Autres coquelicots - Andrea Zanzotto



Pierre Hanquin


Fiers d'une fierté et d'un rut barbare,
surabondants en tout pétale,
rouge+rouge+rouge+rouge
        coup de dés maudit,
        sanglantes puissances débordantes,
        presque chacune de vous pour couvrir un pré entier -
depuis quels,
depuis quels mondes massacrifères,
massacrifère coquelicots,
        flambant, ici, vous campâtes
        four effronté du rouge,
        qui en mystériques taches
        ne cesse de jaillir, de se répandre
        soufflant deçà delà ses habituels mois de mai gris-bleu ?

Comme les frelons se font toujours plus énormes
          CRABRO, CRABRO
et presque difformes vis-à-vis de tout destin,
et les escargots boyaux soufflant deçà delà sur la végétation :
allez ! allez ! il est temps de se débarrasser de ce printemps
de mares de sang, de salves de tireurs d'élite
Courir, courir
en se couvrant, anxieux, essoufflés, têtes et bras et corps aveugles,
courir, courir pour qui
court et court sous les frelons, les tireurs d'élite
et en effroyables coquelicots finit

                                                 (1993-95)



Andrea Zanzotto - Météo - traduction Philippe Di Meo - Editions Maurice Nadeau - 2002

Boogie nights au protoxyde d’azote - Chloé Savoie-Bernard


Trevor Brown - Foetusinhead


ton cordon ombilical
mon bébé love           j’en ai
fait le plus beau des colliers
mon amour mon aimé
un pendentif           te pendre
à mon cou
mon bébé loup
ton liquide amniotique
mon amour
j’en ai fait des shooters
je t’ai laissé sécher
j’ai tout avalé           sans respirer
sans recracher
te licher          comme le sel
placenta téquila
te croquer comme le citron
bébé love bébé
ton sang          je l’ai fait coaguler
dans ma palette de fards
j’en ai maquillé ma bouche
je t’ai toujours          au bord des lèvres
ma petite nausée
je t’ai toujours          au bord du cœur
mon malheur ma lovely terreur
ta chair en morceaux
j’en ai fait          un tricot
ta tête sur mon dos
tes mains des diamants
à mes oreilles potences
tes jambes d’amour
petits tuyaux
sont mes manches
tu me tiens au chaud
tu es formi formi formidable
coup pendable
dans mon utérus
mon petit
mon petit christ
mon ostie de tabarnaque
mon bébé cadavre
mon fantôme pref’
comme j’ai fière allure
dans ton corps
de toi parée
ce soir je serai la plus
belle pour aller danser
n’est-ce pas mon putride amour
que tu me cisailleras la peau
à chaque entrechat
ma petite mort curetée
ces stigmates de toi
ne sont-ils pas
bébé love bébé
la preuve que tu es
toujours avec moi
mon putride amour
mon magnifique jamais né
ne sont-ils pas mes talismans
mes porte-bonheurs
ces blessures que je creuserai
que j’astiquerai
que je langerai
oui mon amour comme je
te bercerai ma tendre blessure
ma galle inlassablement arrachée
je ferai de toi un champ de vers
comme on allume un cierge à l’église
tes autels seront les bars de la cité
placenta macaréna
bébé



Pour s'en payer une bonne tranche
Sur le billard

L'heure blanche - Catherine Ferrière Marzio



Springfield, Massachusetts


Angels in down town
Angels in black black 
And the night
All around
Faux cuirs
Vieilles blondes
Stars are so sad
La pluie claque bas
Les masques.
Are you speaking to me ?
Are you speaking to me ?
Miles trompette yeahhh
William vide
Jack Daniel's and the riders
Aren't happy my funny Valentine
Rêve de ventre creux
Le serveur attend
L'heure blanche...

