la place du X



Presse-papier - Philippe Harnois



   scènes de la vie d'un faune - Arno Schmidt
Entre les parcelles 123 et 124 ; puis le chemin vers l'orée de la forêt : les fougères sauvages ; jaunes les vieilles, vertes les jeunes, oisives imposantes. Ma sente serpentait, contournée, toujours plus isolée et insignifiante, et s'était depuis longtemps perdue quand je m'arrêtait sur la droite : Bon sang ! : le voilà, l'endroit où Thierry et Caterre disparaissaient toujours ! (Ou plutôt : Thierry ou Caterre. - Et donc, je jetai mon cartable derrière un buisson, avec mon bâton, et sondai le terrain : -.-.- agir encore avant que les ténèbres ne m'engloutissent ; bravons encore un peu la mort!) 
traduction Nicole Taubes
Tristram 2013


   je te vois - Murièle Modély

dans le foyer

des oh my god

des we gonna die

des fuck fuck fuck

le repas terminé dans la pièce à côté

les jambes s'ouvrent les yeux se ferment
 éditions du cygne - 2014


    extermination (parental advisory) - Lucien Suel

Je déteste la bave collante des limaces sur les doigts.

J'utilise n'importe quel moyen pour les tuer sans les toucher. Je les transperce avec une pique à brochettes en acier inoxydable, sinon avec la lame d'un canif, voire avec toute branchette pointue ramassée dans le jardin.

Au pire, je me sers d'un éclat de silex pour éclater leur bedaine de gastéropode.
La Table Ronde – 2014


    mouvements - Henri Michaux

Abstraction de toute lourdeur

de toute langueur

de toute géométrie

de toute architecture

abstraction faite, VITESSE !
 in Face aux verrous
 Poésie/Gallimard – 2008


    Paysage lacustre avec Pocahontas - Arno Schmidt

Ma tête sur ses genoux (dans l'herbe haute de ses doigts) : et elle avait des taches vertes sur les cuisses, des bleu-noir à bordure jaune, toutes des grimpages dans le canoë, autour de certaines on voyait même des arcs dentés, et je secouai la tête, compatissant, hypocrite. Dans la toile d'araignée de paroles chuchotées, dans le lustre d'eau et de plomb./ 
in Roses & Poireau - traduction Claude Riehl
éditions Maurice Nadeau - 1994



Moines - Minoru Yoshiokia

Quatre moines

Déambulent dans un jardin

De temps en temps ils enroulent une étoffe noire

En forme de bâton

Et sans la moindre haine

Ils flagellent une jeune femme

Jusqu'à ce que les chauves-souris hurlent

L'un prépare les repas

L'un va chercher les impies

L'un se masturbe

L'un est tué par une femme 
in Anthologie de poésie japonaise contemporaine
traduction Jeanne Sigée
Gallimard – 1986



week-end - Jean-Luc Godard



Jean-Luc Godard, Jean Yanne, Claude Miller, Antoine Duhamel, Mireille Darc,
Jean-Pierre Kalfon, Jean-Pierre Léaud, Yves Beneyton, Valérie Lagrange,
Anne Wiazemsky, Michel Cournot, Paul Gégauff, Daniel Pommereulle, Yves
Afonso, Virginie Vignon, Juliet Berto, Blandine Jeanson, Ernest Menzer,
Helen Scott, Georges Staquet, Sanvi Panou, László Szabó, Michèle Breton,
Jean Eustache, Corinne Gosset, Louis Jojot, Guy Béart, Mozart, Raoul
Coutard, René Levert, Agnès Guillemot...


LES POÈTES NE SONT PAS VOS PUTES !



le bordel de la poésie débarque en france




Lecture de la tragédie de Voltaire - l’Orphelin de la Chine
chez Madame Geoffrin  - Anicet Charles Gabriel Lemonnier, 1812





Voyez comme vos macs nous cernent.
Voyez comme ils tentent de nous baiser, de lécher nos mains.
Voyez ces frusques fadasses ; voyez ces alcôves insipides.
Voyez comme la poésie ne baise plus ; voyez comme elle rampe.

Votre paternalisme nous condamne à la clandestinité.
Nous voulons tous les carcans ; ceux de l'interdiction, ceux de la prohibition, ceux de l'abolition, ceux des pissotières, ceux des friches industrielles, ceux des aires d'autoroutes, ceux de la criminalisation...


Nous vous haïssons ; vous et vos flics.

Vous défendez votre liberté à nous baiser.

Nous défendons notre droit à ne pas crever.


Nous exigeons la strape.

Nous exigeons le cuir.

Nous exigeons de vous punir.


POÈTE N'APPARTIENT À PERSONNE !

