Le
saut réussit du premier coup : la moitié de mon corps était
sur le sommet du mur, je balançai haut les jambes, saisis la corde
par le milieu, en entourai le créneau proche et le suspendis, la
double corde dans la main : quand j'eus atteint l'éboulis, il
en restait encore deux bons pieds. En haut repassait le tic-tac de la
garde – N'allaient-ils pas lever les yeux, coincés dans la
défiance, au-dessus de leurs gueules de veilleurs mi-ouvertes – je
dus me mettre le poing dans la gorge : par pure malice !
Car passait en nasillant une voix de fausset douceâtre de chambre à
coucher : « Cette nuit ou jamais... » Je hochais la
tête, m'étouffant, les yeux brillants, tordu de rire : ça
tombait à pic ! Symbolique de la quatrième phylè !
Alors je tirai sur le bout libre ; la corde de chiffon descendit
en froufroutant ; je la tressai en filet autour d'une pierre, la
pris sous le bras et entrai jusqu'au menton dans la mer (à peine
supportable, l'eau ; manque d'habitude). Je laissai tomber le
bloc, pris une fois de plus la direction de l'île et m'allongeai sur
les flots, plat comme un copeau. - Ça allait ; bras et jambes
trouvèrent aussitôt le rythme oublié depuis si longtemps
(doucement, doucement au début…). Oui, j'avais encore ma belle
nage rapide de côté. - Mais c'était trop lent ; je devais
souvent me mettre sur le dos, haletant, crachant (sur trois mille
grimaces d'étoiles) ; en pivotant, lançai à nouveau les bras
en cuiller, les jambes se remirent à cisailler. Puis la sombre
silhouette de l'île se rapprocha, sol de pierre, l'eau ne portait
plus, je me hissai, épuisé, sur la bande de sable, dans des
buissons. -
Arno
Schmidt - Gadir ou Connais-toi toi-même.
Traduction
Dominique Dubuy – Pierre Pachet.
Pierre
Bourgois éditeur - 1998
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