La vie dans les plis |
Je
me couche toujours très tôt et fourbu, et cependant on ne relève
aucun travail fatigant dans ma journée.
Possible
qu'on ne relève rien mais moi, ce qui m'étonne, c'est que je puisse
tenir bon jusqu'au soir, et que je ne sois pas obligé d'aller me
coucher dès les quatre heures de l'après-midi.
Ce
qui me fatigue ainsi, ce sont mes interventions continuelles.
J'ai
déjà dit que dans la rue je me battais avec tout le monde; je gifle
l'un, je prends les seins aux femmes, et me servant de mon pied comme
d'un tentacule, je mets la panique dans les voitures du
Métropolitain.
Quant
aux livres, ils me harassent par-dessus tout. Je ne laisse pas un mot
dans son sens ni même dans sa forme.
Je
l'attrape et, après quelques efforts, je le déracine et le détourne
définitivement du troupeau de l'auteur.
Dans
un chapitre vous avez tout de suite des milliers de phrases et il
faut que je les sabote toutes. Cela m'est nécessaire.
Parfois,
certains mots restent comme des tours. Je dois m'y prendre à
plusieurs reprises et, déjà bien avant dans mes dévastations, tout
à coup au détour d'une idée, je revois cette tour. Je ne l'avais
donc pas assez abattue, je dois revenir en arrière et lui trouver
son poison, et je passe ainsi un temps interminable.
Et
le livre lu en entier, je me lamente, car je n'ai rien compris...
naturellement. N'ai pu me grossir de rien. Je reste maigre et sec.
Je
pensais, n'est-ce pas , que quand j'aurais tout détruit, j'aurais de
l'équilibre. Possible. Mais cela tarde, cela tarde bien.
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