Petit Lieder - Armée Noire // Charles Pennequin // Chiens de la Casse



Chiens de la Casse



Les chants

Il y a des chants qu’on n’entend plus. Des chants. Des chansons. Des musiques. Tout en musique. Le tout qu’on n’entend plus. Ça passe d’un côté puis d’un autre de notre vie. De notre corps. Notre corps n’entend plus rien. Le corps mis en musique. La vie. La vie qui n’entend plus. Pas une seule note pour elle. Ou lui. Pas une seule qui pénétrera la vie de ce corps. Pas un seul son. Une seule note. Il y a comme ça des chants ou des notes de musique qu’on connaît bien. Mais on les connaît trop bien. On sait trop à présent ce que ça veut dire. Ce que ça représente pour nous. Pour nous c’est l’irreprésentable. On ne peut plus se placer devant tel chant ou tel son. Encore telle musique. Toujours la même. Ça on ne peut plus. Terminé. On ne veut plus avoir affaire à ces chansons. C’est notre corps qui réagit comme ça. Le corps fait la sourde oreille. Dans son entièreté le corps refuse. D’un bloc. Tout son ou toute musique. Celui ou celle qu’il connaît bien. Il connaît que trop bien. Il connaît depuis trop longtemps ces sons. Ces musiques. Ces chœurs. Ces larmoiements. Ou ces morceaux moins faciles. Mais devenus trop faciles. Maintenant le corps n’en peut plus. Il s’est trop gavé. Il peut le corps. S’il le veut. Mettre telle musique. Faire passer tel son. Il le peut. Mais il restera hermétique. Ça sera juste un geste coutumier. C’est le geste qui restera. Seul le geste compte. Car il est rempli d’habitude. Le corps se nourrit d’habitudes. Mais ce sont des habitudes de gestes. C’est toute une gestualité. Comme une gymnastique. Journalière. Le corps a ses habitudes. Alors le corps peut aussi pousser le bouchon jusqu’à émettre des sons. Ou se passer de la musique. Le corps peut pousser la chansonnette. Ou alors il peut aussi mettre en route la musique. Se faire le coup de l’égaiement quotidien. Il peut encore se le faire croire. Mais ça dure pas. Cinq minutes. A peine. Moins que cinq. Deux minutes. Deux malheureuses petites minutes à revenir à ses amours. Revenir à une quelconque errance. Aller dans un endroit connu pour se faire croire qu’on va se promener. Qu’on part en voyage. Tout ça c’est des mensonges. Le corps se ment. Le corps veut plus rien. Il fait obstacle au voyage. Le corps bouge plus. Il est comme mort. Il est en vie mais mort. Tout ça il y croit plus. A la chansonnette ou au voyage. La balade au grès des sons. Ce sont ses sons. Il les connaît que trop. Et tous les sons le dégoûtent le corps. Car jamais ça ne l’a emmené vraiment ailleurs. Et même si ça l’emmenait ailleurs il a toujours fallu revenir. Revenir à son état de corps. C’est-à-dire à son état de bouchon. Un bouchon de cérumen que tout ce corps. Tout corps est un bouchon de cérumen. Tout corps est un obstacle à l’œuvre. A toute œuvre. Il n’y a pas un corps qui ne soit un obstacle. Pas un individu formé d’un corps. Tous les individus sont des obstacles à l’œuvre. L’œuvre chantée. Ou chantonnée. Ou alors chantonnée pour mieux détruire l’œuvre. Mais finalement l’annuler. Annuler même l’idée du chantonnement. Tout chantonnement est une mise en bière de l’œuvre musicale. Et tout individu formé d’un corps s’emploie de toute manière à foutre en l’air l’idée d’œuvre. Quelque soit l’œuvre. C’est-à-dire quelque soit la chance. La chance qu’on porte au corps de se libérer. Toute chance est lettre morte pour le corps. Il n’y a pas de possibilité pour un corps. Il faut qu’il débarrasse le plancher pour laisser entrer l’air. La possibilité d’un air. La possibilité d’une œuvre qui rentrerait par l’air. N’importe quel air. Le chant. N’importe quel chant. 

...  
Charles Pennequin - Extrait de Comprendre la vie  - P.O.L éditions
31ème jour du Calendrier Armée Noire

Crime et châtiment - Mika Pusse



Bestiaire d'Arcachon


braille braille tète rote pète chie mou dort braille braille tète rote pète chie mou dort joue joue braille braille tète rote pète chie mou dort joue braille joue braille joue braille tète tète rote rote pète chie mou dort rêve crache bouffe chie bois pisse branle dort rêve crache bouffe chie bois pisse branle dort étudie étudie crache rêve bouffe bois pisse branle dort étudie étudie crache rêve branle bouffe nique nique nique ta mère étudie crache bouffe chie bois pisse nique dort trime trime crache bouffe chie bois pisse nique dort trime trime bouffe chie bois pisse nique dort accouche trime trime bouffe chie bois pisse nique dort épargne radote trime bouffe chie bois pisse nique dort radote radote trime bouffe chie radote bois pisse nique radote radote rouille crache tète rote pète chie mou dort rouille rouille tète rote pète chie nique mou dort rouille rouille rouille prie rouille prie rouille prie rouille prie crève

