Dictes moy ou, n’en quel pays, Est Flora la belle Rommaine, Archipiades ne Thaïs, Qui fut sa cousine germaine, Echo parlant quant bruyt on maine Dessus riviere ou sus estan, Qui beaulté ot trop plus q’humaine. Mais ou sont les neiges d’antan?
Ou est la tres sage Helloïs, Pour qui chastré fut et puis moyne Pierre Esbaillart a Saint Denis? Pour son amour ot ceste essoyne. Semblablement, ou est la royne Qui commanda que Buridan Fust geté en ung sac en Saine? Mais ou sont les neiges d’antan?
La royne Blanche comme lis Qui chantoit a voix de seraine, Berte au grand pié, Beatris, Alis, Haremburgis qui tint le Maine, Et Jehanne la bonne Lorraine Qu’Englois brulerent a Rouan; Ou sont ilz, ou, Vierge Souvraine? Mais ou sont les neiges d’antan?
Prince, n’enquerez de sepmaine Ou elles sont, ne de cest an, Qu’a ce reffrain ne vous remaine: Mais ou sont les neiges d’antan
La démarche de Ben était toute en pirouettes – preuve suffisante
que son cœur était léger et qu'il s'attendait à de grandes
choses. Il croquait une pomme, et lançait de temps en temps un long
gloussement mélodieux, suivi par un profond ding-dong-dong,
ding-dong-dong, car il incarnait un bateau à aubes. Lorsqu'il
s'approcha, il réduisit la vitesse, prit le milieu de la rue, pencha
franchement à tribord et se mit en panne avec une solennité pesante
et une application des plus laborieuse – car il incarnait le Big
Missouri et ne pouvait pas
oublier qu'il avait un tirant d'eau de neuf pieds. Il était à la
fois navire, et capitaine, et cloche des machines, de sorte qu'il
devait s'imaginer debout sur son propre pont supérieur en
train de donner des ordres, tout en les exécutant :
« Stoppez les machines ! Dring-drelin-drelin ! »
Courant sur son erre, il remonta lentement vers le trottoir.
« Navire prêt à appareiller ! Dring-drelin-drelin ! »
Ses bras s'abaissèrent et se raidirent le long de ses flancs.
« La barre à tribord ! Dring-drelin-drelin !
Tchou-tchou-tchou ! » Sa main droite, entre-temps, s'était
mise à décrire de larges cercles – car elle représentait une
roue de quinze mètres de diamètre.
« Machine arrière, barre à bâbord !
Dring-drelin-drelin ! Tchou-tchou-tchou ! » La main
gauche se mit à décrire des cercles.
« Tribord stop !
Dring-drelin-drelin ! Bâbord stop ! En avant tribord !
Stop ! Lentement la roue extérieure !
Dring-drelin-drelin ! Tchou-ch-tchou-tchou ! Fixez-moi
cette amarre de bout avant ! Remuez-vous !
Allez - on jette l'amarre en garde – mais qu'est-ce que tu fais,
toi là-bas ? On fait un tour sur le taquet avec la boucle !
Attendez, sur l'appontement – laissez-le finir sa course !
Lâchez la vapeur ! Dring-drelin-drelin ! Tch't !
Tch't ! Tch't ! (il
vérifia les robinets de jauge).
Sans doute ne sommes-nous pas physiquement semblables : mes
jambes doivent être beaucoup plus longues que les vôtres, et ma
tête haut perchée, est par là, heureusement balancée ; notre
tour de poitrine diffère aussi, ce qui probablement, vous empêchera
de pleurer et rire avec moi.
Pour la plupart des humains, chaque soir est un petit trépas, chaque
matin une grande résurrection.
Schulmeister dort dans le noir, se réveille dans le noir, mange dans
le noir, passe sa vie dans le noir. Le noir cavalier de l'Apocalypse,
c'est lui. Chaque matin jette à ses pieds la dépouille des coyotes
de la mort. Il semble qu'à peine né, la maison se soit effondrée
sur son berceau et que sa vie se résume à une histoire de mauvaise
fée. Schulmeister a depuis toujours ruiné l'intelligence que l'on
pourrait avoir de lui, effacé les chemins, condamné les portes. Il
n'y est pour personne.
