photo : Darlene - ZAD Notre Dame des Landes - 2012 |
[...] La peau
aspirait à reprendre son rôle d'interface. Cela se
pressentait. Banal de le dire aujourd'hui ? Point tant peut-être.
Cela s'annonce, mais l'homme est-il réconcilié avec sa
peau, après l'avoir si longtemps ignorée, ou avoir
feint de l'ignorer, et s'être voulu sourd aux voix qui la
traversent ?
Les amants
aiment la rayer de leurs ongles, mais qui écoute en plein jour
les mains industrieuses des amants, et tous les chants d'abeille qui
traversent le corps ? Qui se soucie de veiller à ce que les
pores demeurent ouverts, comme portes et fenêtres, afin que la
maison respire ?
On dit en
Orient des derviches errants, hommes en quête perpétuelle
de merveilleux, que lorsque l'inspiration les prend, ils poussent des
cris et arrachent leurs vêtements. Les chamans amérindiens,
pour recevoir les esprits, exposent leur corps à nu, pendant
des mois de retraites solitaires, aux morsures de la forêt, qui
le trouent et le maintiennent ouvert à leur venue. Ainsi ne
sont-ils jamais à l'écart des courants de force qui
sillonnent le monde, et peuvent-ils y retrouver les âmes
égarées. Leur maraca, ou leur tambour, qu'en Sibérie
on nomme échelle, leur donne accès du fond de la terre
jusqu'au plus haut des cieux. Les derviches parvenus à
l'extase s'écrient : « Dieu est en moi ! »
et les docteurs, aussitôt, les font écorcher vifs ou
brûler en place publique. Les chamans et les derviches sont des
hommes poreux, des poètes. Mais les docteurs de la Loi, où
qu'ils siègent ou prêchent, veulent que les hommes
soient imperméables. Derviches et chamans sont fatalement, un
jour ou l'autre, pourchassés comme hérétiques.
Mais il y a longtemps que, sans eux, l'humanité serait morte
d'asphyxie. [...]
Alain
Gheerbrant – La transversale – Ed. Babel - 1998
que dire... magnifique ! ...
RépondreSupprimeraspirer à la porosité...
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerOn n'oubliera pas non plus l'asphyxie des druides par le christianisme...
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