Les animaux fantastiques - Henri Michaux





Avec simplicité les animaux fantastiques sortent des angoisses et des obsessions et sont lancés au dehors sur les murs des chambres où personne ne les aperçoit que leur créateur.
La maladie accouche, infatigablement, d'une création animale inégalable.
La fièvre fit plus d'animaux que les ovaires n'en firent jamais.
Dès le premier malaise, ils sortent des tapisseries les plus simples, grimaçant à la moindre courbe, profitant d'une ligne verticale pour s'élancer, grossis de la force immense de la maladie et de l'effort pour en triompher ; animaux qui donnent des inquiétudes, à qui on ne peut s'opposer efficacement, dont on ne peut deviner comment ils vont se mouvoir, qui ont des pattes et des appendices en tous sens.
Les bêtes à trompes ne sont pas spéciales aux femmes ; elles visitent aussi l'homme, le touchant au nombril, lui causant grande appréhension, et bientôt tout un ensemble de trompes, des parasols de trompes l'encerclent – comment résister ? Trompes qui deviennent si vite des tentacules. Comme c'est saisissant ! Comme on s'en doutait d'ailleurs ! Oh ! Trois heures du matin ! Heure de l'angoisse, la plus creuse, la plus maligne de la nuit !
Les animaux à matrices multiples, aux matrices bleues de lèpre, apparaissent vers les quatre heures du matin ; ils se retournent tout d'un coup et vous tombez dans un lac ou dans de la boue.
Mais les yeux restent les grandes commandes de l'effroi.
Cette bête lève la patte pour se soulager. Que ne vous êtes-vous pas méfié ? Elle lève la patte de derrière et démasque au centre d'une touffe de poils roux un œil vert et méchant, perfide et qui ne croit plus à rien ; ou ce sont des colliers d'yeux dans le cou qui tournent fébrilement de tous côtés, ou les émissaires du Juge qui vous regardent de partout sous des paupières de pierre avec les yeux implacables de la grandeur unie à la mesquinerie ou aux remords et qui profitent de votre raison sans défense.
Sitôt la maladie terminée, ils s'en vont. On ne garde pas de relations avec eux et comme les êtres vivants n'en ont pas noué, il ne reste bientôt plus rien de l'immense troupeau, et l'on peut reprendre une existence entièrement renouvelée [...]


Henri Michaux – Poèmes
in Plume
Poésie/Gallimard - 1985


bonne nuit,






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