Travaux du tramway T6 - Vélizy - Avenue Morane Saulnier - Detail rigole centrale - Lot 34
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le blog Armée
Noire :
Nous
étions des âmes simples, des petites âmes de pauvres, des petites
gens, des gens de petite fortune, des âmes pas grandement
compliquées, de la petite mitraille, de la misérable bière, du
populo très tranquille, pas méchant pour un sou, du petit peuple
sans soucis, nous étions des petites personnes pas compliquées du
tout, pas bien finaudes non plus, car nous n'étions pas très
futées, des futilités, des babioles, des bidules pour l'histoire,
nous étions la petite histoire, le petit remuement, la vaguelette
qui se meure dans l'histoire, nous étions de la petite bière dans
la vie historique, le petit mouvement de société, la petite pente
mal dégrossie, la société sans classe, le mouvement pas cadré,
des objets mal foutus et qui dérangent, de la bagatelle, de petits
bibelots frivoles et mis de guingois, de la bricole pas passionnante,
des sujets pas très affriolants, de petites badernes dans la
civilisation, on parlait peu de nous, on parlait de nous mais pour
rien dire de captivant, pour dire des sottises, car on ne pouvait
rien sortir de nous, nous étions la petite sottise du temps, le
petit cœur simple, pas compliqué, le petit cœur du temps
historique et qui bat simplement, sans conséquence, sans une once de
méchanceté, mais qui n'est jamais vraiment ravagé, qui bat sa
petite mesure dans l'ombre des grands moments, des grandes décisions,
des grands ravages, des grands coups de feu de l'histoire, nous
étions de la petite graine qui saute sur un gros tambour, rien
d'autre que de minuscules bâtons de riz qui danse sur la grande
peau, la grande peau du monde, nous n'étions pas de cette peau-là,
nous n'avions que notre peau, notre petite peau et à l'intérieur
nos frêles petits os, nos organes pas très folichons et nos sales
petites viscères, nos malheureux excréments, nos foutues selles qui
nous ressemblaient trait pour trait, tout au moins pour les grands de
ce monde, nous étions les fèces des plus grands, nous sentions
mauvais, nous empestions même, nous dérangions, nous étions le
dérangement permanents, nous étions de toutes les époques, nous
dérangions l'histoire avec nos paroles inintéressantes, nous avions
nos bonnes blagues dans nos petites bouches, de petites histoires
sans parole qui nous sortait du bec, pour tenir le coup, nos
historiettes sans histoire et qui faisait ricaner l'histoire, la
vraie, car heureusement il y avait la vraie histoire, la grandeur,
heureusement il y avait les grandes heures historiques, heureusement
il y avait les coups de poing dans l'histoire, heureusement il y
avait les cris historiques et non ces petits murmures indistincts,
cette petite mousse hors du trou, ce petit parler crapotant, nous
étions ceux qui grouillent tandis que les grandes mesures sonnaient
l'heure, chaque heure fut sonnée sans nous, chaque heure de chaque
société fut sonnée tandis que nous battions la campagne, la
chamade, tandis que nous battions en retraite, apeurés et sourds aux
discours et aux actes importants, chaque moment de chaque époque
sociétale, chaque moment important, chaque mouvement décisif dans
la civilisation se fit sans notre secours, on criait plutôt au
secours en détalant, car nous n'étions pas de cette civilisation,
nous comptions à peine dedans, de la piétaille, de la petite
gonflette, une foultitude de gens modestes, un encombrement, une
affluence sans influence, des sans grades qui vont à pied, car nous
n'étions pas intéressants, on se passait de nous, nous n'étions
que vilénies, ragots, commérages, injures aux grands hommes, nous
n'étions que de la petite monnaie pour eux, une vaisselle de poche,
un petit bruit qui dérange dans la vie, un persiflages, nous étions
des rodomontades de vies, des glorioles, des mentiries, des broderies
de fanfarons, sans intérêt, nous étions de tous les baragouinages,
de tous les bafouillages, on bouinait sans conscience nos langages,
on flânait et on blablatait sans cesse, mais tout ça sans
