Avec simplicité les animaux fantastiques sortent des angoisses et
des obsessions et sont lancés au dehors sur les murs des chambres où
personne ne les aperçoit que leur créateur.
La maladie accouche, infatigablement, d'une création animale
inégalable.
La fièvre fit plus d'animaux que les ovaires n'en firent jamais.
Dès le premier malaise, ils sortent des tapisseries les plus
simples, grimaçant à la moindre courbe, profitant d'une ligne
verticale pour s'élancer, grossis de la force immense de la maladie
et de l'effort pour en triompher ; animaux qui donnent des
inquiétudes, à qui on ne peut s'opposer efficacement, dont on ne
peut deviner comment ils vont se mouvoir, qui ont des pattes et des
appendices en tous sens.
Les bêtes à trompes ne sont pas spéciales aux femmes ; elles
visitent aussi l'homme, le touchant au nombril, lui causant grande
appréhension, et bientôt tout un ensemble de trompes, des parasols
de trompes l'encerclent – comment résister ? Trompes qui
deviennent si vite des tentacules. Comme c'est saisissant !
Comme on s'en doutait d'ailleurs ! Oh ! Trois heures du
matin ! Heure de l'angoisse, la plus creuse, la plus maligne de
la nuit !
Les animaux à matrices multiples, aux matrices bleues de lèpre,
apparaissent vers les quatre heures du matin ; ils se retournent
tout d'un coup et vous tombez dans un lac ou dans de la boue.
Mais les yeux restent les grandes commandes de l'effroi.
Cette bête lève la patte pour se soulager. Que ne vous êtes-vous
pas méfié ? Elle lève la patte de derrière et démasque au
centre d'une touffe de poils roux un œil vert et méchant, perfide
et qui ne croit plus à rien ; ou ce sont des colliers d'yeux
dans le cou qui tournent fébrilement de tous côtés, ou les
émissaires du Juge qui vous regardent de partout sous des paupières
de pierre avec les yeux implacables de la grandeur unie à la
mesquinerie ou aux remords et qui profitent de votre raison sans
défense.
Sitôt la maladie terminée, ils s'en vont. On ne garde pas de
relations avec eux et comme les êtres vivants n'en ont pas noué, il
ne reste bientôt plus rien de l'immense troupeau, et l'on peut
reprendre une existence entièrement renouvelée [...]
Henri
Michaux – Poèmes
in
Plume
Poésie/Gallimard
- 1985
bonne nuit,
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