De la mesure de l'altruisme - Charlie Galibert






Ribbertrop aimait bien son surnom de Goodfellow.

Il lui arrivait de jouer avec lui, d'en composer de musicales variations :

Goodhollow,
Goodbellow...

Ami, ennemi, frère, rival, son altruisme, de toute façon, était aussi court qu'une balle de 44.

Et aussi radical.



Charlie Galibert - L'Autre              
Anacharsis - 2008              


musik beim ertrinken ! (théâtre contanputride) - beurklaid



Harold Edgerton
Death of a light bulb, c1936



il ne sait rien faire et ça il sait bien le faire
le rien
très bien
tu fais jamais les affaires comme il faut
et bien
bim
je ne ferais plus les affaires
vos affaires
je fais et je défais mes affaires à présent
je dérange les affaires

et puis pourquoi continuer à faire quelque chose
puisque tout fout le camp

on va se vautrer tous ensemble gaiement
il suffit d'attendre le vautrage à la française
le grand vautrage qui vient
le naufrage
la porcherie
l'érection
la putréfaction
ou tout bonnement
et oui
l'insurrection qui vient
selon les tempéraments
(rayer les mentions inutiles)

au bord de l'autoroute
dans un transat traité transatlantique ou autre
une clope et un rhum au bec
j'attends la vague en slibard
avec un carton et une citation
d'un poète mort aimant les bassets
et les distorsions

il n'y a rien à attendre les renards
va falloir gratter avec vos griffes de corbacs

je ne vais pas travailler pour eux si c'est pour qu'ils me mettent au chômage
je me limoge très bien tout seul
place blanqui eh eh

give moi juste un peu de fric
lorsque je viendrais pleurer dans ton bureau de connard avec mon tournevis
théâtre de ma dernière représentation psychotique

crachez
pour mes 17 ans de sommeil
larbiné
périmé
enfumé par vos soins
pensées pour les gens que vous avez morcelé en 4 méthodiquement

lâchez le flouze racailles sinon je vous sulfate !

(abyssale crédulité en héritage)

après
je me démerde
laissez tomber
je vais travailler à la fin du travail
travail au sens où on l'entend habituellement c'est-à-dire
grosse jeanfoutrerie gore
servilité supersonique
abrutissante humiliation
pour se détourner
de la grande question qu'on ne veut se poser
qu'on veut aussi nous empêcher de nous poser
que faire avant ma putain de mort de ma putain de vie ?

bouffe ton yaourt cancérigène aromatisé à la place
ta tête enculant ton écran

j'en ai assez de leur envoyer des candidatures et de me rabaisser
c'est possible de dire ça à quelqu'un ?
qu'on en a plus rien à foutre

3949 en force allo
bonjour paul pote emploi,
j'en ai rien à foutre,
viens on va se prendre un café l'agent
oui c'est moi qui t'invite avec les indemnités
on va fonder une communauté entre amis
et jouer de la musique indus et chanter des mantras

réciter des textes perraves ?
oui, les miens et les tiens
mais j'ai du Brecht et du Hölderlin
et du Calaferte aussi et du Schmidt
t'inquiète

est-ce possible de dire
que l'on a plus envie de travailler pour eux
et toutes ces vieilles limaces corrompues
mais pour soi et pour son entourage proche et
de proche en proche de villages en villages
tenter d'essaimer de discuter et de critiquer
ce qui ne va pas dans notre scientifique
écroulement
écoulement
de
pus
improductif

(faire en sorte modestement que son entourage se sente bien
ce sera déjà pas mal

expérimenter
goûter

et organisation de filières de fuite depuis la capitale)

on ira tu verras
à la cambrousse au bord d'une rivière

mais y'a plus trop de cambrousses
et les rivières sont sèches

alors nous nous installerons en zone morte près d'une centrale nucléaire
au bord d'une zone commerciale ou pavillonnaire désaffectée là où c'est moins cher
et je chanterai la beauté de la décrépitude au soleil

oh la jolie pousse de plante verte dans le béton ! (peut-être)
comme c'est joli ! (flot de bagnoles)

et puis je lirais du James Ballard de la fin des temps
ça sera trop cool

le nez dans le décolleté
d'une métisse sexy bombée ayant bossé
dans la poterie en asie
qui me cabossera la bite
sur une volvo végétalisée
désossée de 673123 kms

ma bite étant tartinée au fromage de chèvres
mutantes améliorées et sous rfid conçues
pour une planète plus intelligente

disponibles dans votre magasin
(connectez-vos bites!)
sois stupide tête de con. 



 

tous les bestiaux sont en double dans l’arche - Jacques Jouet



Bruegel - Carnaval

Merci l'escargot.


Les petits et les grands, les géants et les nains, les sellés, les montés, les bâtés, les attelés, les offerts en holocauste, les domestiqués, les salariés, les effarouchés, les amputés, les châtrés, les pêchés, les chassés, les lâchés, les repris, les piqués, les battus, les contents, les gonflés, les haïs, les tondus, les trop caressés, les sodomisés, les mal compris, les peu connus, les petits rois, les pauvres, les égarés, les testés, les galeux, les à particule, les disparus, les tordus, les torturés, les bouillis, les hachés, les de course et les représentés… tous les bestiaux sont en double dans l’arche.