Naufrage - Armée Noire // Arno Schmidt



Explosion du Maine - 1898


« Ils attaquent l'Eibia !!! » le père Evers glapissait et tremblait comme une vieille loque noire. A tâtons, j'empoignai Käthe par où je pus et déjà nous galopions, côte à côte, à la poursuite du vent, dans la sinistre direction, < Secours d'urgence >. Nos semelles claquaient et nous franchissions les clôtures d'un seul bond, comme à la course d'obstacles. Deux corneilles passèrent au-dessus de nos têtes avec un bruit de ferraille rouillée. L'une d'elles se retourna pour m'insulter : Mac-Roh. Mac-Roh !
Un nouvel ébranlement sourd, suivi de chocs répétés, et, au loin, les maisons, de toutes leurs vitres brisées, éclatèrent d'un rire aigu et démentiel. La nuit applaudissait à tout rompre, frappant allégrement ses poings bourrés d'explosifs. D'innombrables détonations couraient à l'horizon (ce jour-là, les éclairs zébraient le ciel de bas en haut ; chacun tonnait comme un petit Jupiter, avant de disparaître dans un nuage épouvanté !)
La longue route était agitée de tremblements nerveux. Un arbre pointait vers nous un doigt monstrueux : il se mit à tanguer et referma derrière nous la cage de ses branches. Nous progressions à grand-peine sur cette terre quadrillée de rouge, à travers des ruines tapissées d'une doublure de flammes. Nous mastiquions laborieusement la gelée fuligineuse de l'air, repoussions de nos paumes tendues l'assaut des lumières tumultueuses, et nos pieds, presque confondus, frappaient en cadence le sol, dans nos souliers mal lacés. Des balafres lumineuses lacéraient nos visages, devenus méconnaissables. Le tonnerre exprimait le suc de tous nos pores et de toutes nos glandes, emplissait nos bouches ouvertes d'interminables avalanches de bâillons : puis, les lames brutales se remirent à nous hacher menu.
Tous les arbres déguisés en flammes (près de la dune) : la façade d'une maison se met en marche, mal assurée, une écume rouge au coin de la gueule. Ses fenêtres : des yeux qui flambloient. Des sphères ferrugineuses, hautes comme des maisons, roulaient leur tonnerre autour de nous : noirâtres, de celles dont le bruit à lui seul est mortel ! Je me jette sur Käthe, l'enserre dans mes bras crispés, la serre à lui faire mal, ma grande Louve. La nuit se fend en deux et nous nous écroulons sur le sol, morts, foudroyés (mais nous nous sommes redressés, pleins de défi, pour errer à nouveau, pantelants et perdus, entre les cratères).
Deux rails s'étaient détachés et volaient dans l'air, croisés en pinces de homard ; leur tenaille décrivit un cercle en vrombissant affectueusement au-dessus de nos têtes (et nous courions, courbés sous la lente menace de ce fouet d'acier). D'en bas, des chocs insistants venaient nous ébranler les os. La bouche d'une conduite souterraine surgit et éructa, désinvolte, des flots d'acide.
Toutes les filles portaient des bas rouges et de grands seaux pleins à ras bord de vermillon. Un haut silo à poudre se scalpa lui-même : sa cervelle se répandit en efflorescences bourgeonnantes. En bas, il fit hara-kiri et balança à plusieurs reprises son corps monumental au-dessus de la sanglante déchirure, avant que son corps monumental ne s'abatte. Des mains livides s'agitaient un peu partout au hasard. Beaucoup avait dix doigts gourds et sans phalanges, plus un onzième fait de nodosités et de bosses rougies (et, sous nos pieds, le martèlement fou du grand quadrille des galoches). Vrais loups-garous, de < Jeunes Hitlériens > rampaient aux alentours. Des pompiers se démenaient prestement. Des centaines de bras jaillissaient des cicatrices béantes de l'herbe pour distribuer des tracts de pierre : on y lisait, en caractères gigantesques, ce seul mot : MORT.
Des vautours de béton aux serres de fer incandescent passaient en vols compacts au-dessus de nos têtes en poussant des cris discordants (jusqu'au moment où, près des cités ouvrières, ils découvrirent une victime et fondirent sur elle). Une cathédrale d'un jaune frémissant hurlait dans la nuit aux franges violettes : c'est ainsi que la grosse tour sauta ! Des gerbes de boules lumineuses d'un rouge impudique se balançaient au-dessus de Bommelsen. Nous avions des visages bicolores : la moitié droite d'un beau vert, la gauche d'un brun nébuleux. Le sol dansait et se dérobait sous nos pas. Nous lancions nos jambes en cadence. Une corde de lumière décrivait d'affolants loopings dans le ciel : à droite, bonbon translucide, à gauche, d'un violet vertigineux.
Le ciel se découpait en dents de scie. La terre était un étang rouge et agité.
Et des hommes-poissons noirs, qui se contorsionnaient : Poussant des cris stridents, une fille, torse nu, s'avançait vers nous en sautillant ; la peau pendait autour de ses seins mutilés, comme un jabot de dentelle. Ses bras désarticulés flottaient derrière elle comme deux bandes de lin blanc. Les serpillières rouges du ciel épongeaient le sang avec un bruit flasque. Un long camion à plateau chargé d'hommes bouillis et rôtis passa, silencieux, sur ses roues de caoutchouc. Sans répit, les gigantesques mains de l'air nous saisissaient, nous soulevaient et nous plaquaient au sol. D'autres, invisibles, nous cognaient l'un contre l'autre, à nous faire frissonner de sueur et d'épuisement (ma belle grande fille puante de sueur : viens, partons !)
Une soute à essence se libéra d'une secousse, se recroquevilla comme un grain de mica sur une main brûlante et fondit instantanément en un magma informe (qui se mit à répandre des torrents de feu. Sidéré, un agent essaya de barrer le chemin à l'un d'eux et se volatilisa en service commandé). Une grosse nébuleuse se dressa contre les entrepôts, gonfla son ventre replet et sa tête à claques émit un rot bruyant avant de partir d'un rire de gorge : Qu'est-ce que vous en dites ! Ensuite, écumante de rage, elle se mit à se nouer bras et jambes en un écheveau inextricable. Enfin, elle se tourna vers nous, stéatopyge et lâcha en guise de pet des gerbes de tubes d'acier incandescent, avec un savoir-faire consommé. Autour de nous, les buissons en grésillaient.
Un cadavre embrasé vint finir de se consumer à mes pieds : à genoux, comme pour une dernière sérénade, une déclaration enflammée, au milieu des tourbillons de fumée ; un de ses bras brûlait encore et les chairs graillonnaient doucement. Tombé du ciel « du plus haut des cieux », comme une apparition de la Vierge. (Décidément, le monde en était plein à craquer. Chaque fois qu'un toit se soulevait comme un couvercle, il en jaillissait de toutes les corniches éclatées, de ces plongeurs casqués ou les cheveux au vent, qui planaient un instant puis, en bas, crevaient comme des cornets de papier. Ecrasés par la main d'un dieu retombé en enfance !)
Une actinie de feu, gélatine de rubis, se mit à palpiter dans un sous-bois à la Döblin, oscillant gracieusement, avec des centaines de bras adventices (au bout de chacun d'eux ondoyait une ventouse venimeuse). Elle plongea comme à regret dans les profondeurs de la mer nocturne et n'eut plus que quelques éclats spasmodiques. Un bunker de trois étages se mit à tanguer ; il eut un grognement endormi et agita les omoplates ; puis il se débarrassa en un hoquet de son toit et de ses murs et son aurore verticale nous fit en un clin d'oeil des vêtements de taffetas rouge feu et des visages de roses empourprées, (jusqu'au moment où une explosion sourde retira le sol sous nos pieds comme une toile de sauvetage brusquement tirée : Une voiture de pompiers tomba du ciel en décrivant une longue spirale et fit plusieurs tonneaux avant d'aller expirer dans les gravats en dodelinant du capot. Les cadavres étaient tassés les uns contre les autres, dans des poses criantes de vérité).
