Ce creuset de feu et de viande vraie - Antonin Artaud

 
John Deakin, Bacon with Meat, 1960

Le théâtre vrai m’est toujours apparu comme l’exercice d’un acte dangereux et terrible,
Où d’ailleurs aussi bien l’idée de théâtre et de spectacle s’élimine que celle de toute science, de toute religion et de tout art.
L’acte dont je parle vise à la transformation organique et physique vraie du corps humain.
Pourquoi?
Parce que le théâtre n’est pas cette parade scénique où se développe virtuellement et symboliquement un mythe
Mais ce creuset de feu et de viande vraie où anatomiquement,
Par piétinement d’os, de membres, de syllabes
Se refont les corps,
Et se présente physiquement et au naturel l’acte mythique de faire un corps.
 
Le théâtre et la Science.

Le Buffre - Caroline Sagot Duvauroux







Juillet 2007

Il y a quelque temps, avant du moins. Ils sont venus couper le frêne chez Véronique. C'était très difficile. Un peu tard et difficile. Quand ils ont porté le dernier coup ne fut pas grâce mais tumulte. Le bout de tronc a dégobillé le tumulte. C'était comme la guerre ou Johnny got is gun. On avait honte et peur. Je me suis demandé d'écrire. Je suis le bâtard ou le simple qui demande une fable.

Il y a

Saleté de déroute à rouler jusqu'où ? La caillasse, soit, le sec et la boue mais jusqu'où ? Chance encore, l'espoir zinzinule : jusqu'où. On aurait pu dire la caillasse, soit, le sec et la boue. Mal aux pieds. Mais ça pousse au caillou et puis le marigot, pousser les jambes. C'est si doux la vase douce autour des mollets voudrais rester.

Quelques temps

L'eau déferle. Le frêne vomit son eau. Le corps coule son eau blanche d'écume plaintive. L'eau porte plainte. Toutes ces eaux je suis allongée. Je pisse longuement. La chaleur me revient d'un jour de jour. L'odeur entête. Tout est mouillé. Drap blanc. Nous partirons demain vers d'autres survivances. D'autres causses et le peu de dolines. Secs à nouveau dans le sec. Jusque-là nous avons été jusque-là vomir l'urine d'un frêne pleureur. La rendre aux divers deuils, aux divers seuils. Saler les prés du bord des mères. Important. Mourir un peu. Important. Sûr et certain. Son départ chacun. On a fait. L'eau s'est retirée du corps par l'entaille du frêne et des mères. L'entaille très femelle a pissé l'eau du frêne dans les draps blancs des lavandières. On n'a pas pu s'empêcher pas voulu. On n'est rien que rien. Sans la honte. On est un ver luisant mâle. Sans la loupiote . La honte. On est bien. on a très mal on est bien. C'est mieux. Tout en bas. A plat. Ventre ou dos. Accroupion. Possible. On attend que le ru d'urine tourne autour du pied, gagne l'eau du frêne et qu'aujourd'hui perde les eaux. Tourne sa petite histoire dans l'histoire des eaux. Après deux verres tout sera doux les gens les bêtes. On dira la bonté partout. Ou bonté. Tout court. Facile. Bonté. On est tellement foutu qu'on peut plus dire foutu. Les eaux d'en haut les eaux d'en bas. On est fragile. De la brindille emportée par un filet d'urine. Demain peut-être verra des femmes magnifiques emportées dans une aventure de lavande. Mais on n'en sait rien. On ne peut pas prévoir d'autant qu'on ne sait rien des aventures de lavande. Ni des femmes magnifiques. On connaît des hommes comme soi. Déroutées du magnifique. On n(est pas mal au sol mais il faut être seul. On n'est pas mal du tout dégrossi de gloire et d'espoir. Dans la misère. Demain.

On n'est plus là On est loin Plus loin que là c'est rien

Les cuisses sont un peu fades. Crues.

Il y a quelque temps

On va aimer quelqu'un demain. Mais on n'en sait rien. Une lavandière peut-être. En chemise de lin. Avec de l'autrefois plein les mains du jour ci-devant. Le mors les dents. Demain peut-être. L'enfant dans le dos. Demain, jamais ! On vivra une aventure de lavande sur le gros dos d'un survivant. Un causse. Peut-être qu'on verra  de l'univers tout autour de soi pourtant cassé en deux le pauvre soi par fauciller des touffes bleues. Peut-être qu'on s'en foutra total des essences et fleurs de Bach mais de la musique sérielle des abeilles non. Ni de l'odeur ni du bleu ni des cuisses offertes au rien qu'il y a ni même de la culotte qu'on voit entre les jambes reposées sur le dos du crapaud d'avant les avavants. Peut-être qu'on est un jeune homme glabre qui se fait passer pour une fille et qui vit là troublé. Comment savoir ce qui se passe. Peut-être qu'on est heureux après pisser au lit tous les cadavres du monde de s'essayer à la serpette près d'une lavandière aux mains ci-devantes. Peut-être qu'on est heureux que la ronçaille vous tatoue au mollet la croix des Cévennes mais sans l'apartheid, sans les banques mondiales. Deux herbes sèches trempées de ton encre, tu en avais donc de cette encre où toutes ont un jour surpris la honte avant l'amour. Peut-être qu'on est une femme après tout. Peut-être qu'on sera content demain sur un mont chauve entre vautour et lavande.

On est là-bas voilà ce qu'on voit.


