Journal d'un chien - Oskar Panizza







Novembre

L'univers en gésine rugit comme un vortex. L'outre n'en veut plus et se révulse.
Les feuilles des arbres prennent une couleur jaune fromageux et tombent. Les arbres stupéfiés dans la déréliction brandissent vers le ciel des mains noires et glabres. L'air n'est rien plus qu'une poix lactescente en suspens dans le vide. Les volatiles vocifèrent. La lune n'a plus sa fraîcheur ni son éclat, et son mufle fouit la glu molle. Les rus et les rivières gargouillent sous une chape mate. Le soir dans les champs une épaisse vapeur macère en un saindoux verdâtre où la lune, un peu patraque, se vautre avec prédilection. Le bétail beugle pitoyable et désemparé tandis que les hommes eux-mêmes ont perdu de leur frénésie. Leurs lèvres sont pincées, parcheminées et intraitables. On ferme les portes et les volets. Le soir, le vent s'abat sur nous et charrie la terreur, la faim et la mort.
L'univers se prépare un caisson pour muer. Je subodore enivré une sciure létale.



Oskar Panizza - Journal d'un chien
Traduction Claude Riehl
Plasma – 1983

mieux vaut ne pas examiner le reste, défaillant - Arno Schmidt



Le cœur dans la tête
Film de Oliver Schwelm. Musique de Pascal Holtzer.
Version française Laurent Szabo & Nicole Taubes.



Emission TV « Titel, Thesen, Temperamente » - 1973

Comptant sur la chance, nous nous sommes postés devant 
cette maison. Pour ce qui est d'Arno Schmidt, il ne se montre pas. La maison est cachée par la verdure et entourée de barbelés. Pas de sonnette. Inutile de téléphoner.




Retranscription - extraits 

" [...] L'artiste n'a qu'une alternative : exister en tant qu'homme ou en tant qu’œuvre. Dans le second cas, mieux vaut ne pas examiner le reste, défaillant [...] "

" [...] Quand on enferme des grandes araignées dans un bocal, une persistante tradition populaire rapporte qu'elles s'engagent aussitôt dans une lutte à mort, au point de s'entre-dévorer jusqu'à la dernière survivante, la plus féroce. Ce sont donc vraiment de sales bêtes envers leurs congénères, farouchement jalouses de leur solitude. En même temps tissant des toiles fabuleuses, elles sont d'incontestables artistes, si répugnantes que nous apparaissent leurs mœurs, ou plutôt leurs mœurs contre nature. J'ose avancer que tout grand écrivain, et dans une mesure directement proportionnelle à son importance, fut pareillement, au sens bourgeois du terme, un individu sans amis ni sociabilité [...] "


" [...] Un bon écrivain ne doit avoir ni ami, ni patrie, ni religion. Il y a là sûrement de quoi choquer le lecteur, mais ça signifie simplement que : si j'ai un ami, je pourrais être induit à altérer la vérité, qu'au-dessus de la patrie, il y a au moins encore une chose : l'humanité. Et que si je me réclame d'une religion, je suis incapable de comprendre les peuples suivant d'autres croyances. Autrement dit, cette formule choquante signifie que l'écrivain doit être objectif, une sorte de miroir du monde [...] "


" [...] Je dois dire que le fossé se creuse entre moi et les… Je ne sais pas s'ils sont vraiment jeunes. Je suis heureux d'apprendre que mon public vieillit avec moi. Il y a une chose qui me chagrine : notre jeunesse ouest-allemande, c'est différent à l'est, notre jeunesse ne sait plus ce que sont le travail et la discipline. Je crois qu'il y a un malentendu. Ils veulent tous… Ils sont ambitieux, ils veulent être célèbres, ils veulent réussir, mais… il faut payer de sa personne pour accomplir de grandes choses et ils n'en ont pas conscience [...] "

Arno Schmidt
Version française Laurent Szabo & Nicole Taubes


Dans la peau de l'autre - Thomas Bernhard



Horace Bristol



Je m'intéresse à peine à mon propre destin, et pour ce qui est des livres, alors pas du tout. Que dites-vous ? Aux traductions ?

Au destin de vos livres à l'étranger.

Je ne m'y intéresse pas du tout, une traduction est un autre livre qui n'a absolument rien à voir avec le texte original. C'est le livre de celui qui l'a traduit. Moi, j'écris en langue allemande. Ces livres-là, on vous les envoie à la maison, soit il vous font plaisir, soit non. Si la couverture est hideuse, ils ne font que vous agacer, puis on les feuillette, voilà tout. Mis à part un autre titre saugrenu, dans la plupart des cas, cela n'a rien de commun avec vos propres livres. On ne peut pas traduire. Un morceau de musique est interprété partout dans le monde conformément à la partition, mais un livre… Dans mon cas, on devrait l'interpréter partout en allemand. Avec mon orchestre.