(Pendant un moment, de larges et silencieux flocons de feu tombèrent autour de nous, come di neve in Alpe senza vento : du revers de la main, et à grands coups de casquette, je les éloignais de ma déesse Käthe. Je sautillais autour d'elle en l'implorant. Elle en ôta un de mes cheveux gris qui commençaient déjà à sentir le roussi, puis se remit à suivre des yeux les trajectoires invisibles des ombres sifflantes.)
Un géant apparu dans le ciel, hiératique : dans chaque main il brandissait un haut fourneau. Il ne cessait de prophétiser la mort, la mort et toujours la mort : impressionné, je portai la main devant mes yeux et je vis alors mes os sombres à travers la chair rouge et translucide. Un immense compas aux branches de feu dansait le charleston sur les murs qui s'émiettaient en cadence. La route en blêmissait et se liquéfiait à mesure. On vit passer sur des civières beaucoup de caisses noires et graisseuses : les ouvriers de l'équipe de nuit, nous expliqua le chef de convoi, puis, la langue pâteuse, il reprit sa place à la tête du silencieux cortège. Des météores filaient en klaxonnant dans les couches supérieures de l'air. Des fermes se tordaient de rire, à s'en faire sauter les bardeaux du toit. De fabuleuse pyrotechnies se livraient un peu partout à des ébats sacrilèges, des jets d'étincelles fusaient en geysers.
Dans le groupe éploré et jacassant qui gesticulait au bord de la route, une femme devint brusquement folle : de ses poings convulsivement serrés, elle retroussa ses jupes jusqu'à la ceinture, ouvrit la bouche à s'en décrocher la mâchoire, et figée, sa tignasse en délire, elle bascula dans le jazz-band endiablé des ruines croulantes. Tout à coup, devant nous, le sol se mit à rougeoyer. Une large veine s'y enfla, se ramifia en pâlissant, palpita, s'empustula et bouillonna comme une soupe montée, puis creva avec un gémissement déchirant (l'air chauffé à blanc manqua nous étouffer. En vomissant, nous reculâmes à tâtons dans l'ombre. Un sapin prit feu avec un grand cri : sa robe et ses cheveux, tout flamba instantanément ; mais ce n'était rien à côté des orgues barytonnantes qui tonnaient leurs ordres du haut d'immenses chars de lumière et entrechoquaient leurs dents de flammes, hautes comme des palissades).
Et : voilà que la grosse femme de tout à l'heure passait juste au-dessus de nos têtes, incandescente, à califourchon sur une poutre déchiquetée. Ses mamelles d'amadou, éclatées, projetaient des flammèches. Par-derrière, le vent nous sifflait méchamment entre les jambes, roulant des tourbillons de poussière asthmatique et compatissante : quand ça lui chantait, il dressait sans crier gare d'instables tabernacles d'étincelles. Un pénis de lumière, long comme une cheminée, se mit à éperonner la toison de la nuit (mais il fléchit prématurément ; à droite, par contre, une colonne de flammes la barbe roussie s'amenait en dansant une allègre bourrée, faisant gronder et sangloter les gravats sous nos pieds).
Une voix sifflante sortait d'un homme qui, le feu au derrière, semblait brûler de dire : On en grille une ? Il se retrouva collé par le front à une souche contre laquelle il frétilla encore un moment, agité de longs soubresauts. Les déflagrations irrégulières nous assommaient à coups de massue. Les morsures de la lumière nous arrachaient la peau autour des yeux. A côté de nous, des ombres tombaient à genoux. Le bunker B 1107 meuglait comme un taureau : il finit par projeter dans les airs son crâne de béton délabré : ensuite sa panse éclata et une fournaise aveuglante nous coupa le souffle (je n'arrêtais pas d'appliquer des mouchoirs mouillés sur la bouche béante et les narines frémissantes de Käthe).
Les pans déchiquetés de la nuit volaient, jaunes et noirs ! (même, un moment, cette drôlesse n'arbora plus que des oripeaux rouges et flottants !) : Quatre hommes couraient à la poursuite d'un gigantesque serpent qui sauta par-dessus le talus de la voie ferrée : sa gueule écumait et sifflait. Ils y plantèrent leurs cognées, sans doute en hurlant, (mais on n'entendait rien, on ne voyait que leurs bouches ouvertes et les ridicules casques de ces héroïques imbéciles). D'immenses panneaux lumineux surgissaient de toutes parts, mais si vite qu'on ne pouvait déchiffrer tous leurs grondants messages (nos yeux éblouis par leurs couleurs corrosives s'entrouvraient douloureusement, par une sorte d'automatisme, à intervalles réguliers. « Viens donc ! Käthe ! » claquant la langue, des flammes, vraies putains tout en rouge, au visage pointu et bariolé de fard mal appliqué, poussèrent une pointe de notre côté, bombèrent leurs ventres lisses avec un rire éraillé, puis se rapprochèrent davantage, dans une lumière tapageuse et faisandée de bordel : « Viens donc, Käthe ! »).
De ses multiples lèvres et langues tentaculaires, lisses et luisantes, la nuit faisait des bruits mouillés de baisers lascifs : elle se livra aussi à de stupéfiants numéros de strip-tease, nous entourant du ruissellement multicolore de ses crissants oripeaux. Des rafales d'applaudissements crépitèrent, (accompagnés de trépignements d'enthousiasme à nous fendre le crâne). Des camions pleins de SS gesticulants s'aventurèrent un peu trop loin : les garçons en jaillirent, craquèrent comme des allumettes et s'éteignirent un à un (tandis que leurs véhicules poursuivaient leur course cahotante en se désagrégeant). Un jeune gars s'approcha de nous en pleurnichant, tendant ses bras en croix d'où la peau pendouillait en tremblotant comme une loque. Il montrait toutes ses dents de cuivre et gémissait au rythme des détonnations, chaque fois que le monstrueux gorille se frappait bruyamment la poitrine.
Dans les entrailles de la terre, un grondement ininterrompu, comme d'interminables métros : c'étaient les soutes à obus ! : Bon ! : ça vaut toujours mieux que les lâcher au hasard sur coupables et innocents confondus ! Chaque jet de flammes venait lécher indiscrètement un groupe de < Jeunes Filles Allemandes >. Elles respiraient encore lorsque nous les tirâmes dans l'herbe par leurs jambes raides.
« Käthe !! »
« Couche-toi !! »
Tout près de nous, un bunker se mit à piauler : il redressait si insolemment sa crête rouge que nous n'eûmes que le temps de nous plaquer au sol et que nous n'avons cessé de trembler tout le temps qu'il passait au-dessus de nos têtes avec un souffle à renverser les murs. A sa place apparurent successivement :
Un champignon de feu (30 hommes n'auraient pu en faire le tour),
puis la Giralda de Séville,
ensuite, de l'apocalyptique en veux-tu en voilà (et des montagnes de fagots ignifiés).
Et c'est seulement après que la détonation nous aplatit sur l'herbe, étreignant de la terre, collés à elle, et qu'en face, les maisons de la cité ouvrière jetèrent en guise de casquette toutes leurs batteries de cuisine dans l'air grondant d'assourdissants vivats : - « Käthe !! »
« Kä-thä !!! »