Ce qui n'est pas sans poser problème pour un biographe.
L’Autre - Charlie Galibert - éditions Anacharsis - 2008
Ce
lundi 23 septembre, j’entame une grève de la faim. C’est une
méthode extrême, mais je suis absolument certaine que, dans la
situation où je me trouve, c’est la seule solution.
La
direction de la colonie pénitentiaire refuse de m’entendre. Mais
je ne renoncerai pas à mes revendications, je n’ai pas l’intention
de rester sans rien dire et de regarder sans protester les gens
tomber d’épuisement, réduits en esclavage par les conditions de
vie qui règnent dans la colonie. J’exige le respect des droits de
l’homme dans la colonie, j’exige le respect des lois dans ce camp
de Mordovie. J’exige que nous soyons traitées comme des êtres
humains et non comme des esclaves.
Voici
un an que je suis arrivée à la colonie pénitentiaire n°14 du
village de Parts. Les détenues le disent bien — « Qui n’a
pas connu les camps de Mordovie n’a pas connu les camps tout
court». Les camps de Mordovie, j’en avais entendu parler alors
que j’étais encore en préventive à la prison n°6 de Moscou.
C’est là que le règlement est le plus sévère, les journées de
travail les plus longues, et l’arbitraire le plus criant. Quand
vous partez pour la Mordovie, on vous fait des adieux comme si vous
partiez au supplice. Jusqu’au dernier moment chacune espère –
« peut-être, quand même, ce ne sera pas la Mordovie ?
Peut-être que j’y échapperai ? » Je n’y ai pas
échappé, et à l’automne 2012 je suis arrivée dans cette région
de camps sur les bords du fleuve Parts.
La
Mordovie m’a accueillie par la voix du vice-directeur en chef du
camp, le lieutenant-colonel Kouprianov, qui exerce de fait le
commandement dans la colonie n°14 : « Et sachez que
sur le planpolitique, je suis un staliniste.» L’autre
chef (ils dirigent la colonie en tandem), le colonel Koulaguine, m’a
convoquée le premier jour pour un entretien dont le but était de me
contraindre à reconnaître ma faute. « Il vous est arrivé
un malheur. C’est vrai, non? On vous a donné deux ans de camp.
D’habitude, quand il leur arrive un malheur, les gens changent leur
point de vue sur la vie. Vous devez vous reconnaître coupable pour
avoir droit à une libération anticipée. Si vous ne le faites pas,
il n’y aura pas de remise de peine. »
J’ai
tout de suite déclaré au directeur que je n’avais l’intention
d’effectuer que les huit heures de travail quotidiennes prévues
par le Code du Travail. « Le Code du Travail, c’est une
chose, mais l’essentiel, c’est deremplir les quotas de
production. Si vous ne les remplissez pas, vous faites des heures
supplémentaires. Et puis, on en a maté des plus coriaces que vous,
ici ! », m’a répondu le colonel Koulaguine.
Toute
ma brigade à l’atelier de couture travaille entre 16 et 17 heures
par jour. De 7.30 à minuit et demie. Dans le meilleur des cas, il
reste quatre heures de sommeil. Nous avons un jour de congé toutes
les six semaines. Presque tous les dimanches sont travaillés. Les
détenues déposent des demandes de dérogation pour travailler les
jours fériés, « de leur propre initiative », selon la
formule employée. En réalité, bien entendu, c’est tout sauf leur
initiative, ces demandes de dérogation sont écrites sur l’ordre
de la direction du camp et sous la pression des détenues qui
relaient la volonté de l’administration.
Personne
n’ose désobéir (refuser d’écrire une demande d’autorisation
à travailler le dimanche, ne pas travailler jusqu’à une heure du
matin). Une femme de 50 ans avait demandé à rejoindre les bâtiments
d’habitation à 20 heures au lieu de minuit, pour pouvoir se
coucher à 22h et dormir huit heures ne serait-ce qu’une fois par
semaine. Elle se sentait mal, elle avait des problèmes de tension.