11 juillet 2007, 8 heures, on rase la Picharlerie. On, c'est le propriétaire avec l'assentiment du préfet. La Picharlerie est un lieu-dit abandonné depuis soixante ans. Des histoires d'héritage. De l'indivise division. Au ban donné.
Ban prend. Abrite depuis cinq ans une poignée d'utopistes marginaux. Des histoires de survie. De communauté. Des ban-dits. La Picharlerie c'est le symbole de la résistance cévennole. L'école du maquis. 1942 1943, refuge pour les réfractaires. 1944 on lance l'assaut. On, c'est les forces alliées des nazis et du régime en place. 11 juillet 2007, 8 heures : le bastion est encerclé. 200 agents de la force publique. A l'intérieur, un occupant fait ses malles. Un homme. Le bastion est un hameau. Le bulldozer rase le hameau. Le bulldozer est protégé par l'ordre public. Les derniers occupants, les illégitimes, se sont envolés dans le danger ordinaire des pauvres et des insoumis. Sans protection sociale. S'étaient réfugiés en mal d'utopie et de gîte. Pour pas encombrer les quais de Seine. Entre vautours et lavande. Quelques hurluberlus.
Bon.
C'est légitime alors on légitime. La violence guerrière est entrée dans l'ordinaire de la vie d'un pays en paix. En désertification.
Bon.
C'est loin, c'est petit. C'est dans la lourde survivance des Cévennes. On a d'autres chats à fouetter. Plus urgents plus gras plus démocratiques. Que quoi ? Que la résistance à l'ordre insupportable de la propriété. Que le talent de résistance du genre humain. Que le logement que la réflexion. Que le respect des choses dont les biens. Que la bataille de vivre. Que le commun des mortels. Que la communauté paradoxale des citoyens. Que l'irréductible.
Bon.
200 agents de la sécurité protègent des bouteurs contre la communauté des vivants d'avant. Ceux qui quand dire vivre ont dit vivre. 200 flics appointés par la communauté. Par les exclus qui ne payent pas moins d'impôts sur les tuiles d'un toit qui le leur appartient pas que les 60% de français non-imposables. On est en France en 2007. Un propriétaire craque devant des indésirables. Soit ! Question : pourquoi s'il rase son bien ?
On fait Sabra et Chatila au moins personne pro-fitera de la paix qu'on a dans la douce mort d'un pays de vieilles luttes et d'abri pour rebelles sanctifiés vingt ans après. Les bulldozers de l'histoire. Soit. Mais 200 agents de la sécurité avec chefs et sous-chefs viennent de protéger l'intromission de la violence obscure au cul des Cévennes.
Bon.
C'est loin c'est petit, on ne va pas faire le fromage. Les occupants sont expulsables c'est la loi, le propriétaire est propriétaire et les symboles ont fait leur temps oui c'est vrai. Anciens combattants anciens résistants y'a qu'à dire même affaire plus trop de survivants pour deux assos. Point. La démesure c'est un péché d'antiquité.
L'oubli de l'extermination fait partie de l'extermination, chante un oiseau de triste augure.
Ca va ça va restons sur terre. Le tour de France. Le long serpent populaire déroule ses anneaux mortifères de dollars parmi les homofoots. Sur les routes de France Cévennes non comprises. Pas de pot pour la Picharlerie.
Voilà du bon vrai populaire. Manne et poissons multipliés. Fromage en vue. Pâté croûte. Sauf que le peuple comme on ne dit plus s'énerve un peu. Sauf que frissonne un soupçon de dégoût aux naseaux de ce peuple. Sauf que ça sent même le dégoût furieux.
Tientiens.
Sauf que le joujou joli des financiers de la déroute se déglingue sérieux. Mord sa queue. Sauf que.
Nous avons la parole, parlons, sommes des hommes. Avant que la gangrène ne prenne au moignon de la Picharlerie ou de purin d'ortie le corps tout entier. Avec notre assentiment pour litière d'élus appointés par notre misère.
Le maître est parfois l'alibi de l'esclave murmure l'oiseau de triste augure.
Le plus vieux des Romains le plus vieil homme libre sait qu'il faut confier à la loi la mesure afin que la loi le protège de lui-même en son désespoir. Héraclite, Confucius, Al Halladj et jusqu'au dernier sage né de la dernière pluie savent qu'il faut éteindre la violence afin qu'elle n'éteigne la lumière du feu. Je l'ai déjà dit. Mais quand la violence est entrée légitimée par le droit constitutionnel de l'exception de violence. Je répète. Qui sera le feu ? Nous, le peuple au travail de terre et de parole ? Serons-nous le feu quand on aura bouché nos bouches sous prétexte de manque présumé d'oreille ? Quand il sera trop tard pour reconnaître une bavure une erreur ? Serons-nous le remède de feu de la gangrène. Comme depuis la nuit des temps, ces choses-là se passent.
Espérons.
Ne pas oublier qu'un siècle avant la Révolution française, des équipages pirates euro-américains, je l'ai déjà dit, en refus de détresse et d'esclavage, je répète, ont inventé pour devise : liberté égalité fraternité.
Bonne nouvelle :
on vient de repérer sous le désert du Darfour un gigantesque lac d'eau douce.
Il suffit de percer la croûte pour transfuser toute une région d'agonie.
Bonne nouvelle.
Trouvons un lac, nous, bûcherons, carabiniers, lavandiers ou poètes, sous le nouveau désert de la Picharlerie, pour irriguer la résistance des nés là ou des non-nez au cul de l'opinion publique. Soyons jeunes un peu. Ne laissons pas la paix virer désert. Transfusons-nous pourquoi pas. Bonne idée le tour de France. C'est facile. Suffit d'un ami sur la terre.





 

On gueule au poète - Vladimir Maïakovski



On voudrait t’y voir, toi, devant un tour ! C’est quoi, les vers ?
Du verbiage ! Mais question travail, des clous !”
Peut-être bien
en tout cas le travail c’est ce qu’il y a de plus proche de notre activité

Moi aussi je suis une fabrique. Sans cheminée peut être mais sans cheminée c’est plus dur.
Je sais, vous n’aimez pas les phrases creuses.
Débiter du chêne, ça, c’est du travail.
Mais nous ne sommes-nous pas aussi des menuisiers ?
Nous façonnons le chêne de la tête humaine.
Bien sûr, pêcher est chose respectable.
Jeter ses filets et dans ses filets, attraper un esturgeon !
D’autant plus respectacle est le travail du poète qui pêche non pas des poissons mais des gens vivants.
Dans la chaleur des hauts-fourneaux chauffer le métal incandescent c’est un énorme travail !
Mais qui pourrait nous traiter de fainéants ?
Avec la râpe de la langue, nous polissons les cerveaux.
Qui vaut le plus ? Le poète ou le technicien
qui mène les gens vers les biens matériels ?
Tous les deux.
Les coeurs sont comme des moteurs,
l’âme, un subtil moteur à explosion.
Nous sommes égaux.
camarades, dans la masse des travailleurs,
prolétaires du corps et de l’esprit.
Ensemble seulement
nous pourrons embellir l’univers,
le faire aller plus vite, grâce à nos marches.
Contre les tempêtes verbales bâtissons une digue.
Au boulot !
La tâche est neuve et vive.
Au moulin
les creux orateurs !
Au meunier !
Qu’avec l’eau de leurs discours
ils fassent tourner les meules !

je femme - Albane Gellé





inquiète et encombrée de trop
scrupules qui compliquent
(les yeux devant pourtant - sur le chemin du simple)

mais piaffant et les larmes
trop près souvent du bord

(souriante en larmes)

il faudrait pouvoir rire - disent mes anges leurs voix claires
rire léger et en avant

avec de l'air je
femme
donne coup de pied
à mes reproches de victime
enfant d'hier grave et silence

(mouvement d'une douceur décidée)

à voix haute je dis 
l'intensité – en gratitude ou en colère et
en joie

travers le corps douleurs plaies leurs plaintes
et solitude
et vies vivantes dans le ventre puis dehors
avec moi
remuent grandissent

Le blason de la peste - Ilse Garnier



La poésie ne traduit pas - Caroline Sagot Duvauroux

La poésie ne traduit pas. Parle avec l’arbre. Protège l’énigme. Est-ce une énigme ? Une courte vue peut-être qui cogne aux choses et ripe. Un mystère. Une ignorance pour mystes. Ne peut sortir de naître. Ne peut quitter n’être. Pleure ou caracole et c’est pareil. Du presque rien qui noie le poisson carnassier le temps qu’on dit qui va. Quand il vient. C’est nous le lieu : maintenant. Puis les poissons cèdent. Main ne peut plus tenir.

Le verdict.
Au suivant ! 