Arno Schmidt - Scènes de la vie d'un faune - 1953
Traduction Jean-Claude Hémery et Martine Vallette - pp. 177/187
Christian Bourgois éditeur - 1991


30ème jour du Calendrier Armée Noire

Interférences - Hugo-Beauchemin Lachapelle



Matias Sanchez - Sans titre


Jaser météo
beau temps
mauvais temps
jaser sport
jaser femmes
télévision
jaser politique
argent retraite
jaser famille
jaser culture
jaser films
littérature
théâtre
jaser toujours jaser
jaser pour passer le temps
pour ne pas s’ennuyer
jaser parce que
eh bien parce que
c’est la seule
chose qu’il y a à faire
pour éloigner le silence
ce maudit silence
qui est comme la trame sonore
de la fin du monde

Ecrits contre le bavardage

Angle Vivant - Littérature, Poésie


Je découvre ce soir Angle Vivant - Littérature, Poésie. La page d'accueil m'a tapé dans l'oeil :





LITTÉRATURE

 
 
Fernand Khnopff


ANALYSE DE LA SÉANCE
Sur une idée de k.
Aujourd'hui
BOURSE DE LA POÉSIE
Tendances
Cette séance a débuté calmement sur les marchés, les intervenants sont restés relativement indécis. Techniquement, la configuration reste fragile à court terme, raison pour laquelle les analystes n'excluent pas un retour des cours autour de 4651 points.
Certaines composantes du marché font preuve de robustesse en début du contexte économique incertain.

C'est notamment le cas du titre SOUFFLE, qui évolue à l'intérieur d'un triangle symétrique depuis plus de trois mois. Porté par un vent d'optimisme le titre prend 6 points à 94,3. Il reste plus que jamais la valeur phare du marché.

OMBRE s'est stabilisé autour des 51,4 points ce qui indique une relative indécision de la part des intervenants. Cette situation devrait selon les analystes laisser place à une nouvelle impulsion, étant donnée que la dynamique de moyen terme reste favorable.

PIERRE a crée la surprise en s'envolant dans d'importants volumes, avec un gain de près de 12%, le titre est parvenu à s'affranchir de son obstacle de 43,86 c. et de sa moyenne mobile à 50 jours. Les analystes plaident pour une poursuite de la reprise en direction de la résistance majeure des 50c.

VISAGE a encore cédé du terrain en terminant sur un repli de 1,22%. Les intervenants focalisent leur attention sur les difficultés auxquelles est confrontée l'économie, dans la mesure où le fiscal-cliff fait peser le risque d'une récession. Au niveau de l'analyse technique le prochain support de l'indice se situe désormais à 1365 points.
Coups d'œil sur le reste des valeurs phares du marché.

MÉMOIRE -5,6% 61,1 c LUMIÈRE +1,2% 87,1 c ONGLE +0,3% 21.6 c CRI + 6% 81,0 c LOINTAIN -2,4% 49,2 c SILENCE -2,4% 79,2 c VENTRE -0,9% 30,9 c FLEUR +2,4% 55,1 c FORÊT -5,1% 11,1 c DÉSIR +0,1% 54,4 c OISEAU +3,1% 77,7 c



 
Angle Vivant Live

Je potasse - mamabenz



KBr·KBrO3·KCN·KCNO·KCl·KClO3·KClO4·KF·KH·KHCO2·KHCO3·KHF2·KHSO3·KHSO4·KH2AsO4·KI·KIO3·KIO4·KMnO4·KNO2·KNO3·KOCN·KOH·KO2·KPF6·KSCN·K2CO3·K2CrO4·K2Cr2O7·K2FeO4·K2HPO4·K2MnO4·K2O·K2O2·K2PtCl4·K2PtCl6·K2S·K2SO3·K2SO4·K2SO5·K2S2O5·K2S2O7·K2S2O8·K2SiO3·K3[Fe(CN)6]·K3[Fe(C2O4)3]·K4[Fe(CN)6]·K3PO4·K4MnO4·K4Mo2Cl8.



De façon caustique, je potasse un max.
Je macère et lessive dans le même temps.
Travail de fond. Le ménage de printemps en hivers.

Invisible et muette
la colère avant la révolte
lubrifier la trompette.


Au lavoir

Big Band Caged - Volodymyr Bilyk



Volé ici

Traité de bave et d'éternité - Armée Noire // Isidore Isou





Here

 
Il est trop riche. Il est obèse. Il a atteint ses limites. Il éclatera !