En réponse, il y a eu une réunion de notre unité où on lui a fait
la leçon, on l’a insultée et humiliée, on l’a traitée de
parasite. « Tu crois que tu es la seule à avoir sommeil? Il
faudrait t’atteler à une charrue, grosse jument ! »
Quand le médecin dispense de travail une des femmes de la brigade,
là encore, les autres lui tombent dessus : « Moi je
suis bien allée coudre avec 40 degrés de température ! Tu y
as pensé, à qui allait devoir faire le travail à ta place ? »
A
mon arrivée, j’ai été accueillie dans ma brigade par une
détenue qui touchait à la fin de ses neuf ans de camp. Elle m’a
dit : « Les matons ne vont pas oser te mettre la
pression. C’est les taulardes qui le feront pour eux.» Et en
effet, le règlement est pensé de telle façon que ce sont les
détenues qui occupent les fonctions de chef d’équipe ou de
responsable d’unité qui sont chargées de briser la volonté des
filles, de les terroriser et de les transformer en esclaves muettes.
Pour
maintenir la discipline et l’obéissance dans le camp, il existe
tout un système de punitions informelles: « rester dans la
cour jusqu’à l’extinction des feux » (interdiction
d’entrer dans les baraquements, que ce soit l’automne ou même
l’hiver – dans l’unité n°2, celle des handicapées et
des retraitées, il y a une femme à qui on a amputé un pied et tous
les doigts des mains : on l’avait forcée à passer une
journée entière dans la cour — ses pieds et ses mains
avaient gelés), « barrer l’accès à l’hygiène »
(interdiction de se laver et d’aller aux toilettes), « barrer
l’accès au cellier et à la cafétéria » (interdiction de
manger sa propre nourriture, de boire des boissons chaudes). C’est
à rire et à pleurer quand une femme de 40 ans déclare « Allons
bon, on est punies aujourd’hui ! Est-ce qu’ils vont nous
punir demain aussi, jeme demande ? » Elle ne
peut pas sortir de l’atelier pour faire pipi, elle ne peut pas
prendre un bonbon dans son sac. Interdit.
******
Obsédée
par le sommeil, rêvant juste d’une gorgée de thé, la prisonnière
exténuée, harcelée, sale devient un matériau docile à la merci
de l’administration, qui ne voit en nous qu’une main-d’œuvre
gratuite. En juin 2013, mon salaire était de 29 roubles (moins d’un
euro !). Alors que la brigade produisait 150 uniformes de
policier par jour. Où passe le produit de la vente de ces
uniformes?
"Non mais tu te crois où ? C'est la Russie,
ici, non ?"
A
plusieurs reprises, le camp a touché des subsides pour changer
complètement les équipements. Mais la direction s’est contentée
de faire repeindre les machines à coudre par les détenues
elles-mêmes. Nous devons coudre sur des machines obsolètes et
délabrées. D’après le Code du Travail, si l’état des
équipements ne correspond pas aux normes industrielles
contemporaines, les quotas de production doivent être revus à la
baisse par rapport aux quotas-type du secteur. Mais les quotas de
production ne font qu’augmenter. Par à-coup et sans prévenir.
« Si
on leur montre qu’on peut faire 100 uniformes, ils vont placer la
barre à 120 ! », disent les ouvrières expérimentées.
Or, on ne peut pas ne pas les faire – sinon toute l’équipe sera
punie, toute la brigade. Elle sera obligée, par exemple, de rester
plusieurs heures debout sur la place d’armes. Avec interdiction
d’aller aux toilettes. Avec interdiction de boire une gorgée
d’eau.
Voici
deux semaines, le quota de production pour toutes les brigades de la
colonie pénitentiaire a été arbitrairement augmenté de 50 unités.
