Artistes, jamais le moment ne fut plus beau (...) - Théophile Gautier




Ulrike Bolenz

Artistes, jamais le moment ne fut plus beau. Rien ne gêne maintenant votre envergure; nagez à plein vol dans l’azur et la lumière, inondez-vous de rayons, enivrez-vous d’air pur, montez comme l’alouette, comme l’épervier, comme l’aigle, plus haut, toujours plus haut ! Posez sur la neige vierge des sommets inaccessibles l’empreinte étoilée de vos serres ! Que votre essor entoure la terre comme une écharpe le flanc d’une fiancée ! L’univers est à vous, le monde visible, le monde intérieur, les religions, les poésies et les histoires, les civilisations du passé, du présent et de l’avenir, tout ce que l’âme peut rêver ou concevoir.
O vous qui avez le bonheur d’être jeunes, ne craignez pas votre jeunesse, laissez-vous emporter à la fougue, à l’audace, à l’enthousiasme, à l’amour ! que ces quatre chevaux de flamme entraînent votre char rutilant sur la route de l’Empyrée ! Arrière les timides, avec leurs histoires lamentables de Phaéton et d’Icare, n’ayez pas peur de choir du ciel, c’est déjà beau d’en tomber. Pour en tomber il faut y être. N’arrêtez pas la vie qui court en torrent de pourpre dans vos veines fécondes, ne soyez pas effrayés des battements de votre cœur et du tumulte de votre âme donnant de grands coups d’ailes dans sa prison d’argile — la seule prison qui existera désormais.

Salon 1848.

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