La promesse de Wenders - Lambert Schlechter



Wim Wenders pendant le tournage de Pina


Quand rien ne va plus, quand on est vraiment dans la dèche, quand on renifle au lieu de respirer, clopine au lieu de marcher, quand ça va mal, quand ça va noir, mais tout ruineux & ruiné qu'on est, on peut pour quelques instants se procurer comme une espèce d'euphorie en achetant dans les après-soldes de l'été, sans l'avoir pour le moins du monde prévu, mais c'est début juillet, le salaire est tombé, avec les dettes c'est à peine un pourliche, - en achetant dis-je une bonne paire de sandales à treize euros quatre-vingts, moitié prix, ------ et voilà, on marchera, affranchi et presque pieds-nus, ira de l'avant pour affronter un été sans joie & sans perspective, autant dire, disons-le tout de suite, qu'on ne parviendra peut-être jamais aux abords de l'automne, parce que l'été est anthropophage et carnivore et même omnivore, ça va mal se terminer, faut pas se leurrer, et je clopine dans mes nouvelles sandales, mes orteils sont à l'aise comme ils l'ont jamais été, et mon talon à chaque pas rencontre la surface de la croûte terrestre avec une sorte de presque sensuelle souplesse, et donc donc donc je clopine talentueusement à travers le décor, ne manque plus que Wenders derrière sa caméra, mais il tourne ailleurs en ce moment, mon clopinement ne sera pas retenu registré transmis, mais Wenders m'avait dit : si un jour je repasse par-là on fera ça, promis, une auto-narration légère et subjective mais sans la gesticulation du « je », un documentaire secret et discret, allusif et narquoisement funèbre, promis, ces paroles m'avaient sincèrement ému, rien ne l'obligeait à dire cela, je suis à fond dans la débine, renifle au lieu de respirer, ces sandales, je n'avais pas vraiment de quoi me les payer.

 
Lambert Schlechter – Gare Maritime 2007
Maison de la Poésie de Nantes.

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