… Là je vis aussi l'Auroch, la
Parpue, la Darelette, l'Épigrue, la Cartive avec la tête en forme
de poire, la Meige, l'Émeu avec du pus dans les oreilles, la
Courtipliane avec sa démarche d'eunuque ; des Vampires, des
Hypédruches à la queue noire, des Bourrasses à trois rangs de
poches ventrales, des Chougnous en masse gélatineuse, des Peffils au
bec en couteau ; le Cartuis avec son odeur de chocolat, des
Daragues à plumes damasquinées, les Pourpiasses à l'anus vert et
frémissant, les Baltrés à la peau de moire, les Babluites avec
leurs poches d'eau, les Carcites avec leurs cristaux sur la gueule,
les Jamettes au dos de scie et à la voix larmoyante, les Purlides
chassieux et comme décomposés, avec leur venin à double jet, l'un
en hauteur, l'autre vers le sol, les Cajax et les Bayabées, sortant
rarement de leur vie parasitaire, les Paradrigues, si agiles,
surnommés jets de pierre, les singes Rina, les singes Tirtis, les
singes Macbelis, les singes « ro » s'attaquant à tout,
sifflant par endroits plus aigu et tranchant que perroquets,
barbrissant et ramoisant sur tout le paysage jusqu'à dominer le
bruit de l'immense piétinement et le bruflement des gros
pachydermes.
De larges avenues s'ouvraient tout à
coup et la vue dévalait sur des foules d'échines et de croupes pour
tomber sur des vides qui hurlaient à fond dans la bousculade
universelle, sous les orteils de Bamanvus larges comme des tartes,
sous les rapides pattes des crèles, qui, secs et nerveux, trottent,
crottent, fouillent et pf… comme l'air.
On entendait en gong bas la bichuterie
des Trèmes plates et basses comme des punaises, de la dimension
d'une feuille de nénuphar, d'un vert olive ; elles faisaient
dans la plaine, là où on pouvait les observer, comme une lente et
merveilleuse circulation d'assiettes de couleur ; êtres
mystérieux à tête semblable à celle de la sole, se basculant tout
entiers pour manger, mangeurs de fourmis et autres raviots de cette
taille.
Marchaient au milieu les grands Cowgas,
échassiers au plumage nacré, si minces, tout en rotules, en
vertèbres et en chapelet osseux, qui font résonner dans leur corps
entier ce bruit de mastication et de salivation qui accompagne le
manger chez le chien ou chez l'homme frustre.
Henri
Michaux – La nuit remue
Poésie
/ Gallimard – 1987
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