Si avant la norme était de 100 uniformes par jour, maintenant elle
est de 150. D’après le Code du Travail, les travailleurs doivent
être prévenus des changements de quotas de production au moins deux
mois à l’avance. Dans la colonie n°14, nous nous réveillons un
beau jour avec un nouveau quota, parce que c’est venu à l’idée
de nos « marchands de sueur », c’est comme ça que les
détenues ont surnommé la colonie. L’effectif de la brigade baisse
(certaines sont libérées ou changent de camp), mais les quotas de
production augmentent, et celles qui restent travaillent de plus en
plus dur.
******
Les
mécaniciens nous disent qu’ils n’ont pas les pièces détachées
nécessaires aux réparations, et qu’il ne faut pas compter
dessus : « Quand est-ce qu’on va les recevoir ?
Non mais tu te crois où pour poser des questions pareilles ?
C’est la Russie, ici, non ?! »
En
quelques mois à la fabrique de la colonie, j’ai pratiquement
appris le métier de mécanicien. Par force et sur le tas. Je me
jetais sur les machines le tournevis à la main, dans une tentative
désespérée de les réparer. Tes mains ont beau être couvertes de
piqûres d’aiguilles, d’égratignures, il y a du sang partout sur
la table, mais tu essaies quand même de coudre. Parce que tu es un
rouage de cette chaîne de production, et, ta part de travail, il est
indispensable que tu la fasses aussi vite que les couturières
expérimentées. Et cette fichue machine qui tombe tout le temps en
panne !
Comme
tu es la nouvelle, et vu le manque d’équipements de qualité au
camp, c’est toi, bien sûr, qui te retrouves avec le pire moteur de
la chaîne. Et voilà que le moteur tombe de nouveau en panne, tu te
précipites à la recherche du mécanicien (qui est introuvable), les
autres te crient dessus, t’accusent de faire capoter le plan, etc.
Aucun apprentissage du métier de couturière n’est prévu dans la
colonie. On installe la nouvelle à son poste de travail et on lui
donne une tâche.
« Tu
ne serais pas Tolokonnikova, ça fait longtemps qu’on t’aurait
réglé ton compte » - disent les détenues qui sont en
bons termes avec l’administration. Et en effet, les autres prennent
des coups. Quand elles sont en retard dans leur travail. Les reins,
le visage. Ce sont les détenues elles-mêmes qui frappent, mais pas
de passage à tabac dans la colonie qui ne se produise sans l’aval
de l’administration. Il y a un an, avant mon arrivée, on a battu à
mort une tsigane dans l’unité n°3 (l’unité n°3 est l’unité
punitive, c’est là que l’administration envoie celles qui
doivent subir des passages à tabac quotidiens). Elle est morte à
l’infirmerie de la colonie n°14. Qu’elle soit morte sous les
coups, l’administration a réussi à le cacher : ils ont
inscrit comme cause du décès une attaque cérébrale.
Dans
une autre unité, les nouvelles couturières, qui n’arrivaient pas
à remplir la norme, ont été forcées de se déshabiller et de
travailler nues. Personne n’ose porter plainte auprès de
l’administration, parce que l’administration te répondra par un
sourire et te renverra dans ton unité, où, pour avoir
« mouchardé », tu seras rouée de coups sur ordre de
cette même administration. Ce bizutage contrôlé est un moyen
pratique pour la direction de la colonie de soumettre complètement
les détenues à un régime de non-droit.
Il
règne dans l’atelier une atmosphère de nervosité toujours lourde
de menaces. Les filles, en manque constant de sommeil et
perpétuellement stressées par cette course inhumaine à la
production, sont prêtes à exploser, à hurler, à se battre sous le
moindre prétexte. Il n’y a pas longtemps, une jeune fille a reçu
un coup de ciseaux à la tempe parce qu’elle n’avait pas fait
passer un pantalon assez vite. Une autre fois, une détenue a tenté
de s’ouvrir le ventre avec une scie. On a réussi à l’en
empêcher.
Celles
qui étaient à la colonie n°14 en 2010, l’année des incendies
(de forêt) et de la fumée, racontent qu’alors que l’incendie se
rapprochait des murs d’enceinte les détenues continuaient de se
rendre au travail et de remplir leur norme. On ne voyait pas à deux
mètres à cause de la fumée, mais les filles avaient attaché des
foulards humides autour de leur visage et continuaient de coudre.