29ème jour du Calendrier Armée Noire

Le sucre est délicieux lorsqu'on le prend dans du café, mais personne ne mangerait une assiette de sucre : ce serait trop. - Witold Gombrowicz


« Me voici, moi, seul en Argentine, coupé de tout, perdu, anéanti, anonyme. J'étais excité un peu, un peu effrayé. En même temps, quelque chose en moi me faisait saluer avec une émotion passionnée le coup qui m'anéantissait et m'arrachait aux assises d'un ordre acquis.
La guerre ? La débâcle polonaise ? Pouvais-je vivre tout cela, pouvais-je me faire du souci d'une manière "normale", moi qui avais tout su d'avance, et l'avais déjà éprouvé bien avant ? Oui, je ne mens pas en disant que je communiais dans mon coeur avec la catastrophe. Lorsqu'elle arriva, je me dis quelque chose qui était à peu près :-Ah, bon ! C'est arrivé ! Et je compris que le temps était venu de mettre à profit la faculté de dire adieu, de rompre, de rejeter tout, ce que j'avais cultivé en moi.
»
Witold Gombrowicz, Journal, tome 1 (1953-1958), folio, Gallimard, 1995
Traduction du polonais Dominique Autrand, Christophe Jezewski et Allan Kosko


« Mon oeuvre est très chic, comme un nécessaire de voyage : une grande valise - ce sont mes romans, deux valises moyennes - ce sont mon Journal et mon théâtre, et une petite valise - ce sont mes contes. » 
Witold Gombrowicz à Rita Gombrowicz



