Ma vie n'est pas un continuum ! - Arno Schmidt




Ma vie ? ! : Ma vie n'est pas un continuum ! ( il n'est pas que le jour et la nuit pour la diviser en fragments alternativement blancs et noirs ! Car le jour aussi m'accompagne cet autre qui va à la gare, est assis derrière un bureau, bouquine, traîne dans les bois, copule, bavarde, écrit, pense à mille petits riens. Cet éventail qui se disloque. Qui court, fume, défèque, radiophone et télespecte, dit " Monsieur le sous-préfet " : That's me ! ) : Une succession d'instantanés scintillants, en vrac.
Non, pas un continuum, certainement pas un continuum ! : Ainsi court ma vie, ainsi mes souvenirs ( comme qui, pantelant, voit approcher la tempête
         nocturne ) :
Un éclair : une bicoque désolée qui grimace au mileu de taillis vert-de-gris. Puis : la nuit.
Un éclair : de blêmes faces de cauchemar, roulant des yeux vides, des langues, battants de cloches, à toute volée, des doigts qui se font dents : Nuit.
Un éclair : des arbres font la haie; des cerceaux jouent avec des gosses; des femmes s'accroupissent; des fillettes polissonent blouse au vent : Nuit !
Un éclair : moi : Hélas : Nuit !

Ma vie : La ressentir comme un ruban qui, majestueusement, se déroule, voilà précisément ce dont je ne suis pas capable. Pas moi ! (Dire pourquoi.) 



Arno Schmidt - Scènes de la Vie d'un Faune
 Traduction Jean-Claude Hémery & Martine Valette
Edition Christian Bourgois - 1991



je lis entasse et vide - Murièle Modély



mansfield tya


je lis un essai dont je peine à pénétrer le sens
je lis "la mémoire a besoin que les morts soient dans l'ombre des vivants"
je lis et je bute  
je lis pour le mot sans le sens
le mot sens ressemble à une chambre
la décoration me plaît je ne sais pas où m'assoir
je lis et m'applique et recopie
mon écriture embarrassée des hampes de l'enfance
je lis dans mon carnet des phrases entre guillemets
quatre racines coupées net en suspens dans l'air
je lis je prends aussi un air
un r  je fronce des sourcils
je lis je ne sais pas d'où le mot vient je ne sais pas où le mot va je ne sais pas ce que j'entends
je lis il est question d'oreille pas de compréhension
je lis la dernière lettre dévie la phrase
je lis et m'illusionne je ne suis pas un buvard l'encre coule sous la table
je lis des bouts de phrases sur les murs
des affiches au travail
des publicités sur l'écran
des blogs des articles le journal
la liste des ingrédients sur la boîte de céréales
je lis dedans
et dehors
je lis
j'avale ma soupe je rattrape
le temps perdu enfant les lettres ne flottaient pas
je lis je barbouille
ma bouche mon ventre mes seins je lis avec mes tripes
je ne comprends rien je lis avec mes intestins
je lis j'avale je lis je déglutis
des livres au creux du ventre j'amasse
je lis entasse
et vide 



 



Muribeca Waste Dumping -



A la nuit, le phare éclaire clairement ma lanterne, et les containers brillent gueules ouvertes de tous leurs sacs... Trash ? Cash.




 

Cigarette - Witold Gombrowicz




Otto Dix, Portrait de la journaliste Sylvia Von Harden



[…]

Vous m’avez demandé dans une de vos lettres ce que j’ai contre la peinture. Eh bien, mon cher, mon unique arme contre la peinture c’est la CIGARETTE et c’est par la CIGARETTE que je me propose de la détruire.
[...]

Witold Gombrowicz
Lettre à Jean Dubuffet