Le Baron de Münchhausen. Gravure de August von Wille -1872 |
« Comme
ça que t'imagines ksé sur la Lune ? »
demanda=t=elle en s'étonnant : « Ch'comprends pas :
elle s'déroule où la scène ? »
« Peux=tu
te représenter un ptit cratère,
ma vie ? - 500 mètres de diamètre ? - Si soigneusement
choisi=euh : qu'il a en son milieu 1 haute montagne centrale pointue
: de laquelle partent vers les parois du cirque de 5 à 7
constructions en aluminium ; qui servent de supports à une
coupole de plexiglas recouvrant l'ensemble : "GLASS
TOWN" ! - Peux=tu te le représenter, Hertha ? »
« Pour
sla, je peux dire que mon imagination
est encore intacte. » répliqua=t=elle avec dignité
: « Et qu'est=ce que "l'ardoise coucou à
poil roux" a à voir là=dedans ? »
/ (« C'est ptêtre pas si bête, d'ailleurs »
marmonna=t=elle par=derrière : « Un fond gris
ardoise ; pommelé de rouge et de bleuâtre ; - : et
le coucou ! ». Elle
expulsa de l'air d'entre ses lèvres, d=contenancée :
mais le nota quand même sur son carnet d'esquisses.)
« Dans
la paroi intérieure de la montagne, des cavernes=ateliers,
hein ? » - : « Ouii » dit=elle ;
(nerveuse, parce qu'elle m'entendait éternuer) : « Tu
peux pas te boutonner le col de la chemise ? Faut toujours que tu te
balades les amygdales à l'air..... ». (Mais me
rajusta avec un certain degré de tendresse le foulard qui
s'était défait) : « Du silésien pour
dire la « gorge nue » me renseignai=je :
« Merci bien, c'est parfait..... »
Arno Schmidt - On a marché sur la Lande
Traduction Claude Riehl
Tristram - 2005
Dans
la lune — car c’était là l’île étincelante
où nous venions d’aborder —, nous vîmes de grands
êtres montés sur des vautours, dont chacun avait trois
têtes. Pour vous donner une idée de la dimension de ces
oiseaux, je vous dirai que la distance mesurée de l’extrémité
d’une de leurs ailes à l’autre est six fois plus grande
que la plus longue de nos vergues. Au lieu de monter à cheval,
comme nous autres habitants de la terre, les gens de la lune montent
ces sortes d’oiseaux.
À
l’époque où nous arrivâmes, le roi de ce pays
était en guerre avec le soleil. Il m’offrit un brevet
d’officier ; mais je n’acceptai point l’honneur que me faisait
Sa Majesté.
Tout,
dans ce monde-là, est extraordinairement grand : une mouche
ordinaire, par exemple, est presque aussi grosse qu’un de nos
moutons. Les armes usuelles des habitants de la lune sont des
raiforts qu’ils manœuvrent comme des javelots, et qui tuent ceux
qui en sont atteints. Lorsque la saison des raiforts est passée,
ils emploient des tiges d’asperges. Pour boucliers, ils ont de
vastes champignons.
Je
vis en outre dans ce pays quelques naturels de Sirius venus là
pour affaires ; ils ont des têtes de bouledogue et les yeux
placés au bout du nez, ou plutôt à la partie
inférieure de cet appendice. Ils sont privés de
sourcils ; mais lorsqu’ils veulent dormir, ils se couvrent les yeux
avec leur langue ; leur taille moyenne est de vingt pieds ; celle des
habitants de la lune n’est jamais au-dessous de trente-six pieds.
Le nom que portent ces derniers est assez singulier ; il peut se
traduire par celui d’êtres vivants ; on les appelle ainsi
parce qu’ils préparent leurs mets sur le feu, tout comme
nous. Du reste, ils ne consacrent guère de temps à
leurs repas ; ils ont sur le côté gauche un petit
guichet qu’ils ouvrent et par lequel ils jettent la portion tout
entière dans l’estomac ; après quoi ils referment le
guichet et recommencent l’opération au bout d’un mois,
jour pour jour. Ils n’ont donc que douze repas par an, combinaison
que tout individu sobre doit trouver bien supérieure à
celles usitées chez nous.