Le Livre d’El D’où, José Corti, 2012

Enthymésis - Arno Schmidt




3° jour
Nous a tous fallu plus de pas aujourd'hui ; trop violent le vent, trop froid. Vers la mi-journée, la couche de sable est devenue plus épaisse, et à plusieurs endroits j'ai ordonné à Mabsut de déployer le stade devant nous (ce qui évite une interruption toujours nuisible) naturellement, les pas ont encore diminué de longueur ; ai comparé avant avec Aemilianus : toutes réductions faites, il en a moins que d'habitude, lui aussi. Deinocrate est presque arrivé au même chiffre que moi, soit 196,34 stades, et après discussions nous sommes tombés d'accord tous les trois sur 195,82 +/- 0,41. Pour l'instant, nous avons donc en tout 623,13 +/- 1,04. - Quand je pense au nombre d'erreurs directement imputables à notre méthode de travail - ô grands dieux ! Sommes-nous bien sûrs de ne pas nous écarter de la direction nord-sud ? Et quand nous procédons aux déductions imposées imposées par le relief, notre estimation de la distance à vol d'oiseau est-elle correcte ? Et nos pas : ont-ils la bonne longueur ? Le deuxième jour déjà nous avons dû faire un détour pour contourner un large front rocheux qui nous barrait la route (la route ! - alors que nous avançons comme les nuages dans l'azur : pas de chemin devant nous ; derrière, le vent efface toute trace . - J'aurais plutôt dû parler de > direction < ; ce qui prouve une nouvelle fois qu'on est toujours trop paresseux pour penser correctement. Remplacer > on < et > toujours < par > je < et > déjà < ) -
Tard le soir. Froid. Grosses étoiles qui charbonnent ( malicieuses comme des yeux ; bâillent ; clignent. Toute la nuit ). Mabsut contourna le foyer d'où s'échappaient de grosses bouffées de fumée et vint me masser les jambes - oui, lui en personne. Je suis le seul à savoir sa langue ; de temps en temps il surgit on ne sait d'où et, pour autant que sa dignité de chef de caravane le permet, laisse tomber une ou deux sentences, puis rabat les pans de son ample vêtement et replonge dans l'obscurité. Aujourd'hui il s'est tu. Bien.

Arno Schmidt - Enthymésis - 1949
Traduction Claude Riehl - In Léviathan - Christian Bourgois éditeur - 1998 - pp 85-86

Le bras mordu - Christophe Tarkos




L'homme mord le bras jusqu'au dur, tient ses mâchoires fermées et bat l'air de ses pieds, ses pieds chassent les mouches et ramène son ventre au-dessus de son visage, couvre son visage et sa tête de la peau de son ventre, s'ouvre le ventre, se bouche les oreilles, après la peau de son bras, l'os de son bras plus dur que ses mâchoires, la femme mord ses oreilles, les oreilles ne tiennent pas, mâche les oreilles, lèche les oreilles, mord son nez, le nez ne tient pas, mâche son nez, lèche son nez, mord sa main, la main craque et tient, sous la peau de la main sont les petits os de la main plus durs que la mâchoire, ouvre son ventre, couvre ses jambes de la peau de son ventre, il entre ses doigts dans son oreille, cherche dans son oreille avec ses doigts, il entre ses doigts dans son nez, cherche dans son nez avec sa main, le nez ne tient pas, cherche dans le trou de son nez dans son visage avec ses mains, elle déplie ses orteils, elle prend sa tête dans ses orteils dépliés, couvre son visage, entoure sa tête et la presse de ses orteils, elle s'arrache les cheveux, elle brûle ses cheveux, elle tire ses couilles à elle, il ne regarde pas, elle n'entend pas, il se bouche les oreilles, il frappe de son poing sur sa tempe, il cogne contre le dur de sa tête, elle arrache ses cheveux, elle serre sa nuque, elle se couche de tout son long sur son dos, elle écrase ses vertèbres, il nage dans son sang, il bourre son trou, elle prend sa tête avec deux doigts par les deux yeux, elle balance sa tête, il se tient à ses bras, il la prend par derrière, elle frappe avec la tête, il a aggrippé la peau de son visage, elle laisse la peau de son visage partir, elle entre son pied dans son trou et écrase ses vertèbres, elle prend deux morceaux de chair, il prend ses chevilles et les étrangle, elle étouffe, il crie, elle n'entend pas, elle le frappe dans le dos, il mord dans le mou dans la confusion, il frappe son dos avec le poing, elle recrache son sexe et passe à travers ses jambes retenir ses mains, il enfonce ses coudes dans son ventre, il enfonce sa langue dans la plaie des oreilles et son sexe rougi entre les orteils, elle lape elle entortille ses orteils avec sa langue de trois tours dans les doigts de pieds, serre, coulisse, et arrache les doigts et aspire, lui, il aspire tout l'intérieur du ventre, il a la bouche rougie, elle lèche le tour rougi de sa bouche et mordille les lèvres, pour ne détacher que les lèvres de la bouche comme une feuille d'artichaut, elle bafouille, cela fait déjà un moment que son genou lourd martèle son visage et fait éclater ses dents, il mord, ils bafouillent.

