homme-bouc - Henri Michaux
homme-bouc
homme
à crêtes
à
piquants,
à
raccourcis
homme
à huppe, galvanisant ses haillons
homme
aux appuis secrets, fusant loin de son avilissante vie
Henri Michaux - Mouvements
in Face aux verrous
Poésie/Gallimard - 2008
les mains bien noires - Laura Vazquez
© Emmet Gowin |
viens
me parler
viens
me parler
je
ne sais plus bouger mes doigts
prends
tes affaires
viens
me parler
tiens-moi
la bouche
sors-moi
la bouche
sors-moi
tranquille
je
suis tranquille
je
suis tranquille
je
me tiens bien
je
me tiens droit
tu
ne vas pas me laisser comme un arbre
tu
ne peux pas me laisser comme un sac
je
ne suis pas un arbre
mon
ventre ne fait pas de miel, moi
mon
ventre ne fait pas de bruit
quand
tu viendras, tu pourras voir
je
sais rouler les cigarettes
je
sais m’endormir en bougeant
je
m’ennuie quand je pense à tout
je
voudrais être un château crevé
je
voudrais être un cheval pourri
je
voudrais être vraiment simple
je
suis en train de me graver des tatouages partout sur les yeux
viens
me toucher sur les yeux
je
suis en train d’apprendre tous les alphabets du monde
viens
vite avec ton alphabet
viens
me parler, viens dans ma chambre
viens
par les clés
je
ne suis pas comme les arbres moi
toi
tu es une goutte
et
tu tombes sur ta tête
il
faut que tu tombes sur le toit
tu
dois faire pousser des plantes
viens
vite avec tes branches sales
viens
parler avec ma bouche
avec
ta bouche
viens
parler avec ma chambre
avec
ma bouche
viens
me parler sur les doigts
avec
ta bouche
tu
ne vas pas me laisser les mains mortes
avec
ma bouche
tu
ne vois pas que mes mains sont en train de dormir
sous
ma tête
je
ne suis pas une fanfare, je ne suis pas un lampadaire
j’ai
de la peau, j’ai de la peau
j’habite
la très petite chambre
je
crois que je suis enfermée
je
sens les pestes bêtes blanches
je
les avale une par une
je
fume toute la journée
je
fume un million de cigarettes
mortes
bonnes
longues
lourdes
vite
viens
vite, prends tes ongles, prends tes affaires
prends
ta bouche
viens
vite, je suis en train d’avoir une maladie
prends
ta bouche
viens,
je ne suis pas un ours moi, je ne suis pas une voiture
viens
vite, il y a des fourmis partout, viens vite maintenant
il
y a des planches sur les murs
il
y a des ongles sur les murs
dépêche-toi,
dépêche-toi
je
ne suis pas comme un serpent
je
ne me roule pas les jambes
je
ne me colle pas les jambes
je
ne me chauffe pas le ventre
ou
les entrailles ou les poumons
je
ne me parle pas la bouche
viens
vite
viens
trop près
ouvre
l’œil
tourne-toi
prends
la porte
il
faut que tu grattes la plante,
dans
le mur
dans
ma gorge
il
faut que tu grattes ta plante,
dans
le mur
dans
ta gorge
il
faut que tu viennes parler
il
faut que tu viennes bien tôt
prends
la voiture
prends
les clés
pense
à moi
téléphone
réponds
vite
je
suis dans ma chambre
je
ne trouve pas les yeux
fais
vite
viens
tu
ne vas pas me laisser vers la mort
je
suis tranquille
je
suis tranquille
j’ai
le crâne sur les cheveux
il
faut que tu te dépêches
tu
ne vas pas me laisser rien sentir
viens
vite, je suis un petit caillou
je
vais me jeter la figure, tu dois venir très vite
tu
ne vas pas me laisser comme une voiture
je
ne suis pas une voiture
Viens
me parler
près
de la gorge
tu
es une bête blanche
tu
as du sang dans la bouche et moi j’ai du sang partout
j’ai
du sang dans la tête et j’ai la tête très pleine
je
suis comme ta sœur
je
suis quelqu’un de ta famille
viens
me parler, viens me parler, viens me parler
tu
as de belles mains noires
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