l'envie.
RépondreSupprimerkrrr.
Voir également ce beau texte en livre d'artiste accompagné (c'est le mot) par Albert AYME . Livre épuisé et édité en 1965 :
RépondreSupprimerhttp://www.albert-ayme.net/#!blank/afsbv
Voir également ce beau texte en livre d'artiste accompagné (c'est le mot) par Albert AYME . Livre épuisé et édité en 1965 :
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