L’état d’urgence faisait qu’on ne les conduisait plus au
réfectoire. Certaines femmes m’ont raconté qu’elles avaient
atrocement faim, et qu’elles tenaient un journal pour noter toute
l’horreur de ces journées. Une fois les incendies éteints, les
services de sécurité ont fouillé les baraquements de fond en
comble et confisqué tous ces journaux, afin que rien ne
transparaisse à l’extérieur.
Les
conditions sanitaires à la colonie sont pensées pour que le détenu
se sente comme un animal sale et impuissant. Et bien qu’il y ait
des sanitaires dans chaque unité, l’administration a imaginé,
dans un but punitif et pédagogique, un « local sanitaire
commun » : c’est à dire une pièce prévue pour 5
personnes, où toute la colonie (800 personnes) doit venir se laver.
Nous n’avons pas le droit de nous laver dans les sanitaires de nos
baraquements, ce serait trop pratique !
Dans
le « local sanitaire commun », c’est la bousculade
permanente, et les filles, armées de bassines, essaient de laver au
plus vite « leur nounou » (c’est comme ça qu’on dit
en Mordovie), quitte à se grimper les unes sur les autres. Nous
avons le droit de nous laver les cheveux une fois par semaine. Mais
même cette « journée de bain » est parfois annulée. La
raison – une pompe qui a lâché, une canalisation qui est bouchée.
Il est arrivé qu’une unité ne puisse pas se laver pendant deux ou
trois semaines
.
Quand
un tuyau est bouché, l’urine reflue depuis les sanitaires vers les
dortoirs et les excréments remontent par grappes. Nous avons appris
à déboucher nous-mêmes les canalisations, mais la réparation ne
tient pas longtemps, elles se bouchent encore et encore. Il n’y a
pas de furet pour déboucher les tuyaux dans la colonie. La lessive a
lieu une fois par semaine. La buanderie, c’est une petite pièce
avec trois robinets d’où coule un mince filet d’eau froide.
Toujours
dans un but éducatif, il faut croire, on ne donne aux détenues que
du pain dur, du lait généreusement coupé d’eau, des céréales
toujours rances et des pommes de terres pourries. Cet été la
colonie a reçu une grosse livraison de tubercules noirâtres et
gluants. Qu’on nous a fait manger.
On peut tout supporter. Tout ce qui ne concerne que
soi"
On
parlerait sans fin des conditions de vie et de travail dans la
colonie n°14. Mais le reproche principal que je fais à cette
colonie est d’un autre ordre. C’est que l’administration
emploie tout son possible pour empêcher que la moindre plainte, la
moindre déclaration concernant la colonie n°14 ne sorte de ses
murs. Le plus grave, c’est que la direction nous contraint au
silence. Sans reculer devant les moyens les plus bas et les plus
vicieux. De ce problème découlent tous les autres – les quotas de
travail excessifs, la journée de travail de 16 heures etc.
La
direction se sent invulnérable et n’hésite pas à opprimer
toujours plus les détenues. Je n’arrivais pas à comprendre les
raisons pour lesquelles tout le monde se taisait avant d’avoir à
affronter moi-même la montagne d’obstacles qui se dresse en face
du détenu qui a décidé d’agir. Les plaintes ne peuvent pas
sortir du territoire de la colonie. La seule chance, c’est de faire
passer sa plainte par son avocat ou sa famille. L’administration,
mesquine et rancunière, emploie tous les moyens de pression pour que
le détenu comprenne que sa plainte n’arrangera rien pour personne.
Elle ne fera que rendre les choses pires. La direction a recours aux
punitions collectives : tu te plains qu’il n’y ait pas d’eau
chaude ? On coupe l’eau complètement.