 


À la dure lutte du STRASS     
http://www.strass-syndicat.org/


pisser comme Césaire


la robe - Arno Schmidt // Egon Schiele - #2



Egon Schiele



Selma donc, comme dit, tout organdi caillebotté, plein soleil, me saisit les mains d'un geste contraint, nous nous tripatouillons les doigts, à ma grande surprise mon cœur aussi se mit au trot, et enfin, laissant de côté tous les Oghams et Futharks, nous nous l'avouâmes franchement : combien nous étions mignons ensemble, etcetera. Sa robe dansotait par anticipation, fit sans doute aussi la roue, avec décence, et semblait d'ailleurs pas mal entreprenante, la robe. /


Arno Schmidt - Paysage lacustre avec Pocahontas
Traduction Claude Riehl

MAURICE NADEAU - 1994


 Arno Schmidt // Egon Schiele - #1



Vitres de son - Antonin Artaud // Val K






Vitres de son où virent les astres,

verres où cuisent les cerveaux,

le ciel fourmillant d'impudeurs

dévore la nudité des astres.



Un lait bizarre et véhément

fourmille au fond du firmament ;

un escargot monte et dérange

la placidité des nuages.



Délices et rages, le ciel entier

lance sur nous comme un nuage

un tourbillon d'ailes sauvages

torrentielles d'obscénités.


Antonin Artaud - Poèmes 1924-1935
Œuvres complètes 1 - 1976

Le grand combat - Henri Michaux




Il l'emparouille et l'endosque contre terre ;
Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle ;
Il le pratèle et le libucque et lui barufle les ouillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l'écorcobalisse.
L'autre hésite, s'espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.
C'en sera bientôt fini de lui ;
Il se reprise et s'emmargine... mais en vain.
Le cerceau tombe qui a tant roulé.
Abrah ! Abrah ! Abrah !
Le pied a failli !
Le bras a cassé !
Le sang a coulé !
Fouille, fouille, fouille,
Dans la marmite de son ventre est un grand secret
Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs ;
On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne
Et vous regarde,
On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret.


Henri Michaux - Qui je fus
Gallimard 1927

 

de la rigolade - Charles Pennequin



Travaux du tramway T6 - Vélizy - Avenue Morane Saulnier - Detail rigole centrale - Lot 34
© akiry




