Littérature à contraintes
Variation autour de l’okapi & du caviardage.
De fermes remerciements à Noel Bernard & Lucien Suel !
l'isokapi
: à partir d'un texte-origine création de poèmes express
respectant la
stricte alternance consonnes/voyelles & une même
longueur de vers.
Repère
le béton oxydé du silo de la
Mesa.
Dévide l'âme de Bob of Oregon
À
côté Dylan
a le visage
de
vase de
Gary
des Omak'
Repère
la cime du pin et
une
racine
de
café.
Détale
du Canada-hip.
OhOm
a
rêvé
de la
carabine.
Pôle gelé d'
Eve
du
Pacific
Repère le
pénis
à
côté de
River-Aci
de.
Vomis
à
la lune
humide. Coleman
a
lavé
Jésus
une narine
havegone de
Râ
de Milarepa
Repère les
îles à nébulosité d'azur
Menace
Pacific U.S.
avec une tomate
du
Sud.
Amère
citadine : le
menu du
Racine
du Lake
Repère
le visage du
Pape venir
à la
fin.
À Babylone
Dylan.
À
la
City Dy
lan.
À
la
Base de la pyramide
Dylan
Son
of America
Le texte-origine :
Commencement d'un poème de
ces états
Memento pour Gary Snyder
Sous les à-pics d'Oroville, ciels de septembre ennuagés de bleu,
passant la frontière U.S., pommes rouges rouges font ployer leurs
rameaux étayés par des échalas –
À Omak une grosse fille en salopette conduit son grand cheval brun
le long de la route asphaltée.
Parmi les collines de pins de Coleville près de Moses'Mountain –
un cheval blanc derrière un 2 tonnes qui progresse entre les arbres.
À Nespelem, dans le soleil jaune, un repère signalant la tombe du
Chef Joseph sous les collines brunes ruisselantes – croix blanche
sur l'autoroute.
À Grand Coulée sous un ciel de plomb, de gigantesques générateurs
rouges bourdonnent dans le granit & le béton pour matérialiser
des oignons –
Et une eau grise clapote contre les flancs gris du Stream-boat Mesa.
À Dry Falls 40 Niagaras silencieux & invisibles, de minuscules
chevaux qui paissent sur le fond oxydé de prosopis du canyon.
À Mesa, sur l'autoradio, dépassant un nouveau silo à maïs, les
gorges tendres des adolescentes du Walking Boogie, « Si elles
pouvaient toutes être des filles de Californie » – alors que
la route noire se dévide.
Sur les plaines en direction de Pasco, collines de l'Oregon à
l'horizon, voix de Bob Dylan sur les ondes, folksong d'une seule âme
fabriquée à la chaîne – Please crawl out your window –
entendu pour la première fois.
Filant dans l'espace, Radio l'âme de la nation. The Eve of
destruction et The Universal Soldier.
Et goûté au Serpent : l'eau du Yellowstone sous un pont vert :
darshan avec la Columbia, marée noire & petites plumes d'oiseaux
sur le banc de vase. De l'autre côté du fleuve, bulles d'argent des
raffineries.
Là Lewis et Clark ont dérivé sur un radeau : la gorge érodée
et brune du lac Wallula sentant la pluie sur la sauge, autocars
Greyhound qui filent à toute allure.
Ne cherchant ni le Passage du Nord-Ouest, ni l'Or, ni le Prophète
qui viendra sauver la Nation polluée, ni le Gourou foulant les eaux
argentées derrière le barrage de McNary.
L'heure de rassembler les troupeaux à Pendleton, visages tirés de
femmes et lourds galurins de cow-boy dans le bistrot, Je suis un
pied-plat de Bénares. Barman marmotte dans sa barbe, les deux mains
pleines de bière, « Qui a demandé ça ? »
Grosse pluie au crépuscule, des trompettes se regroupent &
crescendo répètent The Eve of Destruction, fours des scieries de la
Georgia Pacific exhalent de la fumée dans la vallée assombrie.
Nuit froide dans les Montagnes Bleues, cimes saupoudrées de neige
des Mélèzes et des Sapins ployés à l'aube grise, café gelé dans
la cafetière brune, orteils engourdis dans les tennis
tchécoslovaques.