******
En
mai 2013, mon avocat Dmitri Dinze a déposé devant le Parquet
Général une plainte visant les conditions de vie dans la colonie
n°14. Le lieutenant-colonel Kouprianov, directeur-adjoint du camp, a
aussitôt instauré des conditions intenables dans le camp :
fouilles et perquisitions à répétition, rapports sur toutes les
personnes en relation avec moi, confiscation des vêtements chauds et
menace de confisquer aussi les chaussures chaudes. Au travail, ils se
sont vengés en donnant des tâches de couture particulièrement
complexes, en augmentant les quotas de production et en créant
artificiellement des défauts. La chef de la brigade voisine de la
mienne, qui est le bras droit du lieutenant-colonel Kouprianov,
incitait ouvertement les détenues à lacérer la production dont je
suis responsable à l’atelier, afin qu’on m’envoie au cachot
pour « dégradation de biens publics. » La même femme a
ordonné à des détenues de son unité de me provoquer à une rixe.
On
peut tout supporter. Tout ce qui ne concerne que soi-même. Mais la
méthode de responsabilité collective en vigueur dans la colonie a
des conséquences plus graves. Ce que tu fais, c’est toute ton
unité, tout le camp qui en souffre. Et le plus pervers –
souffrent toutes celles qui te sont devenues chères. Une de mes
amies a été privée de sa libération anticipée, libération
qu’elle essayait depuis sept ans de mériter par son travail,
remplissant et dépassant même son quota de production : elle a
reçu un blâme parce que, elle et moi, nous avons pris ensemble un
verre de thé. Le jour même, le lieutenant-colonel Kouprianov l’a
transférée dans une autre unité.
Une
autre de mes connaissances, une femme très cultivée, a été
envoyée dans l’unité punitive, où elle est battue tous les
jours, parce qu’elle a lu et commenté avec moi le document
intitulé « Règlement intérieur des centrespénitentiaires ». Des rapports ont été constitués
sur toutes les personnes qui sont en contact avec moi. Ce qui me
faisait mal, c’était de voir persécuter des femmes qui me sont
proches. Le lieutenant-colonel Kouprianov m’a dit alors en ricanant
– « Ilne doit plus te rester beaucoup d’amies ! ».
Et il a expliqué que, tout cela, c’était à cause de la plainte
de mon avocat.
A
présent je comprends que j’aurais déjà dû déclarer ma grève
de la faim dès le mois de mai, dans la situation d’alors. Mais
devant la pression terrible que l’administration mettait sur les
autres détenues, j’avais suspendu mes plaintes contre la colonie.
Il
y a trois semaines, le 30 août, j’ai adressé au
lieutenant-colonel Kouprianov une requête pour qu’il accorde à
toutes les détenues de ma brigade 8 heures de sommeil. Il s’agissait
de réduire la journée de travail de 16 à 12 heures. « Très
bien, à partir de lundi la brigade ne va travailler que huit
heures », a-t-il répondu. Je sais que c’est un piège
parce qu’en huit heures, il est physiquement impossible de remplir
notre quota de couture. Et du coup la brigade n’y arrivera pas et
sera punie.
« Et
si elles apprennent que tout ça, c’est de ta faute, a continué
le lieutenant-colonel, plus jamais tu ne te sentiras mal, parce
que, dans l’autre monde, on se sent toujours bien.» Le
lieutenant-colonel a fait une pause et a ajouté: « Dernière
chose : ne demande jamais pour les autres. Demande seulement
pour toi. Ca fait des années que je travaille dans les camps, et
tous ceux qui viennent me demander quelque chose pour quelqu’un
d’autre - ils vont directement au cachot en sortant de mon bureau.
Toi, tu seras la première à qui ça n’arrivera pas. »
Les
semaines qui ont suivi, dans l’unité et à l’atelier, les
conditions ont été insupportables pour moi. Les détenues proches
de l’administration ont commencé à inciter les autres à la
vengeance : « Voilà, vous êtes punies pour une
semaine : interdiction de prendre le thé et de manger en dehors
du réfectoire, suppression des pauses toilettes et cigarettes. A
partir de maintenant, vous serez punies tout le temps si vous ne
changez pas de comportement envers les nouvelles et Tolokonnikova en
particulier — faites leur ce qu’on vous a fait, à
vous. On vous a bien cognées, non ? On vous a bien cassé la
gueule ? Eh bien, défoncez-les, elles aussi. Pour ça, personne
ne vous dira rien. »
Plus
d’une fois on a essayé de provoquer des conflits et des rixes avec
moi, mais quel sens ça aurait d’entrer en conflit avec des femmes
qui ne sont pas libres de leurs actes et agissent sur ordre de
l’administration ?
