Ouvrier vivant Tu es mort, non, je suis vivant, tu n’es pas né, je
suis né, tu es mort et absent, non je suis là et vivant, tu n’existes
pas, j’existe, tu n’es pas là, je suis là, tu ne travailles pas, je
travaille, tu ne lèves pas les poutres, je lève les poutres, tu ne dors
pas, je dors, tu ne manges pas, je mange, je te ferai disparaître, je ne
peux pas disparaître, tu n’as jamais été là, j’étais là, tu ne marchais
pas, j’allais au chantier tous les matins, tu t’en vas, je ne m’en vais
pas, tu es mort, je suis vivant, tu es vieux, je suis jeune, tu es
vieux et triste, je suis jeune et joyeux, tu ne vas pas au travail, je
vais au travail, il n’y a plus de travail, il y a encore du travail, il
n’y a plus d’espoir, je suis l’espoir, il n’y a plus de force, j’ai des
forces, il n’y a plus de volonté, j’ai de la volonté, tu partiras, je
resterai, tu n’as plus le droit de marcher, je marche, tu n’as plus le
droit de parler, je parle, tu n’as pas le droit de chanter, je chante,
tu n’as plus le droit de lever les yeux, je lève les yeux et je regarde,
tu as traversé la rue en dehors du passage pour piétons, je n’ai pas
traversé la rue, je suis resté sur le même trottoir pendant toute la
durée de mon chemin, je n’ai pas traversé, tu ne chemineras plus, je
cheminerai, tu ne sais pas, je sais.Je suis la vie, je suis la vitalité,
la vie vivante, l’énergie nouvelle, la nouveauté, le sang frais, la
jeunesse du pays, la force vitale, la jeunesse au travail, l’espoir au
travail, le chantier ouvert, l’ouverture vers l’avenir, la force vive,
l’énergie fraîche, le métal souple, l’animal vivant, le nouveau
civilisé, le corps à l’oeuvre, le nouveau départ, le travail de la
naissance, la souplesse tendue, la force du travail, les rires, les
rires des vies, la prouesse, la construction, l’élan vers l’avant, les
combattants, le courage, les oeuvres ouvertes, les nouveaux hommes à
venir, la montée en vigueur, la poussée, la production, le germe du
monde à venir. Le droit ne couvre pas le monde, le monde déborde de ce
que le droit en jeu joue, est un peu plus grand, passe par les trous du
droit, le droit joue, articule, sait articuler, articule jusqu’à
l’absurde, le droit n’est pas clair avec le droit, le droit trouve des
règles introuvables, contradictoires, des règles pour ne pas pouvoir
répondre aux règles, des règles pour se retrouver devant une impasse et
ne pas pouvoir passer, dans les trous du droit la légère poussée des
voies de fait, des faits, des c’est fait pour pousser à la faute, le
droit à des trous qui ne voient pas l’homme vivant, le droit oublie, le
droit ne voit pas, le droit apporte des collections de papiers, de
papiers couverts de signes, signatures, marques de tampons, le droit est
bizarre, et pervers, et mensonger, les institutions des administrations
n’appliquent pas le droit, ne veulent pas appliquer le droit, inventent
le droit par les faits. J’amène mes fiches de paye, j’amène ma
déclaration d’impôt, j’amène mon courrier et mes quittances de loyer,
j’amène le papier qui prouve que j’ai été détenu, j’amène le visa de six
mois, j’amène mon passeport, j’amène mon acte de naissance, j’amène la
convocation, j’amène la facture de téléphone et la facture de
l’électricité, j’amène quatre photos d’identité, j’amène la preuve d’un
dépôt de dossier auprès de l’office français de protection des réfugiés
et apatrides, j’amène trois relevés de notes de mes études anciennes,
j’amène un certificat médico-légal de l’hôpital de Lyon, j’amène la
décision de rejet de l’OFPRA, j’amène un certificat de mariage, j’amène
une attestation d’hébergement, j’amène les enveloppes du courrier que
j’ai reçu à mon domicile depuis des années.Je dois faire la preuve que
je suis là pour démontrer que je suis un clandestin, je suis un homme
caché qui doit montrer tous les papiers du travail non caché fait depuis
des années pour rester caché, je montre que je n’étais pas là pendant
tout le temps où je payais mes impôts ici en travaillant ici, je dois
démontrer que j’ai été détenu pendant deux ans dans un pénitencier
secret, je dois montrer que je n’étais pas là mais que je payais mes
impôts, je ne dois pas ne pas être là, je dois montrer que je suis là
parce que je ne dois pas être là, je dois me montrer pour prouver que je
suis un véritable clandestin irrégulier, je dois me montrer sûr de mon
dossier de preuves qui prouvent que je suis un véritable clandestin, un
travailleur qui est bien resté longtemps caché dans le pays, qui n’en
sort pas, qui n’en ai jamais sorti, qui y était très bien caché, je ne
dois pas être là mais il me faut ne pas avoir été là pendant plus de dix
ans et prouver que j’étais bien l’ouvrier qui n’existait pas pendant
dix ans, je suis l’interdit, il m’est interdit d’être là, je suis le
dissimulé qui réclame d’être vu, je suis un clandestin inexistant ayant
payé ses impôts pour son travail clandestin, je suis le caché prouvé,
que je prouve que j’étais bien caché pendant dix ans, que pendant dix
ans on ne me trouvait pas et que je travaillais légalement, je dois
prouver que je suis un des meilleurs clandestin, un des meilleurs homme
caché, montrer combien je me cachais bien et que je travaillais
visiblement, légalement, honnêtement, prouver combien il est difficile
de se cacher tout en travaillant légalement, je dois faire preuve d’un
don de dissimulation de clandestin inscrit auprès des services fiscaux,
je dois prouver et démontrer que je suis bien entré dans le pays par une
voie irrégulière de façon clandestine par des chemins détournés, que
j’y suis resté de façon irrégulière longtemps, je dois prouver que je
suis vivant.Les vivants gagneront sur les morts.Les ouvriers vivants
grandiront la mort.
mais qui est derrière?
RépondreSupprimeroù?
cé@laforcemolle.org
je ne suis pas un robot
je suis né
RépondreSupprimerje suis mort
je suis le meilleur clandestin