Le bleu l’oiseau l’Antonello - Caroline Sagot Duvauroux


Antonello da Messina

Un monde entier ça commence ainsi, voûte plantaire éminence thénar. Rire aux histoires et raconter la filature d’amour d’un chien blanc. Puis ça finit comme ça qui suffit.
C’est à 16 heures parfois ce peut être un mardi que l’appel perçu par-dessus l’étendue rompt l’enfance et le bleu.
Un merle est mort au pied d’une tour. On vit dans une tour où s’échauffent des langues. Un oiseau minuscule, un poussin de mésange s’est pris dans l’atelier de peinture tout en haut de la tour. Sa mère s’est sauvée. Tout le reste est faux.
La fillette appelle sa mère c’est en pleine nuit. Mamy est morte dit-elle je crois qu’elle est morte. La mère dit ma chérie ne t’affole pas on vient je réveille ton père il va venir Benoît est en crise que fais-tu ?
On lisait Phèdre j’étais Phèdre aujourd’hui. Elle a respiré fort j’ai cru que c’était comme à l’hémistiche pour appeler l’air qui manque aux héros et j’étais si fière je l’ai regardée pour grandir sur moi la gloire du soupir ; c’était un cadavre.
Il me faut aller allaiter ta sœur aura dit la mère. Que vas-tu faire maintenant ? et l’enfant : je garde le pauvre cadavre.
Et le père s’éveille dans la mort des mères pense à sa mère morte. Probablement. morte ? Et pense à sa fille qui garde le mort, à Racine aussi à l’acte à la scène coupés par mort véritable, à l’arrière-pays niçois sans doute aussi comme ça sans suite à son vélo son petit clébard sa canne à pêche dans les remous du Jabron la truite étincelante les gros yeux du cabot, puis au regard impeccable de sa mère sur chaque chose, pense à la fatigue impeccable de sa mère devant ce monde et son cœur d’enfant se serre d’amour et d’admiration. Il oublie la petite qui partage les derniers jours de sa mère. Il faut s’habiller dans l’ordre, les chaussettes puis le slip et le reste chose à chose. Son épouse veille aux choses à l’ordre des choses et les soldats de plomb réintègrent le sommeil et les lunettes ce monde-ci qu’il faut traverser pour rejoindre la fillette lui dit la femme, premièrement sa fille. La morte n’est pas sa mère à elle, ne vient qu’au second rang, normal, de son cheptel. Mais le père, c’était sa mère au chapeau de paille, sa mère des clairières et fraises des bois.
Et le père sera parti dans l’hébétude des rêves et du nouveau silence du monde. Peut-être est-il tenté de fuir mais il aurait trop honte. Alors il prend le taxi pour traverser Paris, La Comédie-Française, les cinémas, le lycée Condorcet, Pigalle et les jobardises de son géant de père. Changer les vitesses et démarrer puis les feux clignotants, les priorités, tout l’encombrement qui grouille dans les actes, c’est trop. Il prend le taxi tant pis pour le prix.
Et la mère aura rappelé la fillette, là-bas à une heure de là, pour dire il arrive et le nouveau-né crie sur son sein. Que fais-tu maintenant, comment vas-tu, n’aie pas trop de peine ni peur. L’enfant dit je n’ai de peine ni de peur. Il y a un pauvre cadavre dans la chambre de mamy je le veille. J’ai construit des tours de livres autour du lit et j’ai placé Phèdre debout tout en haut de la plus haute tour à la bonne page celle des soupirs et de la patience mais je brûle au soleil poudroie ne vois rien venir des peines et joies. J’ai entassé Carco Queneau Bergson Proust et Joseph Delteil et tous les Maigret, que mamy ne voit pas le cadavre mais ses amis qui guettent le jour où son fils viendra. Quelque chose coule du cadavre, je ne sais quoi, une eau ou moi. Va se répandre sur le parquet de bois, moussera, viendront les champignons les saisons, nous cueillerons, puis la mer viendra, les croisières pour Cendrars et mamy, pour tous les autres, rejoindrons Ariane ou l’Abyssinie sans toucher Charybde sans toucher Scylla.
La mère inquiète aura dit calme-toi, va faire un nescafé dans la cuisine ou boire quelque chose un peu d’eau qui pique il y en a toujours chez ta grand-mère. Mais l’enfant continue pieds nus dans l’eau blanche.
Elle a parlé au docteur ce matin devant moi, elle a dit ça suffit pour moi, m’a dit ne pars pas, elle a dit celle-là souffrira mais c’est le temps pour elle et c’est le temps pour moi. Je ne souffre pas, maman, non. Le pauvre cadavre ni moi ne souffrons. Phèdre a dit que ces voiles me pèsent et puis mamy s’est échappée de pesanteur dans le lit blanc dans le cadavre blanc et dans l’écume blanche parmi ses amis de papier qui flottent et mes pieds sont mouillés papa va arriver. Il verra que c’est fini les minotaures, les affreux guerriers, les fats les méchants, les odieux les odieux racistes, que c’est fini ce siècle de férocité dans la vie de mamy c’est fini et que je suis ici avec tout le perdu et l’envie de brûler comme la chandelle, j’ai mis la chandelle, pour qu’au moins trembler éclaire un peu le pauvre cadavre. J’ai fermé ses yeux j’ai fermé les miens j’ai mis des chansons et j’attends.
Ils sont tous là venus vite, les deux sœurs le frère les maris les femmes, elle les aime bien mais cherche quelqu’un mais ne comprend rien. Elle s’enfuit rejoindre la jeune fratrie derrière Paris. Pas besoin de mots ni de sentiments dans une fratrie, on est là comme le peuple est là, on vit, on n’a pas d’émotion, on est des gens qui vivent dans la ville ou dans la campagne, juste on fait ce qu’il faut qu’on nous dit qu’il faut enfin à peu près.
Puis elle revient de ne pas tenir place ni parmi les uns ni parmi les autres. Juste elle a pris le bol d’air des fratries. L’injection de vie des fratries. Retraverse Paris en métro pour l’étai de tout un pays. Et la mère s’inquiète quand le frère lui dit qu’elle est venue qu’elle est partie qu’elle n’a rien dit. Elle est là. Entrée dans la chambre où le petit cadavre a disparu. Il y a une morte dans le lit de mamy. Mamy morte et les livres sont rangés. Phèdre et le jour blessé se sont réfugiés dans le corps léger d’un livre fermé. La pelure d’un monde en papier qui pèsera onze ans de la vie d’un homme.
Elle perd le visage. Un visage dur à retenir mais pas les yeux, les yeux de la vierge d’Antonello de Messine. Pas la petite vierge boulotte et naïve, l’autre la seconde et c’est la dernière peinture d’Antonello à Venise, celle d’onze ans après, l’autre, au regard effroyablement savant dans le bleu qui s’enfuit du bleu partout où désormais on pensera bleu. Le regard de mamy qui voit où on regarde, nous, et que c’est pas trop bon ce qu’on voit. Mais c’est sans le bleu. Avec les dorés de fin des automnes quand le bleu a disparu de la nature, quand le bleu a fui la vie de terre et de mâchoires pour le grand trou du ciel. Sa vie ? sa fille morte ? elle n’en parle pas. Mais les yeux penchés voient ce que voit pour toujours la jeune fille bleue de Messine : la cruauté des hommes et la bêtise énorme. Et les yeux se taisent dans les paupières basses qui font la hauteur et le dédain dans les portraits d’Antonello mais là, font l’intelligence, ombrant l’éclair de la connaissance. Et sous la légère pesanteur des paupières les yeux poursuivent simplement leur tâche d’œil, regarder, jusqu’à la fin des mondes et des minotaures. Voient la compassion des Ecce Homo, la compassion qui a nourri les pauvres gosses de la vieille Turquie chopant les oiseaux bleu Messine et minuscules comme des mésangeons pour les vendre au pied des églises des mosquées des synagogues, afin que les acheteurs les libèrent et que la grâce tombe sur eux et le pain sur l’enfant de la rue. Voient que c’est fini ce temps des compassions simples avec oiseaux bleus à l’appui du ciel et chants qui s’ensuivent en éclaboussant de bleu le ciel bleu.