Les
détenues de Mordovie ont peur de leur ombre. Elles sont terrorisées.
Et si hier encore elles étaient bien disposées à mon égard et
imploraient « Fais quelque chose pour les 16 heures de
travail ! », après la pression que la direction a
fait peser sur moi, elles ont peur même de m’adresser la parole.
J’ai
proposé à l’administration d’apaiser ce conflit, de mettre fin
à la tension artificiellement entretenue contre moi par les détenues
soumises à l’administration, ainsi qu’à l’esclavage de la
colonie toute entière en réduisant la journée de travail, et en
ramenant le quota de production à la norme prévue par la loi. Mais
en réponse la pression est encore montée d’un cran. C’est
pourquoi, à partir de ce lundi 23 septembre, j’entame une grève
de la faim et je refuse de participer au travail d’esclave dans le
camp, tant que la direction ne respectera pas les lois et ne traitera
pas les détenues non plus comme du bétail offert à tous les
arbitraires pour les besoins de la production textile, mais comme des
personnes humaines.
Nadejda Tolokonnikova.
Traduction
du russe Marie N. Pane
Pussy Riot - A Punk Prayer / Réalisateur : Mike Lerner
….. : « Là. Regarde voir la Terre - » ; je
lui tendis ma longue=vue de poche ; (car elle était justement
là=haut dans le ciel, légèrement bouffie, dans le plexiglas.) Il
s'empara de la lunette d'un air écœuré . (Et la tint d'une
vilaine façon ; un peu comme un homme tient son urètre.....
N'observa la boule cotonneuse que brièvement. / «
Pourquoi en fait n'a=t=on pas le droit de regarder la Terre montante
par=dessus l'épaule gauche ? » sinforma=t=il ensuite :
« C'est Patterson qui l'a affirmé récemment. » :
« Quel freluquet superstitieux ! » dis=je avec
mépris ; (plus ça va, plus ils tombent sur de ces idées !).
Et Djordch était toujours encore d'humeur sombre ; il faisait
une satire sur chaque constellation qu'il arrivait à
reconnaître.....
Van
Gogh n’est pas mort d’un état de délire propre,
mais
d’avoir été corporellement le champ d’un problème autour
duquel, depuis les origines, se débat l’esprit inique de cette
humanité,
celui
de la prédominance de la chair sur l’esprit, ou du corps sur la
chair, ou de l’esprit sur l’un et l’autre,
Et
où est dans ce délire la place du moi humain ?
Van
Gogh chercha le sien pendant toute sa vie, avec une énergie et une
détermination étranges.
Et
il ne s’est pas suicidé dans un coup de folie, dans la transe de
n’y pas parvenir,
mais
au contraire il venait d’y parvenir et de découvrir ce qu’il
était et qui il était, lorsque la conscience générale de la
société, pour le punir de s’être arraché à elle,
le
suicida.
Et
cela se passa avec Van Gogh comme cela se passe toujours d’habitude,
à l’occasion d’une partouse, d’une messe, d’une absoute, ou
de tel autre rite de consécration, de possession, de succussion ou
d’incubation.
Elle
s’introduisit donc dans son corps.
cette
société
absoute,
consacrée,
sanctifiée
et
possédée,
effaça
en lui la conscience surnaturelle qu’il venait de prendre, et telle
une inondation de corbeaux noirs dans les fibres de son arbre
interne,
le
submergea d’un dernier ressaut,
et,
prenant sa place,
le
tua.
Car
c’est la logique anatomique de l’homme moderne, de n’avoir
jamais pu vivre, ni penser vivre, qu’en possédé.