Cette nuit ou jamais... - Arno Schmidt





Le saut réussit du premier coup : la moitié de mon corps était sur le sommet du mur, je balançai haut les jambes, saisis la corde par le milieu, en entourai le créneau proche et le suspendis, la double corde dans la main : quand j'eus atteint l'éboulis, il en restait encore deux bons pieds. En haut repassait le tic-tac de la garde – N'allaient-ils pas lever les yeux, coincés dans la défiance, au-dessus de leurs gueules de veilleurs mi-ouvertes – je dus me mettre le poing dans la gorge : par pure malice ! Car passait en nasillant une voix de fausset douceâtre de chambre à coucher : « Cette nuit ou jamais... » Je hochais la tête, m'étouffant, les yeux brillants, tordu de rire : ça tombait à pic ! Symbolique de la quatrième phylè ! Alors je tirai sur le bout libre ; la corde de chiffon descendit en froufroutant ; je la tressai en filet autour d'une pierre, la pris sous le bras et entrai jusqu'au menton dans la mer (à peine supportable, l'eau ; manque d'habitude). Je laissai tomber le bloc, pris une fois de plus la direction de l'île et m'allongeai sur les flots, plat comme un copeau. - Ça allait ; bras et jambes trouvèrent aussitôt le rythme oublié depuis si longtemps (doucement, doucement au début…). Oui, j'avais encore ma belle nage rapide de côté. - Mais c'était trop lent ; je devais souvent me mettre sur le dos, haletant, crachant (sur trois mille grimaces d'étoiles) ; en pivotant, lançai à nouveau les bras en cuiller, les jambes se remirent à cisailler. Puis la sombre silhouette de l'île se rapprocha, sol de pierre, l'eau ne portait plus, je me hissai, épuisé, sur la bande de sable, dans des buissons. -


Arno Schmidt - Gadir ou Connais-toi toi-même.
Traduction Dominique Dubuy – Pierre Pachet.
Pierre Bourgois éditeur - 1998


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