Thomas Bernhard - Entretiens avec Krista Fleischmann
traduction Claude Porcell
L’Arche Éditeur - 2003
  

Maïakovski, une sorte de monument déjà tout fait - Elsa Triolet


Elsa TRIOLET parle du poète Maïakovski



Et bien, c'était un homme, donc très grand. Moi je passais facilement sous son bras comme sous un arc de triomphe et très large d'épaules. Il avait une assez grosse tête. Il avait des yeux de chien, vous savez, des yeux, des bons yeux, à ses bons moments. Il avait une très forte bouche et une grosse mâchoire. Il avait une tête tellement expressive que même s'il n'avait pas cette stature qu'il avait, il ne pouvait pas passer inaperçu à cause d'une sorte d'intensité d'expression. C'était une sorte de monument déjà tout fait. Il était en bronze tout vivant.

ORTF - 1963


Quelque chose brûle - Thomas Vinau



krrr.

 

Dans la blancheur informe
de la brume
les arbres sont comme
des bouffées de fumée
grises
et lourdes
soufflées par les naseaux
de la terre couchée

Quelque chose brûle
sans chaleur ni lumière

Nous avançons coriaces
mutiques
le pas lourd
de noirceur trempée
en jetant des mots secs
pour nourrir les corbeaux

Nous sommes nos propres lueurs
Nous sommes nos astres
et nos désastres

Nous n'allons nulle part
nous mettrons le temps qu'il faut




la voie du samouraï - Jim Jarmush // Vladimir Maïakovski



Jim Jarmush, Robby Müller, Jay Rabinowitz, Ted Berner, John A. Dunn, Forest Whitaker, John Tormey, Cliff Gorman, Tricia Vessey, Henry Silva, Richard Portnow, Isaach de Bankolé, Camille Winbush, Damon Whitaker, Gary Farmer, Frank Minucci, Frank Adonis, Victor Argo, Tony Rigo, Alfred Nittoli, RZA.





Un sabre surgit parfois dans le noir de ma nuit
 
Fendu mon crâne     
Fendue ma bouche
Fendu mon ventre **

** Vladimir Maïakovski




MAE - Céline Minard // Pénélope la MétaKronik // Scomparo



Se pencher dangereusement au-dessus du vide.






Le singe était debout devant moi. À genoux sur un replat de la roche, j'écoutais le lever du soleil qui faisait craquer le bois dans mon dos, et les pattes sèches des oiseaux parmi les graviers. La pierre qui supportait mon poids était plane et dure jusqu'à l'angle vertical qui plongeait directement dans la vallée.

Le monstre qui se croyait encore sous la protection de l'oubli des formes que la nuit dispense, se tenait sur ses orteils devant moi, craché par la sombre trachée des falaises, un bras dans la bouche.

Il avait passé des heures dans le dernier village au pied de la montagne à dispenser ses grâces aux hommes qui l'avaient accueilli avec des cris de surprise dont l'écho avait grimpé la roche sur des doigts de plus en plus rapides et des ongles cassés, avant de s'évanouir à mes oreilles.

De ceux qui m'avaient refusé la veille au soir la paille du simple abri, il ne restait peut-être que ce bras maigre détaché des passions de ce monde dans la gueule du macaque plein de sang qui me faisait face. Ce membre absurde, quelques flaques, quelques filets de sang et sans doute, sous un plancher intact, une cassette de bois finement ornée au contenu dérisoire.

Il se tenait à l'aplomb de la paroi qu'il venait de franchir, les muscles chauds, frémissants, les crocs plantés dans son morceau de viande, les narines palpitantes, un instant arrêté dans l'intégralité de son mouvement – surpris par ma simple présence.

Il n'était pas menaçant. Ses yeux luisaient d'une excitation déclinante, sur le point de passer au compte des souvenirs. Il était repu. La fatigue commençait à l'atteindre. Mais par habitude et parce qu'il s'était trouvé face à moi sur le sommet qu'il cherchait à atteindre mais que l'ascension lui cachait, debout et non plus accroché, pesant sur le plan brutalement inversé de la paroi, brièvement désorienté, il ne vit pas qu'il pouvait se détourner et choisit de dérouler un pas dans ma direction.

Le sabre sortit du fourreau sans que j'eusse l'impression d'y porter la main.

La coupe horizontale, appuyée par mon genou instantanément relevé, trancha son pied dans l'épaisseur et fit s'envoler dans la lumière du jour nouveau, des esquifs de fourrure vers la vallée.