Witold Gombrowicz et Rita Labrosse, 1966


Contre les poètes
" Presque personne n'aime les vers, et le monde des vers est fictif et faux." Tel est le thème de cet article. Il paraîtra sans doute désespérément infantile, mais j'avoue que les vers me déplaisent et même qu'ils m'ennuient un peu. Non que je sois ignorant des choses de l'art et que la sensibilité poétique me fasse défaut. Lorsque la poésie apparaît mêlée à d'autres éléments, plus crus et plus prosaïques, comme les drames de Shakespeare, les livres de Dostoïevski, de Pascal ou tout simplement dans le crépuscule quotidien, je frissonne comme n'importe quel mortel. Ce que ma nature supporte difficilement, c'est l'extrait pharmaceutique et épuré qu'on appelle "poésie pure" surtout lorsqu'elle est en vers. Leur chant monotone me fatigue, le rythme et la rime m'endorment, une certaine "pauvreté dans la noblesse" m'étonne (roses, amour, nuits, lys) et je soupçonne parfois tout ce mode d'expression et tout le groupe musical social qui l'utilise d'avoir quelque part un défaut. Moi-même, au début, je pensais que cette antipathie était due à une déficience particulière de ma "sensibilité poétique", mais je prends de moins en moins au sérieux les formules qui abusent de notre crédulité. Il n'est rien de plus instructif que l'expérience, et c'est pourquoi j'en ai trouvé quelques-unes fort curieuses : par exemple, lire un poème quelconque en modifiant intentionnellement l'ordre de lecture, de sorte qu'elle en devenait absurde, sans qu'aucun de mes auditeurs (fins, cultivés et fervents admirateurs du poète en question) ne s'en aperçoive ; ou analyser en détail un poème plus long et constater avec étonnement que "ses admirateurs" ne l'avaient pas lu en entier. Comment est-ce possible ? Tant admirer quelqu'un et ne pas le lire. Tant aimer la "précision mathématique des mots" et ne pas percevoir une altération fondamentale dans l'ordre de l'expression. C'est que le cumul des jouissances fictives, d'admirations et de délectations repose sur un accord de mutuelle discrétion. Lorsque quelqu'un déclare que la poésie de Valéry l'enchante, mieux vaut ne pas trop le presser d'indiscrètes questions, car on dévoilerait une vérité tellement sarcastique (sic) et tellement différente de celle que nous avions imaginée que nous en serions gênés. Celui qui abandonne un moment les conventions du jeu artistique bute aussitôt contre un énorme tas de fictions et de falsifications, tel un esprit scolastique qui se serait échappé des principes aristotéliciens. Je me suis donc retrouvé face au problème suivant : des milliers d'hommes écrivent des vers ; des milliers d'autres leur manifestent une grande admiration ; de grands génies s'expriment en vers ; depuis des temps immémoriaux, le poète et ses vers sont vénérés ; et face à cette montagne de gloire, j'ai la conviction que la messe poétique a lieu dans le vide le plus complet. Courage, messieurs ! Au lieu de fuir ce fait impressionnant, essayons plutôt d'en chercher les causes, comme si ce n'était qu'une affaire banale. Pourquoi est-ce que je n'aime pas la poésie pure ? Pour les mêmes raisons que je n'aime pas le sucre "pur". Le sucre est délicieux lorsqu'on le prend dans du café, mais personne ne mangerait une assiette de sucre : ce serait trop. Et en poésie, l'excès fatigue : excès de poésie, excès de mots poétiques, excès de métaphores, excès de noblesse, excès d'épuration et de condensation qui assimilent le vers à un produit chimique. Comment en sommes-nous arrivés là ? Lorsqu'un homme s'exprime avec naturel, c'est-à-dire en prose, son langage embrasse une gamme infinie d'éléments qui reflètent sa nature tout entière ; mais il y a des poètes qui cherchent à éliminer graduellement du langage humain tout élément a-poétique, qui veulent chanter au lieu de parler, qui se convertissent en bardes et en jongleurs, sacrifiant exclusivement au chant. Lorsqu'un tel travail d'épuration et d'élimination se maintient durant des siècles, la synthèse à laquelle il aboutit est si parfaite qu'il ne reste plus que quelques notes et que la monotonie envahit forcément le domaine du meilleur poète. Son style se déshumanise, sa référence n'est plus la sensibilité de l'homme du commun, mais celle d'un autre poète, une sensibilité "professionnelle" - et, entre professionnels, il se crée un langage tout aussi inaccessible que certains dialectes techniques ; et les uns grimpent sur les dos des autres, ils construisent une pyramide dont le sommet se perd dans les cieux, tandis que nous restons à ses pieds quelque peu déconcertés. Mais le plus intéressant est qu'ils se rendent tous esclaves de leur instrument, car ce genre est si rigide, si précis, si sacré, si reconnu, qu'il cesse d'être un mode d'expression ; on pourrait alors définir le poète professionnel comme un être qui ne s'exprime pas parce qu'il exprime des vers. On a beau dire que l'art est une sorte de clef, que l'art de la poésie consiste à obtenir une infinité de nuances à partir d'un petit nombre d'éléments, de tels arguments ne cachent pas un phénomène essentiel : comme n'importe quelle machine, la machine à faire des vers, au lieu de servir son maître, devient une fin en soi. Réagir contre cet état de choses apparaît plus justifié encore que dans d'autres domaines, parce que nous nous trouvons sur le terrain de l'humanisme "par excellence". Il y a deux formes fondamentales d'humanisme diamétralement opposées : l'une que nous pourrions appeler "religieuse" et qui met l'homme à genoux devant l'oeuvre culturelle de l'humanité, et l'autre, laïque, qui tente de récupérer la souveraineté de l'homme face à ses dieux et à ses muses. On ne peut que s'insurger contre l'abus de l'une ou de l'autre. Une telle réaction serait aujourd'hui pleinement justifiée, car il faut de temps à autre stopper la production culturelle pour voir si ce que nous produisons a encore un lien quelconque avec nous. Ceux qui ont eu l'occasion de lire certains de mes textes sur l'art seront peut-être surpris par mes propos, puisque j'apparais comme un auteur moderne, difficile, complexe et peut-être même parfois ennuyeux. Mais - et que ceci soit clair - je ne dis pas qu'il faut laisser de côté la perfection déjà atteinte, mais que cet aristocratique hermétisme de l'art doit être, d'une façon ou d'une autre, condensé. Plus l'artiste est raffiné, plus il doit tenir compte des hommes qui le sont moins ; plus il est idéaliste, plus il doit être réaliste. Cet équilibre qui repose sur des condensations et des antinomies est à la base de tout bon style, mais nous ne le trouvons ni dans les poèmes ni dans la prose moderne influencée par l'esprit poétique. Des livres comme la Mort de Virgile , de Herman Broch, ou même le célèbre Ulysse , de Joyce, sont impossible à lire parce que trop "artistiques". Tout y est parfait, profond, grandiose, élevé, mais ne retient pas notre intérêt parce que leurs auteurs ne les ont pas écrits pour nous, mais pour leur dieu de l'art. Non contente de former un style hermétique et unilatéral, la poésie pure est un monde hermétique. Ses faiblesses apparaissent d'autant plus crûment que l'on se prend à contempler le monde social des poètes. Les poètes écrivent pour les poètes. Les poètes se couvrent mutuellement d'éloges et se rendent mutuellement hommage. Les poètes saluent leur propre travail et tout ce monde ressemble beaucoup à tous les mondes spécialisés et hermétiques qui divisent la société contemporaine. Pour les joueurs d'échecs, leur jeu est un des sommets de la création humaine, ils ont leurs supérieurs et parlent de Casablanca comme les poètes parlent de Mallarmé et se rendent mutuellement tous les hommages. Mais les échecs sont un jeu et la poésie quelque chose de plus sérieux, et ce qui nous est sympathique chez les joueurs d'échecs est, chez les poètes, signe d'une mesquinerie impardonnable. La