Voient que c’est fini la compassion du paysan de Messine avec sa corde au cou, et fini sa douleur. Qu’ensuite des tortures et pitiés cœurs gros, il y a encore il y eut et demeurera sur le petit tableau de 50 cm sur 30, la goutte sublime et cristalline, si limpide, coulée de l’œil lavé de fatigue du paysan de Messine, lavé de paysannerie et d’ignorance, devenu prince avec la corde au cou. Mais le dernier Ecce Homo ne pleure plus, au-delà de toujours abandonné, abandonnant toute résurrection aux histoires. Alors le bleu de la petite vierge d’annonciation, ce bleu tout de même, ce bleu des oiseaux sans nom et minuscules de la compassion des vieilles Turquies s’enfuit des murs, des fonds peints et repeints jusque noirs, des mines et des crématoires, puis des foulards, des robes de mamy, à la mort de sa fille et à la mort des filles de Sion. Et tout est jaune, le vert est jaune et tout est imprécis, se brouille sur la toile et tout a fui la figuration des douleurs. Et voilà que les yeux seuls se précisent dans le souvenir d’une fillette, paupières tombant un peu sur le regard trop précis qui voit où on regarde, nous, et qui n’a plus besoin de la larme d’eau pure coulant de la fatigue et sans la corde au cou, sans le voile bleu, sans la sainteté, avec l’exactitude.
Et la fillette aura lavé ses pieds dans l’eau pure qui coule d’un petit cadavre parmi les cadavres flottants où chaloupent des images et les grelots des troupeaux de mots qui appellent du bleu.
Aura-t-elle pensé, en mourant parmi les lancers d’amour de Phèdre, à la fille du postier, au grand jeune homme aristocratique et fantasque qui chante des pitreries sous sa fenêtre de jeune fille pensive au foulard bleu comme une pervenche où s’oublierait le myosotis. Aura-t-elle pensé au grand tressaillement du corps parmi le monde injuste, qui fait du monde injuste un miracle d’annonciation. Suit-elle d’une main lente, juste au-dessus du livret que la fillette lit, le si beau cavalier plein d’orgueil de colère et de fantaisie, avec de l’ironie pour son orgueil et sa colère et de la passion pour sa fantaisie, ses cheveux noirs, ses yeux bleus si pâles qu’ils sont presque blancs, tellement plus clairs que le voile de la petite fille du postier de Messine, car la grande beauté n’a pas besoin de profondeur, n’a pas besoin de dire qu’elle est sombre pour dire qu’elle fut claire. La grande beauté s’offre à l’adoration comme une peinture et s’offre à son adoration la grande beauté du jeune homme ignorant, la beauté ignore, qu’elle n’est pas douée pour l’adoration.
Aura-t-elle pensé à son père le postier qui peint le dimanche aux heures de la messe parce que la Commune a détruit l’adoration en lui mais pas l’admiration pour la beauté du monde. Son père sans aucun orgueil de sa lucidité, qui lui a légué la distance et cette saleté de clairvoyance. Elle pénétrera dans les églises pour le baptême consenti de ses enfants, jamais autrement, jamais non plus ne participera aux obligations mondaines de son mari. Ne fait rien, n’attend pas, ne ment pas. Lit quelque chose. Regarde le bleu qui part en fumée de ses gitanes bleues.
Quand le bleu des minuscules oiseaux de Messine disparut du monde avec sa fille, elle aura quitté le ciel bleu des Provences et les mers, avec son colosse de mari ses chevaux ses bateaux son chagrin fou. Elle rejoint Paris du peuple et des arts et son œil aura pris sa part de chanson de théâtre et de roman dans la légèreté fabuleuse où seuls pèsent des voiles pendant que la vie marchande joies et peines et que les enfants dorment à côté. Et le regard s’accorde cette part de presque vivre, pas tout à fait vivre mais presque et c’est bien, cette conversation avec les bizarres, les échalas, les nains, les jetés, les très beaux, les lumineux qui hantent les arts à la recherche de minuscules oiseaux bleus qu’ils vendront aux portes des musées si quelqu’un a encore compassion des vivants. Et sa maison s’emplit des échalas, des nabots, des vieux enfants qui fabriquent l’illusion d’un bleu pensant qui vole véritablement. Et son regard s’adoucit tout un temps je veux croire dans le rire et la conversation. Dans la chanson. La chanson qui s’écrit alors le fut par Bergson, par Pitoëff et sa Ludmilla qui vieillit sans quitter l’enfance ni le bleu de ses yeux, par Dullin par Carco par Proust… Elle, ne prête qu’à peine l’œil et sa main si fine à la chanson. Le grand théâtre voudra son bout de la chanson. Soit. Un cœur simple, Tante Marie, oui en quelque sorte un cœur simple sous une main légère et un regard impitoyable.
Puis elle aura aimé cette enfant exaltée qui lance ses fièvres sans gêne autour d’elle sans voir que beaucoup de fièvres ont fait briller beaucoup de fenêtres du monde avant de les briser de rage et pitié pour qu’un peu d’air tout de même soulève encore les voiles des jeunes amantes et des vieilles folles. Mais l’amitié d’une fillette ne peut suffire à récupérer le bleu de Messine.
Qu’est-ce qui est vrai ?
Le merle mort sèche au pied de la tour et le mésangeon s’est réfugié dans la pièce haute. Sa mère s’est enfuie.
Alors on a pris de vraies mains pour entourer l’oiseau. Les mains vivantes de l’ami. Il ne tremble pas ni l’oiseau du tout. On l’a posé sur le parapet devant l’immense mer des grands-pères au long cours et c’est une flopée de montagnes et de lignes de crêtes. L’oisillon regarde on qui lui parle doucement de compagnonnage mais l’engage à rejoindre le ciel gris, la délivrance, c’est-à-dire le trop grand monde et le trop grand vent qui brise la tête et fait rêver. On l’a délivré pour que nous soit comptée sa délivrance, une délivrance. On est une fillette à qui sourit une vieille dame dont le regard dit tu le livres à l’infinie dépendance.
Et la vierge d’Antonello détourne l’œil de l’oiseau. Pas la petite paysanne, non, celle qui a perdu l’auréole. Celle dont la main gauche qu’on voit à droite calme la montée de l’espérance et dont les yeux s’échappent d’apprendre et du livre ouvert juste où pèsent des voiles. Il est possible qu’un souffle très léger agite une herbe en disant je suis la voix de dieu par-dessus les tempêtes, mais la beauté du psaume qui apaise le visage ne monte plus jusqu’aux yeux qui se fixent un peu où on ne croit plus, où surgit l’Ecce Homo, pas le souffrant, l’écorche d’âme, pas les larmes sourcières sur le nerf de misère, non, le désolé le sans larme, que l’amour a quitté mais que n’abandonnera jamais, ni onze ans ni jamais, l’affreuse crème du désespoir par-dessus le dégoût de bouche.
Pourtant devant le visage et le fond noir et vide, avec l’inutile corde sur les épaules à l’inutile puissance, la fillette voit la beauté de tout et c’est de joie, d’une joie folle, qu’elle pleure à la place du visage du petit tableau. Car le tableau est tout petit pour laisser à la nature la mesure des visages d’hommes et de femmes. Et l’Antonello n’a rien d’autre à dire, laisse au grand Piero à la tempera ce qui est qui fut dit par eux. Alors elle, la fillette inculte, prend le tube de cobalt et du blanc de gesso avec la turquoise en tête pour faire vibrer le cobalt comme elle a vu faire à la gentiane et aux fleurs de bourrache. Elle pose sur un carton quelques miettes de bleu qui touchent aux oiseaux d’Istanbul par la pensée, après l’impression, après l’émotion, avec sérieux, langue perdue après que pendue aux cordes magistrates qui étranglent la voix des Ecce Homo et que les vents mauvais font vibrer comme des appeaux pour vautours et carabiniers d’espérance.
