MAE - Céline Minard // Pénélope la MétaKronik // Scomparo



Se pencher dangereusement au-dessus du vide.






Le singe était debout devant moi. À genoux sur un replat de la roche, j'écoutais le lever du soleil qui faisait craquer le bois dans mon dos, et les pattes sèches des oiseaux parmi les graviers. La pierre qui supportait mon poids était plane et dure jusqu'à l'angle vertical qui plongeait directement dans la vallée.

Le monstre qui se croyait encore sous la protection de l'oubli des formes que la nuit dispense, se tenait sur ses orteils devant moi, craché par la sombre trachée des falaises, un bras dans la bouche.

Il avait passé des heures dans le dernier village au pied de la montagne à dispenser ses grâces aux hommes qui l'avaient accueilli avec des cris de surprise dont l'écho avait grimpé la roche sur des doigts de plus en plus rapides et des ongles cassés, avant de s'évanouir à mes oreilles.

De ceux qui m'avaient refusé la veille au soir la paille du simple abri, il ne restait peut-être que ce bras maigre détaché des passions de ce monde dans la gueule du macaque plein de sang qui me faisait face. Ce membre absurde, quelques flaques, quelques filets de sang et sans doute, sous un plancher intact, une cassette de bois finement ornée au contenu dérisoire.

Il se tenait à l'aplomb de la paroi qu'il venait de franchir, les muscles chauds, frémissants, les crocs plantés dans son morceau de viande, les narines palpitantes, un instant arrêté dans l'intégralité de son mouvement – surpris par ma simple présence.

Il n'était pas menaçant. Ses yeux luisaient d'une excitation déclinante, sur le point de passer au compte des souvenirs. Il était repu. La fatigue commençait à l'atteindre. Mais par habitude et parce qu'il s'était trouvé face à moi sur le sommet qu'il cherchait à atteindre mais que l'ascension lui cachait, debout et non plus accroché, pesant sur le plan brutalement inversé de la paroi, brièvement désorienté, il ne vit pas qu'il pouvait se détourner et choisit de dérouler un pas dans ma direction.

Le sabre sortit du fourreau sans que j'eusse l'impression d'y porter la main.

La coupe horizontale, appuyée par mon genou instantanément relevé, trancha son pied dans l'épaisseur et fit s'envoler dans la lumière du jour nouveau, des esquifs de fourrure vers la vallée.

La coupe verticale trancha son crâne et son visage en deux parties égales, dédoublant le sourire d'étonnement et les deux rangées de dents découvertes par le rictus de la mort qu'il avait eu le loisir d'observer au cours de la nuit et qu'il reprenait à son tour avec l'habileté caractéristique de son espèce.

Une canine un peu faible se détacha sous le choc et vint rouler sur la roche jusqu'au bord du gouffre où elle s'arrêta. J'entendis au travers du mince bouillonnement du sang versé, le tintement de cette perle contre la pierre, comme dans une alcôve un collier brisé, suivi du sifflement de fouet de mon sabre essoré dans l'espace.

Les dernières éclaboussures saluèrent avec moi l'éclat du jour que j'accueillis dans les formes, les pieds joints, les épaules tombées, les genoux fléchis. Sabre au fourreau dans la ceinture.




Céline Minard – KA TA

Rivages – 2014


Scomparo

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