Sous un pin Ponderosa, cet endroit à vendre – 45e
parallèle, à mi-chemin entre équateur et Pôle Nord – Tri-City
Radio annonçant un temps clair & des gelées nocturnes ;
grosses marguerites jaunes, balles de foin empilées en meules
carrées hautes comme une maison.
« Don Carpenter possède un vrai marteau de géologue, il peut
taper sur un rocher & le fendre & regarder à l'intérieur &
prononcer quelque mantra. »
Coyote qui bondit devant le camion, & rejoignit le talus, passa
la rivière en sautant, fonça à travers champs vers le coteau
boisé, se figea après un bond & se retourna pour nous observer
– Oh – Ouh ! se secoua et détala en agitant sa queue
touffue.
Carabines & bombes au cyanure impuissantes – il avait l'air
vraiment surpris & tendit vers nous son museau pointu. Hari Om
Namo Shivaye !
Mange toutes sortes de choses & court solitaire – 3 nuits de
cela suspendit de la crotte d'ours à un arbre et rit.
– Ours : « Es-tu en train de manger mes restes ?
Répète-le pour voir ! »
Coyote : « j'ai rien dit. »
Forêts de genévriers clairsemés sur des collines de lavande sèche,
en route pour Pass Creek en passant par Ritter Butte, un rêve de
hasch raconté : – Franchissant la frontière du Canada avec
une conserve dans la boîte à gants, de jeunes douaniers hip se sont
marrés – Dans un pré squelette d'une vieille voiture a pris
racine : Pensez à Jésus peint sur la porte.
Renard dans la vallée, bornes ruisselantes de glaçons, toutes les
fenêtres de la blanche église brisées, grange de bois brun dos à
dos, neige fine sur le toit de la station-service.
Malheur, Parc National Malheur – signaux vernis de givre poudreux,
rêves gelés de la nuit derrière ressurgissent – observant la
planète froide à travers un crâne – Milarepa n'a pas accepté de
cadeaux pour recouvrir son pénis gemmé – sommet de Strawberry
Mountain blanc sous des nuages brillants.
Cartes postales de Painted Hills, couches fossilisées aux abords de
Dayville, Where have all the flowers gone ? Fleurs en allées ?
Râ et Coyote sont dans le coup, traces de pattes griffues au fond de
la Day River, vaches se prélassent à genoux dans l'après-midi du
pré.
Ichor Motel, ailes blanches sur les allées, ferme marron isolée au
clocher entouré d'arbres, scies mécaniques résonnant dans le
vallon.
Coulée de lave recouverte de mousse verte craquelée par le vent
froid – Héron bleu et Aigrette blanche américaine migrent vers
les eaux décrues de l'Unhappy – lacs-mirages du mauvais côté de
la route, flot de poussière sous Riddle Mountain, Steen Range poudre
blanche sur l'horizon –
Ai dormi, eau gelée dans la tasse de la Sierra, un lac d'eau amère
du diaphragme à la gorge – Ai rêvé que mon genou était amputé
à la hanche et ensemble recousus –
Me suis éveillé, rosée glacée sur le poncho et le sac de couchage
safran, lune comme une hampe Coleman ternissant la pointe glacée des
étoiles – ai vomi à mes genoux dans l'herbe du chenal, narines
obstruées par un acide rouge et humide à la lueur mourante d'une
lampe de poche –
Faiblesse de l'aube, ai gravi des murs de lave érodés et suivi la
source boueuse, le gibier d'eau a sifflé doucement & minuscule
raton-laveur
ai gratté délicatement la boue verte pour chercher des grenouilles
enfouies loin du froid arctique – ai disparu dans une silencieuse
corniche rocheuse.
Ai grimpé vers la route de Massacre Lake – fond de la vallée
buissonnée de sauge qui s'étirait vers le Sud – Séjour de
l'antilope dicranocère qui mange la racine amère et le benjoin
odoriférant, chasseurs s'empilant dans des camionnettes pour chasser
l'antilope –
Un corral brisé au pied de la colline de l'autoroute, épave de
vache morte dans les rayons froids et obliques du couchant, yeux
énucléés, cou tordu contre le sol, ventre effondré sur l'os du
genou, senteur de la douce chair d'effroi et de l'acre sauge
nouvelle.