La coupe verticale trancha son crâne et son visage en deux parties égales, dédoublant le sourire d'étonnement et les deux rangées de dents découvertes par le rictus de la mort qu'il avait eu le loisir d'observer au cours de la nuit et qu'il reprenait à son tour avec l'habileté caractéristique de son espèce.

Une canine un peu faible se détacha sous le choc et vint rouler sur la roche jusqu'au bord du gouffre où elle s'arrêta. J'entendis au travers du mince bouillonnement du sang versé, le tintement de cette perle contre la pierre, comme dans une alcôve un collier brisé, suivi du sifflement de fouet de mon sabre essoré dans l'espace.

Les dernières éclaboussures saluèrent avec moi l'éclat du jour que j'accueillis dans les formes, les pieds joints, les épaules tombées, les genoux fléchis. Sabre au fourreau dans la ceinture.




Céline Minard – KA TA

Rivages – 2014


Scomparo

piolet mexicain - Jean-Bernard Pouy






RADIO CINQUIÈME INTERNATIONALE

COMMUNIQUÉ

Allô ! Allô ! Groupes de la Lune Folle ! La R.C.I. vous ouvre les veines vénéneuses de l'information crashante ! La Radio des années merdeuses ! Sang Noir de Bakounine, groupe sombre entre tous lance un défi à Piolet Mexicain, en le traitant de… Nous ne vous le dirons pas, car cela est trop beau ! Les ambiances de mort se font et se défont vite ! Et un petit nouveau dans la masse des gangs qui ralentissent la vitesse de rotation de la Terre, les Artefacts. Longue vie à ces robots de l'inconscient !
Pourquoi le docteur n'a pas de visage ?

Heureux de vous rencontrer !
Espérons que vous devinez mon nom !
En avant ! Groupes de la Lune Folle !
Sympathy for the devil !


Jean-Bernard Pouy - Spinoza encule Hegel
canaille/revolver - 1994


Lucien Suel : reader's digest.



épiderme drei - Mike Mathes




C'est bon pour la santé !


Tableau idyllique : innocence consommée, accouplement béni, le bébé à naître.
Elle commença à formuler des projets : griller cigarette sur cigarette, rouler des cônes, siroter cocktail...

Membres endoloris, état semi-comateux, retenant un sanglot hypocrite, le papa était fou. Cette idée lui était venue sans préambule : trouver un moyen de gagner pas mal d'argent.
Cette évolution finirait par s’imposer à tous ! Rouge, vert, noir, blanc et aussi les bleus… le filet chimique ! 

Tout est (bon) dans le SILO
 

défragmentation






              Black Rag Post         


la place du X



Presse-papier - Philippe Harnois



   scènes de la vie d'un faune - Arno Schmidt
Entre les parcelles 123 et 124 ; puis le chemin vers l'orée de la forêt : les fougères sauvages ; jaunes les vieilles, vertes les jeunes, oisives imposantes. Ma sente serpentait, contournée, toujours plus isolée et insignifiante, et s'était depuis longtemps perdue quand je m'arrêtait sur la droite : Bon sang ! : le voilà, l'endroit où Thierry et Caterre disparaissaient toujours ! (Ou plutôt : Thierry ou Caterre. - Et donc, je jetai mon cartable derrière un buisson, avec mon bâton, et sondai le terrain : -.-.- agir encore avant que les ténèbres ne m'engloutissent ; bravons encore un peu la mort!) 
traduction Nicole Taubes
Tristram 2013


   je te vois - Murièle Modély

dans le foyer

des oh my god

des we gonna die

des fuck fuck fuck

le repas terminé dans la pièce à côté

les jambes s'ouvrent les yeux se ferment
 éditions du cygne - 2014


    extermination (parental advisory) - Lucien Suel

Je déteste la bave collante des limaces sur les doigts.

J'utilise n'importe quel moyen pour les tuer sans les toucher. Je les transperce avec une pique à brochettes en acier inoxydable, sinon avec la lame d'un canif, voire avec toute branchette pointue ramassée dans le jardin.