Les
joies de l’amour sont complètement inconnues dans la lune ;
car, chez les êtres cuisants aussi bien que chez les autres
animaux, il n’existe qu’un seul et même sexe. Tout pousse
sur des arbres qui diffèrent à l’infini les uns des
autres, suivant les fruits qu’ils portent. Ceux qui produisent les
êtres cuisants ou hommes sont beaucoup plus beaux que les
autres ; ils ont de grandes branches droites et des feuilles couleur
de chair ; leur fruit consiste en noix à écorce très
dure, et longues d’au moins six pieds. Lorsqu’elles sont mûres,
ce qu’on reconnaît à leur couleur, on les cueille avec
un grand soin, et on les conserve aussi longtemps qu’on le juge
convenable. Quand on veut retirer le noyau, on les jette dans une
grande chaudière d’eau bouillante ; au bout de quelques
heures, l’écorce tombe, et il en sort une créature
vivante.
Avant
qu’ils viennent au monde, leur esprit a déjà reçu
une destination déterminée par la nature.
D’une
écorce sort un soldat, d’une autre un philosophe, d’une
troisième un théologien ; d’une
quatrième un jurisconsulte, d’une cinquième un
fermier, d’une sixième un paysan, et ainsi de suite, et
chacun se met aussitôt à pratiquer ce qu’il connaît
déjà théoriquement. La difficulté
consiste à juger avec certitude ce que contient l’écorce
; au moment où je me trouvais dans le pays, un savant lunaire
affirmait à grand bruit qu’il possédait ce secret.
Mais on ne fit pas attention à lui, et on le tint généralement
pour fou.
Lorsque les
gens de la lune deviennent vieux, ils ne meurent pas, mais ils se
dissolvent dans l’air et s’évanouissent en fumée.
Ils n’éprouvent
pas le besoin de boire, n’étant asservis à aucune
excrétion. Ils n’ont à chaque main qu’un seul doigt
avec lequel ils exécutent tout beaucoup mieux que nous ne le
faisons avec notre pouce et ses quatre aides.
Ils portent
leur tête sous le bras droit, et, lorsqu’ils vont en voyage
ou qu’ils sont à exécuter quelque travail qui exige
beaucoup de mouvement, ils la laissent habituellement à la
maison ; car ils peuvent lui demander conseil à n’importe
quelle distance.
Les hauts
personnages de la lune, lorsqu’ils veulent savoir ce que font les
gens du peuple, n’ont pas coutume d’aller les trouver ; ils
restent à la maison, c’est-à-dire que leur Corps
reste chez eux, et qu’ils envoient leur tête dans la rue pour
voir incognito ce qui s’y passe. Une fois les renseignements
recueillis, elle revient dès que le maître la rappelle.
Les pépins
de raisin lunaire ressemblent exactement à nos grêlons,
et je suis fermement convaincu que, lorsqu’une tempête
détache les grains de leur tige, les pépins tombent sur
notre terre et forment notre grêle. Je suis même porté
à croire que cette observation doit être connue depuis
longtemps de plus d’un marchand de vin ; du moins j’ai bien
souvent bu du vin qui m’a paru fait de grêlons, et dont le
goût rappelait celui du vin de la lune.
J’allais
oublier un détail des plus intéressants. Les habitants
de la lune se servent de leur ventre comme des gibecières ;
ils y fourrent tout ce dont ils ont besoin, l’ouvrent et le ferment
à volonté comme leur estomac, car ils ne sont pas
embarrassés d’entrailles, ni de cœur, ni de foie ; ils ne
portent non plus pas de vêtements, l’absence de sexe les
dispensant de pudeur.
Ils peuvent à
leur gré ôter et remettre leurs yeux, et, lorsqu’ils
les tiennent à la main, ils voient aussi bien que s’ils les
avaient sur la figure. Si, par hasard, ils en perdent ou en cassent
un, ils peuvent en louer ou en acheter un nouveau, qui leur fait le
même service que l’autre ; aussi rencontre-t-on dans la lune,
à chaque coin de rue, des gens qui vendent des yeux ; ils en
ont les assortiments les plus variés, car la mode change
souvent : tantôt ce sont les yeux bleus, tantôt les yeux
noirs, qui sont mieux portés.
Je conviens ;
messieurs, que tout cela doit vous paraître étrange ;
mais je prie ceux qui douteraient de ma sincérité de se
rendre eux-mêmes dans la lune, pour se convaincre que je suis
resté plus fidèle à la vérité
qu’aucun autre voyageur.
Gottfried August Bürger - Aventures et mésaventures du baron de MÜnchhausen - Traduction Théophile Gautier - Editions José Corti - 1998
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