importance, on parlait sans frais, car nous étions dedans, certes,
dans cette société, cette civilisation, mais pour faire la masse,
pour faire un peu de relief, pour façonner un peu l'image avec nos
corps, nos corps charriés dans des aventures qui n'étaient pas les
nôtres, nos corps ballotés au loin du cadre, nos corps comme un
pauvre paysage vu de loin, nous étions l'horizon mais pas le grand
horizon, le vrai horizon fier que l'on pointe pour y aller, pas le
grand horizon qui captive le grand homme, le grand et le vrai horizon
désigné par la grandeur d'un être, la grandeur d'une âme, nous
n'avions pas d'âme, nous étions le tourment mais sans âme, on
tournoyait sans cesse, nous étions plutôt l'abîme même, plutôt
que l'horizon, même l'abîme fut un trop grand mot pour nous, il a
fallu nous débaptiser, nous étions la petite trouée, l'accident,
un petit talweg, une flaque, la chose qu'il faut bien passer outre,
la chose qu'il faudra bien traverser et passer outre, la chose qu'il
faudra bien s'y soumettre un moment pour passer outre et aller de
l'avant, nous n'étions pas de l'avant, nous étions de l'arrière,
des arriérés d'arrières pays, le pays de l'arrière avec ses
arriérés de paysans dedans, nous étions minuscules et non
majuscules, nous étions de toutes les décisions mais sans le
vouloir, sans même le savoir, nous étions emportés avec les grands
mouvements de l'histoire mais sans être au courant, nous étions
dans les courants mais comme des bouches qui parlent trop, qu'il faut
taire, des bouches de trop à nourrir, et nous étions mis en demeure
de vivre, il nous fallait vivoter l'instant, respirer ce qu'on nous
disait gentiment de respirer, penser ce qu'on nous dictait gentiment
de penser, si nous pouvions un tant soit peu penser, on accompagnait
le mouvement, personne ne nous tenait au jus, nous ne savions même
pas que nous vivions, nous étions les futurs morts, nous étions
déjà morts mais pour le futur aussi, nous jouions toutes les scènes
où il fallait jouer, on ne nous comptait pas, nous étions les
figurants, les pantins de l'histoire historique, nous étions les
porteurs d'eau de notre destinés, nous aurions pu ne pas être là,
nous n'y étions d'ailleurs pas, juste pour porter l'eau, l'eau au
moulin, le petit moulin de nos petites et misérables vies, nos
petites et misérables vies sacrifiés, nos petits moments sans rien
dedans, nos petites et sales manies pas bien intéressantes, nous
n'étions pas intéressants, nous étions le désintéressement
total, le désintéressement de tout ce qui intéresse, nous étions
les petits moments sans gloire dans la grande gloire, la lumière,
nous étions aveuglés, mais nous restions tout sombres, puis nous
tombions dans l'oubli, nous étions l'oubli même, la petite parlotte
sur laquelle il pleut, nous étions fins prêts pour la boue, car il
pleuvait tout le temps sur nous, sur nos dires et nos racontars, sur
nos devinettes pas bien méchantes, sur nos paroles sans aucun
lendemain, nous étions comme des amours sans lendemain, des
aventures sans saveurs, nous étions torchés à la va vite dans les
siècles, comme une vieille rengaine, nous rabâchions sans cesse à
travers les âges, on nous chantait des berceuses, des comptines, on
nous baratinait tout le temps, nous étions tout ce baratin, la
chansonnette stupide, le refrain niais du soir historique, nous
étions de tous les siècles, les grands siècles qui ne nous ont
jamais contemplés, nous étions dans l'histoire, sans aucun doute,
mais vu du grand trou, le grand trou face à la grande montagne, nous
clamions notre innocence à l'éminence des altitudes, nous chantions
des louanges pour les hauteurs, nous bêlions face aux grands, puis
nous repartions dans le trou, ce n'était même pas un grand trou,
c'était le petit trou dans le grand trou, le vrai grand trou avec
dedans le petit trou sans importance, la petite pente sans gravité,
la rigole, nous n'étions pourtant pas rigolos, nous n'étions que de
la rigolade, de la rigolade sans nom, voilà ce que nous étions.
lundi
15 août 2011 - 11:21
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