Mars - Emmanuelle Grangé







Il ne dit pas,
ou bonne année, bon anniversaire.
À la bonne heure, il ne dit pas.
Il a creusé un terrier,
il a toujours son casque de cosmonaute,
un peu de terre dessus.
 
Il ne dit pas.
Il a des cheveux crabouillés par le service militaire
et, depuis, le front encore plus haut, le crâne basané.
Il a des certitudes estompées.
 
Il ne dit pas,
mais les grands yeux, oui,
comme ceux de la mère.
Il ressemble à la mère,
au péremptoire du père.
 
Il tempête au fond tout au fond,
rien ne se perçoit sous le casque.
 
La mère piquait sa robe cachemire
d’une fleur de satin jaune paille,
elle montrait ses bras
et les veines de ses mains;
elle plaquait ses courtes mèches blondes
et bombait le front.
Il attendait au salon,
elle lui proposait
de glisser les cigarettes menthol
dans l’étui ;
il en rangeait cinq
et claquait l’étui.
Il attendait le baiser
de celle qui partait dans la nuit
enveloppée d’une étole topaze.
Le baiser arrivait à son cou,
chatouillait son nez de sent-bon.
La porte se fermait douce.
Il appelait la station spatiale
dans son casque.
 
Il ne dit pas.
Il ne dit pas
il ne dit pas
Il appelle et dit bon anniversaire.
Il s’est souvenu
grâce au béquet sur le téléphone.
Il parle vite :
je suis fatigué, comme tout le monde
surtout ne t’inquiète pas
surtout bon anniversaire.
Je tourne pas rond, je suis fatigué
je prends la voiture parfois et je vais à Kehl…
 
Il disait, j’ai mal à la Kopf
quand il était petit, cosmonaute à Berlin.
Il n’a rien dit
quand on a envoyé la mère toute cramée toute dorée
dans son urne 
rejoindre l’océan.
 
 
Il tricotait des jambes
sur les plages de l’Adriatique.
Il se perdait.
Il disait son nom, 
de gentilles dames le ramenaient à sa mère
allongée sur le transat
lisant les Buddenbrook
à l’ombre safranée du parasol.
Elle était surprise du retour de son petit
qu’elle n’avait pas vu partir,
qui collait ses jambes aux siennes
qui lui tournait les pages.
Ils repartaient tous deux vers le lac de Constance.
Au matin dans le train,
elle tamponnait les tempes du gamin
d’un linge d’eau de camomille.
 
 
S’il pouvait il dirait.
Ou peindrait.
Il prend des semaines de repos,
il a mal à la Kopf ,
il déchausse son casque,
il me téléphone : bon anniversaire,
bons baisers, je suis en vacances.
Il dit ça, il s’enroule dans le plaid de La Montagne magique.
C’est toujours un peu difficile de suivre une étoile filante.
 

                                 Emmanuelle Grangé              

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