L’homme sur la toile aux glacis flamands a pleuré de douleur puis il pleure d’effroi puis il meurt aux hommes, une corde dérisoire, un motif pour peintre soutenu par un cou de taureau. Mais Antonello ne le veut pas ainsi n’en a pas fini de la vie. Il traverse le détroit de Messine juste où Ulysse maîtrisa Charybde et Scylla, il porte le neuf et la profondeur des couleurs à l’huile à la Renaissance italienne. Car il a pris les larmes de sang puis les larmes de suint puis les larmes d’eau claire pour mener ses glacis plus loin que Van Eyck, plus loin que la gloire de la peinture, jusqu’au cœur bondissant d’une fillette ou d’un oiseau qu’on capture. C’est la plus petite toile et c’est le dernier des Ecce Homo, 40x33 cm. Comment se fait-il que l’effarante beauté de la peinture passe l’effarante douleur de l’expression ? Comment sommes-nous faits se dit Antonello en rangeant son doux pinceau de marte pour rejoindre une dernière fois les plaisirs de Venise et les femmes blondes, et cette odeur rousse des femmes blondes de Venise qui compense il veut croire, le bleu des saisons mortes, lui le Sicilien courtaud dont les doigts ont caressé dieu. Alors dans l’infinie nostalgie de l’orangé, le bleu lui casse sa tête de Sicilien où le bleu crie à tue-tête sa nostalgie des femmes compatissantes. Celles qui plus tard offriront leur chair roussie par un autre peintre à l’appel du bleu détruit de la compassion.
La petite vierge enfantine, la première, simplette et auréolée par-dessus ses mains sages, est distraite de ses psaumes par un bruissement d’aile derrière le vermillon d’un étui vide posé sur le surplis damassé or et vert tout près du livre ouvert. C’est un livre de prières et d’enluminures qui dit en peinture tu n’es que peinture et je t’abyme dans les pages légères. Mais la petite vierge enfant ne regarde pas le livre sacré du début d’un temps, ni les mises en abyme d’un arrière des temps, parce qu’une coccinelle est entrée ou le souvenir d’un souvenir qui lui ouvrent la bouche comme aux idiots aux étonnés. Et ses mains sont croisées par-dessus les psaumes qu’elle lisait quand la chose est arrivée sans étonner son œil mais en ouvrant sa bouche où peut-être, un reste de cantique s’évanouit ou que s’égare sur la lèvre inférieure l’innocence du monde dans un coussin de douce chair touchée de rose à peine.
Alors bouche close et l’œil constatant la distance et le temps absolument clos qui la sépare de la petite vierge et ce n’est pas forcément onze ans c’est peut-être une seconde une journée c’est pareil, absolument clos, passé. Alors la seconde vierge d’Antonello apaise d’une main les colères et passions des Antonello qui se détruisent le cerveau en le diluant dans le bleu zinzinulant. Et le pupitre qui remplace le brocart est en bois blond comme un chevalet, un pupitre de bois mais ça ne suffit pas dit encore la main. Rien n’est assez pauvre pour dire ce qui est, rien n’est assez seul. Elle a quitté la peur avec l’innocence, elle a quitté le livre aussi mais n’est pas distraite. Ne le sera plus. Ce qu’elle voit est en deçà des livres, dans la fureur assassine des hommes qui monte jusqu’aux livres pour que les livres la conjurent et à quoi elle dit d’une seule main : chut. Ou peut-être à l’Antonello rivé à son petit carré de toile et au bleu qui s’enfuit du bleu sur deux tiers du format, dit-elle doucement : tout ça n’est rien, les malheurs passent l’espérance.
Mais la fillette devant la toile minuscule regarde le noir splendide où s’installe en vainqueur un bleu pensant autour du beau visage de l’intelligence. Elle voit la main que la perspective rend absurde comme un animal greffé là et l’autre main, si élégante, qui retient le bleu du ciel pour cacher au mieux le cœur pourpre comme l’étui vide de l’autre peinture et voit le pupitre et voit le livre dont deux feuillets s’ouvrent à l’air, ainsi les oiseaux qu’on dessine enfant, alors la fillette prend le crayon qui traîne et la feuille qui traîne, pose quelques mots qu’on ne saura pas, plie la feuille, l’adresse à Ritzos en glissant le papier plié dans la poche de son jean ou de son tablier selon l’époque où l’histoire fut contée. Car furent beaucoup de fillettes et beaucoup de grands-mères mais peu d’Antonello depuis le quattrocento. Elle tourne au coin d’une ruelle et c’est vrai que l’oiseau s’envole.
Alors s’ouvre dans l’enfant qui ne savait pas qu’existait dedans, un sanctuaire une cabane pour ce goût des poèmes et des peintures, et dans l’œil de sa grand-mère voit tout ça, après l’innocence et les carabiniers, voit l’homme encore l’homme qui peint.
Ensuite il faudra filer à Gênes à Palerme pour entrer près d’Antonello en littérature c’est dire en lecture hardie.
Sur le parapet face à l’océan des montagnes, l’oisillon bleu la regarde sans crainte et fort et longtemps puis s’envole dans le ciel bien trop grand pour un oisillon dont la mère s’est enfuie.
***
Et la mère aura appelé la fillette à tue-tête. Et la fillette au milieu du champ entend l’appel qui tue sa tête labourée de soleil. Elle tourne dans le champ les bras écartés pour attraper un équilibre aux herbes souples. Elle est un oiseau noir, s’abat se relève, ça y est elle est debout, court traverser le grand champ puis le chemin gris puis le fossé rouge puis la misère du quartier sud puis la rivière jaune et l’œil rond du héron puis les traits hâtifs aveuglants des rails et la passerelle qui s’accroche aux traverses et rouille au passage. Saute dans un train. Saute dans le sursaut des cœurs battus des trains d’autrefois. Traverse la jungle de hululements du train, cale ses pieds au mouvement pour bondir à Paris hors du train jusqu’à l’hôpital. Porte le rouge de toute la vie sur les joues, dans la chambre où sa mère meurt. La chambre est bleu de pervenche sans les myosotis. Dit me voici, voici l’un peu de vie que tu as mise en moi pour le peu de courage ou de plaisir ou de douleur ou que sais-je, qu’il faut pour traverser. L’œil de la mère crie la chose importante qu’on ne comprend pas, qui restera parmi tout l’incompris. La mère chante un bout d’opérette, voudrait qu’on l’aime encore comme une jeune fille qu’on désire âprement, se souvient qu’elle est jeune et qu’elle a soif, sûr qu’elle a soif, et que sa sœur vient de mourir de la tuberculose et qu’elle s’était fiancée la veille au bel Espagnol et qu’on est à Biarritz et que la mer est meurtrière et qu’elle n’a pas prévenu les jeunes soldats allemands du danger de la lame de fond et qu’ils sont morts et qu’elle ne sait plus si c’était juste mais elle était fière tout de même c’était la guerre comprends-moi, et que la baleine s’est échouée sur la plage je le jure et qu’elle raconterait à ses enfants quand elle aura des enfants l’énormité de la baleine, et qu’elle est fatiguée si fatiguée mais pourquoi pourquoi. Sans doute vient-elle d’accoucher mais on ne lui donne pas son petit, ces brutes d’infirmières qui ont tué sa mère, Il faut réveiller les aînés qu’ils filent au village chercher la sage-femme et l’enfant. Cet ahuri de Jean-Louis a eu un accident de mobylette et la petite a l’appendicite et le petit fait un œdème, il étouffe et le médecin ne vient pas, comment faire pour s’évader de cette chambre bleue, aller les rassurer, on aurait tout de même pu les placer tous dans la même clinique. Elle a complètement oublié de faire les courses et les autres vont rentrer de l’école, Il faut encore aller à la soupe populaire chercher à manger pour sa mère, il n’y a plus rien c’est la guerre et sa mère meurt dans la salle commune de l’hôpital surpeuplé surmiséreux de Bayonne avec ces brutes d’infirmières qui ne lui donnent pas son petit, qui vont se tromper en nouant au poignet le bracelet d’identité, mais elle saura, sûr qu’elle saura, si c’est son fils à elle, son premier, son tant aimé. Bon sang elle n’aura pas le temps elle n’aura jamais le temps, elle appelle sa fille à rescousse très fort si fort que la fillette arrive avec le rouge de la vie sur les joues. Maman, papa arrive, ne t’inquiète plus, elle ne s’inquiète plus, elle meurt.
