Le poète actuel n'a pas d'autre ressource que d’être
révolutionnaire ou de ne pas être poète, car il doit sans cesse se
lancer dans l’inconnu ; le pas qu'il a fait la veille ne le dispense pas
du lendemain puisque tout est à recommencer tous les jours et que ce
qu'il a acquis à l'heure du sommeil est tombé en poussière à son réveil.
Pour lui, il n'y a aucun placement de père de famille mais le risque de
l'aventure indéfiniment renouvelé. C’est à ce prix seulement qu’il peut
se dire poète et prétendre prendre une place légitime à l'extrême
pointe du mouvement culturel, là ou il n’y a à recevoir ni louanges ni
lauriers, mais à frapper de toutes ses forces pour abattre les barrières
sans cesse renaissantes de l'habitude et de la routine.
Il ne peut être aujourd'hui que le maudit. Cette malédiction que lui lance la société actuelle indique sa position révolutionnaire ; mais il sortira de sa réserve obligée pour se voir placé à la tête de la société lorsque, bouleversée de fond en comble, elle aura reconnu la commune origine humaine de la poésie et de la science et que le poète, avec la collaboration active et passive de tous, créera les mythes exaltants et merveilleux qui enverront le monde entier à l'assaut de l'inconnu.
Préface à l'Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique.
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