Au pire, je me sers d'un éclat de silex pour éclater leur bedaine de gastéropode.
La Table Ronde – 2014


    mouvements - Henri Michaux

Abstraction de toute lourdeur

de toute langueur

de toute géométrie

de toute architecture

abstraction faite, VITESSE !
 in Face aux verrous
 Poésie/Gallimard – 2008


    Paysage lacustre avec Pocahontas - Arno Schmidt

Ma tête sur ses genoux (dans l'herbe haute de ses doigts) : et elle avait des taches vertes sur les cuisses, des bleu-noir à bordure jaune, toutes des grimpages dans le canoë, autour de certaines on voyait même des arcs dentés, et je secouai la tête, compatissant, hypocrite. Dans la toile d'araignée de paroles chuchotées, dans le lustre d'eau et de plomb./ 
in Roses & Poireau - traduction Claude Riehl
éditions Maurice Nadeau - 1994



Moines - Minoru Yoshiokia

Quatre moines

Déambulent dans un jardin

De temps en temps ils enroulent une étoffe noire

En forme de bâton

Et sans la moindre haine

Ils flagellent une jeune femme

Jusqu'à ce que les chauves-souris hurlent

L'un prépare les repas

L'un va chercher les impies

L'un se masturbe

L'un est tué par une femme 
in Anthologie de poésie japonaise contemporaine
traduction Jeanne Sigée
Gallimard – 1986



week-end - Jean-Luc Godard



Jean-Luc Godard, Jean Yanne, Claude Miller, Antoine Duhamel, Mireille Darc,
Jean-Pierre Kalfon, Jean-Pierre Léaud, Yves Beneyton, Valérie Lagrange,
Anne Wiazemsky, Michel Cournot, Paul Gégauff, Daniel Pommereulle, Yves
Afonso, Virginie Vignon, Juliet Berto, Blandine Jeanson, Ernest Menzer,
Helen Scott, Georges Staquet, Sanvi Panou, László Szabó, Michèle Breton,
Jean Eustache, Corinne Gosset, Louis Jojot, Guy Béart, Mozart, Raoul
Coutard, René Levert, Agnès Guillemot...


LES POÈTES NE SONT PAS VOS PUTES !



le bordel de la poésie débarque en france




Lecture de la tragédie de Voltaire - l’Orphelin de la Chine
chez Madame Geoffrin  - Anicet Charles Gabriel Lemonnier, 1812





Voyez comme vos macs nous cernent.
Voyez comme ils tentent de nous baiser, de lécher nos mains.
Voyez ces frusques fadasses ; voyez ces alcôves insipides.
Voyez comme la poésie ne baise plus ; voyez comme elle rampe.

Votre paternalisme nous condamne à la clandestinité.
Nous voulons tous les carcans ; ceux de l'interdiction, ceux de la prohibition, ceux de l'abolition, ceux des pissotières, ceux des friches industrielles, ceux des aires d'autoroutes, ceux de la criminalisation...


Nous vous haïssons ; vous et vos flics.

Vous défendez votre liberté à nous baiser.

Nous défendons notre droit à ne pas crever.


Nous exigeons la strape.

Nous exigeons le cuir.

Nous exigeons de vous punir.


POÈTE N'APPARTIENT À PERSONNE !

 


À la dure lutte du STRASS     
http://www.strass-syndicat.org/


pisser comme Césaire


la robe - Arno Schmidt // Egon Schiele - #2



Egon Schiele



Selma donc, comme dit, tout organdi caillebotté, plein soleil, me saisit les mains d'un geste contraint, nous nous tripatouillons les doigts, à ma grande surprise mon cœur aussi se mit au trot, et enfin, laissant de côté tous les Oghams et Futharks, nous nous l'avouâmes franchement : combien nous étions mignons ensemble, etcetera. Sa robe dansotait par anticipation, fit sans doute aussi la roue, avec décence, et semblait d'ailleurs pas mal entreprenante, la robe. /


Arno Schmidt - Paysage lacustre avec Pocahontas
Traduction Claude Riehl

MAURICE NADEAU - 1994


 Arno Schmidt // Egon Schiele - #1



Vitres de son - Antonin Artaud // Val K






Vitres de son où virent les astres,

verres où cuisent les cerveaux,

le ciel fourmillant d'impudeurs

dévore la nudité des astres.



Un lait bizarre et véhément

fourmille au fond du firmament ;

un escargot monte et dérange

la placidité des nuages.



Délices et rages, le ciel entier

lance sur nous comme un nuage

un tourbillon d'ailes sauvages

torrentielles d'obscénités.


Antonin Artaud - Poèmes 1924-1935
Œuvres complètes 1 - 1976

Le grand combat - Henri Michaux




Il l'emparouille et l'endosque contre terre ;
Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle ;
Il le pratèle et le libucque et lui barufle les ouillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l'écorcobalisse.
L'autre hésite, s'espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.
C'en sera bientôt fini de lui ;
Il se reprise et s'emmargine... mais en vain.
Le cerceau tombe qui a tant roulé.
Abrah ! Abrah ! Abrah !
Le pied a failli !
Le bras a cassé !
Le sang a coulé !
Fouille, fouille, fouille,
Dans la marmite de son ventre est un grand secret
Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs ;
On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne
Et vous regarde,
On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret.


Henri Michaux - Qui je fus
Gallimard 1927