On aura dit les prières ceux qui savent et puis les poèmes ceux qui ne savent plus les prières et puis rien ceux qui ne savent que laisser l’eau de rosée d’orage couvrir leurs yeux leurs joues. On est si seuls. Ils l’ont emportée dans un frigo, ils font le corps musée Grévin. On ne reconnaît pas la belle dame, oui bien sûr quelque chose, il y a bien quelque chose, mais c’est effrayant cette dame qui ne nous connaît pas du tout, qui ressemble un peu à maman. On se souvient qu’on détestait le musée Grévin. On est tous là autour, papa, jlcovsdbs, on dit comme ça pour aller vite on se fout de qui est qui sauf papa. Maman n’est pas là pour dire qui est qui, on est un peuple, on parle pas pour pas gêner et qu’on n’a pas envie, on rit pas pour pas choquer et qu’on n’a pas envie, on pleure pas pour pas contagier, on a un peu envie pourtant, on bouge pas pour rien déranger, on voudrait tant tout déranger surtout les secondes passées, on touche pas pour pas marquer la cire fraîche. On a envie de rentrer à la maison du dimanche soir où maman a préparé le chocolat chaud, on aura des tartines beurre et confiture et pas des épinards. On en a marre. Il y a de minuscules gouttes d’eau sur la main de la dame, de l’eau de rosée dans la fraîcheur du soir. Et c’est vrai qu’il fait froid tant mieux la cire ne fondra pas. On fixe les gouttes d’eau sur la main, on comprend, on est terrorisé, c’est un cadavre qui décongèle. Hier maman a pris un bain, j’ai lavé les cheveux c’est plus pratique à deux, elle a mal aux épaules elle a mal. La dame de cire a de beaux cheveux blancs bien coiffés en arrière. De vrais cheveux dirait-on, bien lavés, et des hématomes violets sur les bras de vrais hématomes. On met la ponctuation où il faut, on est une fillette qui cherche quelque chose à faire pour ne pas penser, pour être utile à quelque chose qui n’a besoin de rien comme souvent les choses. On ne pleure pas parce qu’il faut ravaler le monde afin de ne pas s’y perdre et pleurer ferait glisser le monde loin de soi, quoi faire alors pour marcher quelque part.
La jeune lingère brassait des draps bleus et blancs comme le turban de la dame d’Ingres. Qu’elle est jolie quand son sourire embarque le visage et qu’elle se tourne à vous. N’est pas de ces lingères de roman qu’on culbute dans les remises et qui rient d’insolence comme la petite servante de Goya au coin du grand drap blanc. Riait pourtant la lingère aux princes qui passaient par là ou qu’elle croisait à vélo, sacoches pleines de linge et de provisions, de munitions, sur les lignes de démarcation. Et bien sûr qu’il y en eut, les lingères sont jolies dans leurs jupes fraîches et les socquettes aux pieds, jambes nues qui pédalent et pédalent en montrant des genoux. Hum se disent les vauriens en sifflant, hum se disent les princes en pleurant. Les princes n’ont pas droit aux lingères et les vauriens ont droit à tout mais pas longtemps et d’ailleurs les lingères sont habiles à s’enfuir dans leur rire.
Mais les lingères n’existent plus que dans le temps d’enfance contée. C’est pourquoi on retourne parfois dans ce temps découvrir semeurs et lingères et les tissus bleus ou blancs sur les peintures qu’on voudrait toucher, qu’on touche furtivement car les peintures des temps contés ne sonnent pas quand les petits vont toucher du doigt le bleu de Kandinski pour savoir si ça colle ou si ça s’enfonce, ou les blés de Van Gogh pour vérifier si ça gratte ou si ça dévore, et le bleu de la vierge d’Antonello pour voir si l’émerveillement demeure sur la pulpe du doigt comme un cœur de mésange à battre son petit tocsin. Et la peinture mine de rien tue les princes et la peinture se fait prince. Prince de gloire le vent de corbeau, prince de gloire le tendre vert battu de gris, prince de gloire la transparence d’une larme sur un visage supplicié.
Alors on épouse la turbulence et la larme, l’éclat. On oublie les princes maléfiques des romans qu’on aime tant, on grandit. On s’éloigne. On cherche les peaux aux endroits qu’on voit pas, on aime le rock and roll et la paix violente. On file chasser phrase à phrase une phrase. Ou bien en Camargue pour sous les sabots des chevaux la poussière d’éperdu. Ce qu’on voit : des salines et qu’il y a le rose sur un châtiment blanc. C’est fini pour un temps les romans, on chasse et on prend, tout prend sur la toile et c’est la provision de l’été.
On s’est livré par passion à l’indépendance que la passion tue. On est calciné soleil a frappé, tête est sans casquette. Cœur a fauché les blés pour l’éclat. On entend dans l’amitié d’un le quintette pour clarinette de Mozart qui vous sauve de la vue.
On part dans les théâtres porter tout ça, la vue, l’ouïe, la danse et la misère à de jeunes grands-mères. Une poule traverse la scène du Vieux-Colombier, Ludmilla allaite en coulisse et revient jurer sur le bûcher qu’elle est vierge et qu’elle aime son roi et son dieu. On témoigne de ce qu’on ignore que d’autres gardaient qui sont morts. On est le regard du sourd dans l’incroyable lenteur d’un fauteuil roulant qui traverse une scène.
Mais a-t-on frotté ses mains aux matières ? On part en montagne on grimpe et c’est bon. Les grands oiseaux noirs frôlent l’avenir qu’on a dans les mains sur les toits du monde ah ! qu’on est bien à refaire demain et demain revient. Roulent les genoux et monte le sang. Qu’on est jeune un jour. L’herbe est si rare si grise on voit les vertèbres du monde. L’orchidée sent le chocolat, se nomme orchis vanille c’est idiot, tout de même on voit l’edelweiss on touche et c’est doux comme dos de bourdon, le chamois se luge au glacier, que le monde est grand et je suis dedans. L’œil est asservi par une gentiane en peau de gentiane, j’y taillerai la robe que déchirera l’homme aux yeux qui osent.
Qu’est-ce qui est vrai ? Tout est vrai bien sûr car les mots appellent et c’est leur boulot. Le merle noir sèche au pied d’un grand mur très en contrebas d’où la mésange s’est envolée. N’était pas poussin de mésange bleue. C’était une nonnette à calotte noire . Une adulte, elle est naine et plumée du bleu, la tête et la queue, c’est depuis longtemps. C’est depuis longtemps que la fillette a quitté la femme dont la mère meurt. C’est depuis longtemps un jour qu’on est nain. Mais pas le sanglot qui s’entête et dit bleu, sont bleues les mésanges. Le sanglot géant c’est toute l’enfance qui quitte les nains quand s’envole une nonnette dans le bleu d’Antonello.
11 septembre 2007