Jacques Jouet, Du jour, 20 mai 1995


je bois stratégiquement - Arno Schmidt


Charles Bukowski


« Du reste je peux seulement lire des poèmes en public si je suis – euh – illuminé : comme vous savez, je bois stratégiquement... »


Arno Schmidt – En allant vers le soleil…..
In Vaches en demi-deuil
Traduction Claude Riehl
Éditions Tristram - 2000



Un festin de baies - Gary Snyder





1



Fourrure couleur de boue, vieille crapule

Au pas régulier, vagabond,

Gloire au Sale Coyote, gros

Chiot branleur, affreux joueur,

Généreux en friandises.



Dans la merde d'ours trouve-le en août,

Tas régulier sur le sentier parfumé, fin

Août, peut-être près d'un Mélèze

L'ours a mangé les baies.

Pré d'altitude, fin d'été, plus de neige

Ours noir

mangeant des baies, marié

À une femme aux seins sanguinolents

À force d'allaiter des oursons mi-humains.



Et bien sûr il y a toujours des gens

pour encaisser et marchander,

baragouinant toute la journée.



« Où je décoche mes flèches

« S'étend l'ombre du tournesol

- chanson du serpent à sonnettes

lové contre l'arête du rocher

« K'ak, k'ak, k'ak !

Chanta le Coyote. S'accouplant avec

l'humanité -



La tronçonneuse découpe des planches de pin,

Des chambres à coucher de banlieue, innombrables,

Vacilleront sous ce grain et ces nœuds,

Les formes hallucinantes s'évanouiront peu à peu

Chaque matin au réveil des banlieusards -

Planches assemblées bord à bord sur la charpente

une boîte pour enfermer les bipèdes.



et l'ombre pivote autour de l'arbre

Atteint le buisson de baies

de feuille en feuille, chaque jour

L'ombre pivote autour de l'arbre.





2

Trois, en bas, par les fenêtres

Chats de l'aube bondissant, tous rayés de brun,

Moustaches gris feu

morceaux de souris sur la langue



Laver la cafetière à la rivière

le bébé réclame son petit déjeuner

Ses seins, aréoles noires, veines bleues, lourds,

Pendant sous la chemise flottante

pressés de la main libre

jet blanc dans trois tasses.

Chats de l'aube

tout tout en bas



Les ruisseaux sont clairs, où se cachent les truites

Nous chiquons du tabac noir

Dormons sur des aiguilles pendant de longs après-midi

« vous serez hibou

« vous serez moineau

« vous deviendrez grosses et vertes,

« on vous mangera baies !

Coyote : abattu de la voiture, deux oreilles,

Une queue, une prime.

Martèlement de pas

bœufs de Shang

arpentant la route



Cloches de bronze sur le cou

Boules de bronze sur les cornes, les Bœufs luisants

Chantant dans la lumière et la poussière

roulent des billes de bois au bas des collines

les entassent,

le bulldozer

Jaune au gros groin, feuilles tombant une à une

Sur son passage, fouille la boue volcanique dorée.



Quand

La neige fond et quitte

les arbres

Branches nues brindilles de pin noueuses

soleil brûlant sur les fleurs humides

Pousses vertes d'airelle

Pointant à travers la neige.



3

Bosse enflée du ventre

Poitrine gonflée en buvant goulûment de la bière :

Qui désire

le nirvana ?

Voici de l'eau, du vin de la bière

Assez de livres pour une semaine

Lambeaux de placenta,

Une odeur de terre brûlante, une brume

chaude

Fume hors de la fourche



« Vous ne pouvez pas être des tueurs toute votre vie

« Les peuples arrivent -

- et quand Margot la Pie

L'a ranimé, loque de fourrure flasque, noyé et

Dérivant au fil de l'eau, nourriture pour les poissons des

hauts-fonds

« Va te faire foutre ! » chanta le Coyote

et il disparut.



D'un tendre bleu-noir, plus douces dans les prairies,

Petites et acides dans les vallées, couvertes de poussière

bleu ciel,

Les airelles peuplent les pinèdes,

Abondent dans les ravins, escaladent les falaises poussiéreuses,

Se propagent dans l'espace grâce aux oiseaux ;

Les découvrir dans les crottes d'ours.



« Arrêt nocturne

« Manger des crêpes chaudes dans une salle claire

« Boire du café, lire le journal

« Dans une ville étrange, j'ai repris la route,

chantant, - embardée d'un conducteur ivre -

« Sortez de vos rêves, chères mesdames !

« Serrez les jambes, repoussez les démons

loin de vos fourches, serrez les cuisses

« Des jeunes gens aux yeux rouges viendront

« Avec de molles érections, cris et reniflements

« Pour sécher au soleil vos corps raidis !



Réveil sur la plage. Aube grise,

Trempée de pluie. Un homme nu

Cuit sa viande sur une pierre.





4



Coyote jappe, une lame !

Lever du soleil sur les rocs jaunes.

Plus personne, la mort n'est rien,

Soleil clair dans le ciel lavé

vide et lumineux

Des lézards glissent hors de l'ombre

Nous lézards nous chauffons au soleil sur les rocs jaunes.

Voir, des basses collines,

Le ruban étincelant de la rivière, paressant

Vers la plaine, la ville :

brume éblouissante à l'horizon de la vallée

Éclat du soleil sur une vitre, un instant.

Près des sources froides sous des cèdres

Assis, gueule blanche,

longue langue haletante, il observe :



Ville morte dans l'été sec,

Où poussent les baies.







Gary Snyder - Un festin de baies in aristocrates sauvages

Traduction Brice Matthieussent

Collection « tête nue » - Wildproject éditions - 2011