première conséquence de l'isolement social des poètes est que dans leur royaume tout est démesuré et que des créateurs médiocres atteignent des dimensions apocalyptiques ou encore que des problèmes mineurs prennent une transcendance qui fait peur. Depuis quelque temps déjà, une polémique sur la question des assonnances divise les poètes et on aurait pu croire que le sort du monde dépendrait de savoir si on pouvait faire rimer "belle" et "lettre". Voilà ce qui arrive lorsque l'esprit de syndicat l'emporte sur l'esprit universel. La seconde conséquence est plus désagréable à dire. Le poète ne sait pas se défendre de ses ennemis. En effet, voilà que l'on retrouve sur le terrain personnel et social la même étroitesse de style que nous avons mentionnée plus haut. Le style n'est qu'une autre attitude spirituelle, devant le monde, mais il y a plusieurs mondes, et celui d'un cordonnier ou d'un militaire a bien peu de points communs avec celui d'un poète. Comme les poètes vivent entre eux et qu'entre eux ils façonnent leur style, évitant tout contact avec des milieux différents, ils sont douloureusement sans défense face à ceux qui ne partagent pas leurs crédos. Quand ils se sentent attaqués, la seule chose qu'ils savent faire est affirmer que la poésie est un don des dieux, s'indigner contre le profane ou se lamenter devant la barbarie de notre temps, ce qui, il est vrai, est assez gratuit. Le poète ne s'adresse qu'à celui qui est pénétré de poésie, c'est-à-dire qu'il ne s'adresse qu'au poète, comme un curé qui infligerait un sermon à un autre curé. Et pourtant, pour notre formation, l'ennemi est bien plus important que l'ami. Ce n'est que face à l'ennemi et à lui seul que nous pouvons vérifier pleinement notre raison d'être et il n'est que lui pour nous montrer nos points faibles et nous marquer du sceau de l'universalité. Pourquoi, alors, les poètes fuient-ils le choc libérateur ? Parce qu'ils n'ont ni les moyens, ni l'attitude, ni le style pour le défier. Et pourquoi n'en ont-ils pas les moyens ? Parce qu'ils se dérobent. Mais la difficulté personnelle et sociale la plus sérieuse que doit affronter le poète provient de ce que, se considérant comme le prêtre de la poésie, il s'adresse à ses auditeurs du haut de son autel. Or ceux qui l'écoutent ne reconnaissent pas toujours son droit à la supériorité et refusent de l'entendre d'en bas. Plus nombreuses sont les personnes qui mettent en doute la valeur des poèmes et manquent de respect au culte, plus l'attitude du poète est délicate et proche du ridicule. Mais, par ailleurs, le nombre des poètes grandit et, à tous les excès déjà cités, il faut ajouter celui du poète lui-même et celui des vers. Ces données ultra-démocratiques minent l'aristocratique et orgueilleuse conduite du monde des poètes et il n'y a rien de plus engageant que de les voir tous réunis en congrès se prendre pour une foule d'êtres exceptionnels. Un artiste qui se préoccupe réellement de la forme s'efforcerait de sortir de ce cul-de-sac, car ces problèmes apparemment personnels sont étroitement liés à l'art, et la voix du poète ne peut convaincre lorsque de tels contrastes le ridiculisent. Un artiste créateur et vital n'hésiterait pas à changer radicalement d'attitude. Et, par exemple, à s'adresser d'en bas à son public, tout comme celui qui demande la faveur d'être reconnu et accepté ou celui qui chante, mais sait qu'il ennuie les autres. Il pourrait proclamer tout haut ces antinomies et écrire des vers sans en être satisfait, en souhaitant que l'affrontement rénovateur avec les autres hommes le change et le renouvelle. Mais on ne peut tant exiger de ceux qui consacrent toute leur énergie à "épurer" leurs "rimes". Les poètes continuent à s'accrocher fébrilement à une autorité qu'ils n'ont pas et à s'enivrer de l'illusion du pouvoir. Chimères ! Sur dix poèmes, un au moins chantera le pouvoir du verbe et la haute mission du poète, ce qui prouve que le "verbe" et la "mission" sont en danger... Et les études ou les écrits sur la poésie provoquent en nous une impression bizarre, parce que leur intelligence, leur subtilité, leur finesse, contrastent avec leur ton à la fois naïf et prétentieux. Les poètes n'ont pas encore compris que l'on ne peut parler de la poésie sur un ton poétique et c'est pourquoi leurs revues sont remplies de poétisations sur la poésie et que leurs tours de passe-passe verbaux et stériles nous horrifient. C'est à ces péchés mortels contre le style que les conduisent leur crainte de la réalité et le besoin d'affirmer à tout prix leur prestige. Il y a un aveuglement volontaire dans ce symbolisme volontaire où tombent, dès qu'il s'agit de leur art, des hommes par ailleurs fort intelligents. Bien des poètes prétendent échapper aux difficultés que nous venons d'exposer, en déclarant qu'ils n'écrivent que pour eux-mêmes, pour leur propre jouissance esthétique, quoique, dans le même temps, ils fassent l'impossible pour publier leurs oeuvres. D'autres cherchent le salut dans le marxisme et affirment que le peuple est capable d'assimiler leurs poèmes raffinés et difficiles, produits de siècles de culture. Aujourd'hui, la plupart des poètes croient fermement à la répercussion sociale de leurs vers et nous disent étonnés : " Comment pouvez-vous en douter ?..." Voyez les foules qui accourent à chaque récital de poésie ! A combien d'éditions les recueils de poèmes ont-ils droit ? Que n'a t-on pas écrit sur la poésie et sur l'admiration dont sont l'objet ceux qui conduisent les peuples sur les chemins de la beauté ? Il ne leur vient pas à l'esprit qu'il est presque impossible de retenir un vers à un récital de poésie (parce qu'il ne suffit pas d'écouter une fois un vers moderne pour le comprendre), que des milliers de livres sont achetés pour n'être jamais lus, que ceux qui écrivent sur la poésie dans des revues sont des poètes et que les peuples admirent leurs poètes parce qu'ils ont besoin de mythes. Si, dans les écoles, les cours de langue nationale tristes et conformistes n'enseignaient pas aux élèves le culte du poète et si ce culte ne survivait pas à cause de l'inertie des adultes, personne, hormis quelques amateurs, ne s'intéresserait à eux. Ils ne veulent pas voir que la prétendue admiration pour leurs vers n'est que le résultat de facteurs tels que la tradition, l'imitation, la religion ou le sport (parce qu'on assiste à un récital de poésie comme on assiste à la messe, sans rien y comprendre, faisant acte de présence, et parce que la course à la gloire des poètes nous intéresse tout autant que les courses de chevaux). Non, le processus compliqué de la réaction des foules se réduit pour eux à : le vers enchante parce qu'il est beau. Que les poètes me pardonnent. Je ne les attaque pas pour les agacer, et c'est avec joie que je rends hommage aux valeurs personnelles de beaucoup d'entre eux; cependant, la coupe de leurs péchés est pleine. Il faut ouvrir les fenêtres de cette maison murée et faire prendre l'air à ses habitants. Il faut secouer la gaine rigide, lourde et majestueuse qui les enveloppe. Peu importe que vous acceptiez un jugement qui vous ôte votre raison d'être... Mes paroles vont à la nouvelle génération. Le monde serait dans une situation désespérée s'il ne venait pas dans un nouveau contingent d'êtres humains neufs et sans passé qui ne doivent rien à personne, qu'une carrière, la gloire, des obligations et des responsabilités n'ont pas paralysés, des êtres enfin qui ne soient pas définis par ce qu'ils ont fait et soient donc libres de choisir. 

La Havane, 1955
Traduction Annie Morvan - Editions Complexe - Bruxelles - 1988 
Dans la main du Singe 


Armée Rouge - Armée Noire




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Cécile Richard In Gare Maritime 2012 - Maison de la Poésie de Nantes.


L'Armée Rouge est en ville

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