sur le blog Armée Noire :
Nous étions des âmes simples, des petites âmes de pauvres, des petites gens, des gens de petite fortune, des âmes pas grandement compliquées, de la petite mitraille, de la misérable bière, du populo très tranquille, pas méchant pour un sou, du petit peuple sans soucis, nous étions des petites personnes pas compliquées du tout, pas bien finaudes non plus, car nous n'étions pas très futées, des futilités, des babioles, des bidules pour l'histoire, nous étions la petite histoire, le petit remuement, la vaguelette qui se meure dans l'histoire, nous étions de la petite bière dans la vie historique, le petit mouvement de société, la petite pente mal dégrossie, la société sans classe, le mouvement pas cadré, des objets mal foutus et qui dérangent, de la bagatelle, de petits bibelots frivoles et mis de guingois, de la bricole pas passionnante, des sujets pas très affriolants, de petites badernes dans la civilisation, on parlait peu de nous, on parlait de nous mais pour rien dire de captivant, pour dire des sottises, car on ne pouvait rien sortir de nous, nous étions la petite sottise du temps, le petit cœur simple, pas compliqué, le petit cœur du temps historique et qui bat simplement, sans conséquence, sans une once de méchanceté, mais qui n'est jamais vraiment ravagé, qui bat sa petite mesure dans l'ombre des grands moments, des grandes décisions, des grands ravages, des grands coups de feu de l'histoire, nous étions de la petite graine qui saute sur un gros tambour, rien d'autre que de minuscules bâtons de riz qui danse sur la grande peau, la grande peau du monde, nous n'étions pas de cette peau-là, nous n'avions que notre peau, notre petite peau et à l'intérieur nos frêles petits os, nos organes pas très folichons et nos sales petites viscères, nos malheureux excréments, nos foutues selles qui nous ressemblaient trait pour trait, tout au moins pour les grands de ce monde, nous étions les fèces des plus grands, nous sentions mauvais, nous empestions même, nous dérangions, nous étions le dérangement permanents, nous étions de toutes les époques, nous dérangions l'histoire avec nos paroles inintéressantes, nous avions nos bonnes blagues dans nos petites bouches, de petites histoires sans parole qui nous sortait du bec, pour tenir le coup, nos historiettes sans histoire et qui faisait ricaner l'histoire, la vraie, car heureusement il y avait la vraie histoire, la grandeur, heureusement il y avait les grandes heures historiques, heureusement il y avait les coups de poing dans l'histoire, heureusement il y avait les cris historiques et non ces petits murmures indistincts, cette petite mousse hors du trou, ce petit parler crapotant, nous étions ceux qui grouillent tandis que les grandes mesures sonnaient l'heure, chaque heure fut sonnée sans nous, chaque heure de chaque société fut sonnée tandis que nous battions la campagne, la chamade, tandis que nous battions en retraite, apeurés et sourds aux discours et aux actes importants, chaque moment de chaque époque sociétale, chaque moment important, chaque mouvement décisif dans la civilisation se fit sans notre secours, on criait plutôt au secours en détalant, car nous n'étions pas de cette civilisation, nous comptions à peine dedans, de la piétaille, de la petite gonflette, une foultitude de gens modestes, un encombrement, une affluence sans influence, des sans grades qui vont à pied, car nous n'étions pas intéressants, on se passait de nous, nous n'étions que vilénies, ragots, commérages, injures aux grands hommes, nous n'étions que de la petite monnaie pour eux, une vaisselle de poche, un petit bruit qui dérange dans la vie, un persiflages, nous étions des rodomontades de vies, des glorioles, des mentiries, des broderies de fanfarons, sans intérêt, nous étions de tous les baragouinages, de tous les bafouillages, on bouinait sans conscience nos langages, on flânait et on blablatait sans cesse, mais tout ça sans importance, on parlait sans frais, car nous étions dedans, certes, dans cette société, cette civilisation, mais pour faire la masse, pour faire un peu de relief, pour façonner un peu l'image avec nos corps, nos corps charriés dans des aventures qui n'étaient pas les nôtres, nos corps ballotés au loin du cadre, nos corps comme un pauvre paysage vu de loin, nous étions l'horizon mais pas le grand horizon, le vrai horizon fier que l'on pointe pour y aller, pas le grand horizon qui captive le grand homme, le grand et le vrai horizon désigné par la grandeur d'un être, la grandeur d'une âme, nous n'avions pas d'âme, nous étions le tourment mais sans âme, on tournoyait sans cesse, nous étions plutôt l'abîme même, plutôt que l'horizon, même l'abîme fut un trop grand mot pour nous, il a fallu nous débaptiser, nous étions la petite trouée, l'accident, un petit talweg, une flaque, la chose qu'il faut bien passer outre, la chose qu'il faudra bien traverser et passer outre, la chose qu'il faudra bien s'y soumettre un moment pour passer outre et aller de l'avant, nous n'étions pas de l'avant, nous étions de l'arrière, des arriérés d'arrières pays, le pays de l'arrière avec ses arriérés de paysans dedans, nous étions minuscules et non majuscules, nous étions de toutes les décisions mais sans le vouloir, sans même le savoir, nous étions emportés avec les grands mouvements de l'histoire mais sans être au courant, nous étions dans les courants mais comme des bouches qui parlent trop, qu'il faut taire, des bouches de trop à nourrir, et nous étions mis en demeure de vivre, il nous fallait vivoter l'instant, respirer ce qu'on nous disait gentiment de respirer, penser ce qu'on nous dictait gentiment de penser, si nous pouvions un tant soit peu penser, on accompagnait le mouvement, personne ne nous tenait au jus, nous ne savions même pas que nous vivions, nous étions les futurs morts, nous étions déjà morts mais pour le futur aussi, nous jouions toutes les scènes où il fallait jouer, on ne nous comptait pas, nous étions les figurants, les pantins de l'histoire historique, nous étions les porteurs d'eau de notre destinés, nous aurions pu ne pas être là, nous n'y étions d'ailleurs pas, juste pour porter l'eau, l'eau au moulin, le petit moulin de nos petites et misérables vies, nos petites et misérables vies sacrifiés, nos petits moments sans rien dedans, nos petites et sales manies pas bien intéressantes, nous n'étions pas intéressants, nous étions le désintéressement total, le désintéressement de tout ce qui intéresse, nous étions les petits moments sans gloire dans la grande gloire, la lumière, nous étions aveuglés, mais nous restions tout sombres, puis nous tombions dans l'oubli, nous étions l'oubli même, la petite parlotte sur laquelle il pleut, nous étions fins prêts pour la boue, car il pleuvait tout le temps sur nous, sur nos dires et nos racontars, sur nos devinettes pas bien méchantes, sur nos paroles sans aucun lendemain, nous étions comme des amours sans lendemain, des aventures sans saveurs, nous étions torchés à la va vite dans les siècles, comme une vieille rengaine, nous rabâchions sans cesse à travers les âges, on nous chantait des berceuses, des comptines, on nous baratinait tout le temps, nous étions tout ce baratin, la chansonnette stupide, le refrain niais du soir historique,  nous étions de tous les siècles, les grands siècles qui ne nous ont jamais contemplés, nous étions dans l'histoire, sans aucun doute, mais vu du grand trou, le grand trou face à la grande montagne, nous clamions notre innocence à l'éminence des altitudes, nous chantions des louanges pour les hauteurs, nous bêlions face aux grands, puis nous repartions dans le trou, ce n'était même pas un grand trou, c'était le petit trou dans le grand trou, le vrai grand trou avec dedans le petit trou sans importance, la petite pente sans gravité, la rigole, nous n'étions pourtant pas rigolos, nous n'étions que de la rigolade, de la rigolade sans nom, voilà ce que nous étions.

lundi 15 août 2011 - 11:21