Ai dormi dans une mangeoire de fer-blanc rouillé, le baudrier
d'Orion Cristal dans le ciel, engourdissement d'un froid métallique
dans le dos, corbeaux perchés sur la vache quand soleil réchauffa
mes pieds.
Ai gravi des collines en suivant les nuages de poussière des
remorques, douilles vertes de fusils de chasse & bouteilles de
bière sur la route, lièvres écrabouillés – à travers une
crevasse dans le Granite Range, une mer alcaline – armées
chinoises massées aux frontières de l'Inde.
Bassin boueux du Black Rock Desert défilant, Franck Sinatra pleurant
les années passées, vieux enregistrements de voix tristes
enseptembrées, et Beatles criant Help ! leurs voix gazouillant
en quête de tendresse.
Toute mémoire ramenait sur le champ au temps présent, vastes forêts
desséchées en proie aux flammes en Californie, parachutistes U.S.
donnant l'assaut aux guérilleros dans les montagnes du Vietnam,
derrière la cambrure d'une route de porcelaine blanche l'azur
tranquille d'un vaste lac.
Rochers pyramidaux noués par des rivières du pléistocène, lourdes
îles de lave crénelées dans les eaux du Paiute, truites
acharnées ; sandwiches à la tomate et silence.
Motel de Reno poteau de signalisation basses montagnes murant l'oasis
du désert, radio fredonnant musique citadine informations
d'après-midi, Ultimatum à la Chine Rouge demain à 1 h.
Ai remonté le Donner Pass après le pont bétonné de l'autoroute
drapée de nuages gris, borborygmes d'un idiot Mongolien le risible
menu ce groupe arrivait.
Coteaux de Pondérosas entamés par la voie ferrée, je n'ai rien à
faire, riant au sommet de la Sierra, aventurier glissant sur
l'immense route aux ailerons de fer et à queue de poisson, les Cieux
sont abandonnés, le Dharma n'est pas la Voie, pas de Saddhana à
redouter
mon univers d'hommes va exploser, insectes bourdonnant sous le volant
qui chantent ma propre mort en grinçant migrations de clémence, je
chatouille le Bodhisattva et salue le nouveau coucher de soleil, chez
moi en rentrant chez moi dans la vieille cité sur l'océan,
avec un nouveau mantra pour manifester l'Écartement du Désastre qui
menace mon propre moi, masse fumeuse d'un feu de broussailles
automnal dans la clarté crépusculaire, éclatant ballon rouge du
soleil sur l'horizon violacé d'une nébulosité terrestre,
psalmodiant pour Shiva dans la voiture.
Antennes à haute tension de la Pacific Gas qui déroulent leurs
câbles fins à travers les plaines, empruntant l'autoroute du Coast
Range à 4 voies après l'ultime courbe où l'on entrevoit la Baie
gigantesque & orangée , Dylan achève sa chanson « You'd
see what a drag your are », & le Pape
vient à Babylone pour s'adresser aux Nations Unies, 2000 ans depuis
la naissance du Christ la prophétie de l'Armageddon
suspend la Bombe Enfer au-dessus des routes et des villes de la
planète, la fin de l'année venue, les lumières de l'Oakland Army
Terminal se consument vertes dans l'obscurité du soir.
Base Navale de Treasure Island illuminée de jaune affairée dans la
nuit, des milliers de feux arrière rouges processionnent sur Bay
Bridge,
San Francisco se dresse sur ses collines modernes, les lumières de
Broadway font étinceler l'Élysée minable boîte d'homos du centre,
l'horloge lumineuse d'un tendre vert de l'immeuble du Ferry fait
luire les eaux noires de l'Embarcadère, noirs s'égosillant à la
radio,
Bank of America brûle des lettres rouges sous les pyramides de néon,
voici la ville, voici le visage de la guerre, 20 heures chez moi
dévalant la rampe de l'autoroute vers City Lights, visage de Peter
et télévision, l'argent et de nouvelles errances à venir.
Septembre 1965
Allen Ginsberg
The Fall of America : Poems of
These States –
1973
traduction Gérard-Georges
Lemaire & Anne-Christine Taylor
Flammarion – 2005