Aveux non avenus - Claude Cahun




Je sens comme si je les voyais, mes cuisses maigrir d'une sueur de fièvre, douche parfois brulante, parfois glacée, toujours inattendue. Mes genoux vidés, les os dissous, vêtu d'un parchemin lucide, se gonflent, flottante vessies de porc. Mon cœur alenti sonne un glas funèbre, puis bat bruyamment comme un tocsin. Il devient mobile, se promène dans mon ventre, y éclate en coliques profondes. À chaque secousse, une conscience tombe, pulvérisée. Peu à peu, je m'allège. Bref répit ! Mon cœur se gonfle outrageusement et s'emplit d'hydrogène. Gros ballon rouge et bleu, il monte au bout d'un fil.
À l'autre bout, c'est une guêpe enfermée, qui frappe à coups venimeux aux parois de ma poitrine. Si je l'aidais à sortir ? Et mes ongles sans hésiter pratiqueraient un jour qui guide l'échappée de ce cœur s'il ne faisait dehors désespérément noir.
Ô nocturne sans issue qui se joue dans les cercles de la nuit musicale, infernal serpent qui s'est décapité en avalant sa queue, bracelet aux sept chaînes hermétiques... 

Le ballon rouge et bleu est très fort : il me soulève de mon lit, fasciné. Je sens la fatigue d'une lévitation dont je serais le médium, et les affres d'un spectateur qui croirait au danger. Une sorte de jouissance vague me balance ; et - me rappelant l'abîme du sommeil, vertige souterrain qu'interrompt la secousse périodique, rude comme une chute - je répète obscurément :
J'aime encore mieux monter que descendre. Ca ira bien - jusqu'au plafond. 

Mayday Mayday - Annie Lafleur




Les yeux brûlent encore
des cerveaux toujours sur les bois durs
aggrippés au noir minuscule
se ruent sans tête baissée
on les empoigne
on se les enfourne dans le cri
Mayday Mayday
échappé des galères.
Autour des fêtes surgissent
d’une maison parfois
d’une croix
traInée dans la gorge et par la mouche
la pluie le soleil et le vent
mais le plus terrifiant
à grands pas de cloutées
ni homme-sang ni solide
plus toxique.
_
Des putains au soleil
échappées des vitrines
la fièvre écrasée
en énigme fixe
un demi-cirque répète
Mayday Mayday
ces faces miraculeuses
éteignent leur bout blanc
une fois reconnues
leurs cuisses abiment le cuir
Inmitraillable.
_
La reconnaître de nuit
à plat ventre
Mayday
aussitôt portée
d’épaule en épaule
guerriers et vidanges
lancés dans les haies
Mayday
la lumière
ne fera plus demi-cercle
et les bouches ouvertes.
_
La connaître au matin
les brouillards dédaigneux
les yeux terminés pareils
la guerre se voit
badges barrées au feutre
ils écrivent : Mayday
migrantes armées
un sirop raide les terreurs les creux
les terreurs les raideurs le fer
enfilé demi-tour partout
les horlogers leurs cicatrices
autour c’est la vérité.
_
Sans vent sec et sèche
embarrée amputée peignée
recousue asphaltée
mure sans soif en cité
en solo en toi lavée au boyau.
C’est elle et Mayday
la relever par les aisselles
la brocher pour qu’elle ne tienne
la faire dans les champs
les corridors les puits
les tannières
c’est leur bracelet
leur chose volée
à eux.
Sa tête sur les rails
d’un jouet
une hirondelle diluée :
mais à eux.
La joie aussi
sous des lustres de bave.
_
La connaître à midi
petits plats incendiés
à peine sauvages
et d’un seul corps
l’horizon couvre les fleurs en image
la solitude loin derrière
pour les briser ensemble
terre jaillissante
épaisse fumée
Mayday Mayday Mayday.


première partie de trois de la performance - Direct from ici

Le récit d'il neige - Caroline Sagot Duvauroux


Il neige
Là-bas
Sur le récit
Est-ce la neige dessus ?

le récit d’il neige
le monde réduisait sous des nappes de langue il neigeait sur la mort d’un chien qui savait faire courrier de la clameur du monde on attendait dans la clameur la silhouette glissait du trait on frissonnait sous l’abstraction la ligne encore rompit le ciel j’allais te voir ma mie j’avais promis
La vie rompait encore l’endigue
l’apparition c’était du disparu d’averS l’imparfait c’est aussi bien futurR
du vieux non finito qui vient qui vient toujours pour que toujours nous soit contemporain cependant quE
toujours vient la mort et pourtanT
plus urgent que la mort on ne sait quoi vous arrête en chemin c’est qu’on viT
sur le chemin d’aller à mort on est distrait on viT
c’est qu’un vol vous attelle au passagE
c’est qu’on est en voyage à califourchon du trait qui se disjoint du traiT
ma grand-mère meurT d’aller à elle on me bifurque une ferveur c’est à la presque jonction d’asymptotE
sur presque je glisse à grand écarT mes talons crochent les sillons qui s’excluenT
j’écarve ! vivre ah c’est ça ! sûr qu’on tombe cul dans la fosse et ça pue les feuillées de nos motS
la main rattrape un trait s’y larde en repentirs furieuX un déclin du rouge rigole jusqu’à l’aissellE
ça chatouille on a ri mais ça fait mal aussi on lâche allez tant pis j’allais te voir ma mie j’avais promiS
on pleure dans les odeurs on n’a pas dit merci quel est mon rôle parmi les choses on se diT

un animal souffrait mourait en rue ça tue l’urgence restaient l’aguet la rue sans réserve tout avait servi tout servait l’ illisible j’avais perdu l’adresse j’étais l’idiot
Les mères se retiraient
c’est qu’on est en voyage on a vu quelque chose on voudrait s’adresseR
parle-t-on du voyage ou de l’eau c’est énigme en affût mais comment s’adresseR
c’est tout seul contempler compatir et le reflet, l’affûT
ne restent que des mots cheval ou poisson d’or qu’on vendrait pour poisson de meR
restent des mots c’est encore beau le corbeau sert pour le présagE
on s’écorche aux consonnes en refermant les poings sur égarer l’urgencE
il faut écrire mais plus crucial ah ! c’est écrire qui empêche d’écrire bon sang qu’est ce que ça se taiT
dessous l’oubli qui vous enneigE

car il neige
une douceur, il fallait s’en défaire
sortions du bois par bois qui lève dans l’élancement des cartilages sortions du balivage des idées nous courraient une chevelure un cosmos ne savaient plus se loger dans l’étroit mon Hourloupe est un chien j’ai dit mon dans sa vie houre ni le loup pas toi ne mangera dans les morts majuscules l’houre et le charivari pour moi tu ne reviendras pas
laps et relaps au retrait des mers
voici qu’on est au centre que gagne une importancE
voici sous l’urgence un géant minéral et sa marmite d’invectiveS on dit c’est paroleS
passe et vient le passé qui devient sur jadis et c’est tout ce qui passE
la vie la vielle sans mesure ravale des parois avant de venir entre clapoter puis fini c’est qu’il neigE
tout pése et la neige a saigné l’importance on s’enlisE
l’immense passé dessus la grande absence vous couvre d’un printemps prochain ça grouille ça germinE
et les tubifex vous lèchent le cul le ventre osera-t-on défier la terreuR
on ignorait la fièvre où vivaient ces vers turgescents du vieil effondremenT

300° ! mais il neige
des mères mouraient
le vent violait les promesses j’allais à l’aube sans les souliers jetés du cœur au pré tête n’entrait plus dans l’aube c’est incroyable tête roulait boulait de l’aube au marbre d’ouvrage et montait la pression d’impression n’écrasez pas la feuille un sortilège est au-dedans maman criait maman j’étais planquée fallait y aller midi bien sûr
nos mères souffraient
alors on préfère la littérature la grande morte à ce qui vient qui meurt on a peuR
on hérite de la terre qui tremble autour d’un chien qui meurtT
on ferme follement les yeux puis on les écarquille à tout fendre des nuits sur les mille chandelleS
on a perdu la conversation lumière est aux arrêts du mot manquent l’œil et la peau le soleil on ressassE

nous dessinions de petites matières aux entures
dans la neige on voyait devant le dos d’un trait ça suffisait dans la lumière la crue d’hiver j’alignais des brindilles ça bavardait dans ma cervelle avec une étrangère c’était ma mère
nous écrivions ce que celait le bourgeon nous mentions
toute la mémoire poussait le passé où maintenant bientôt passaient avec nos mères bientôt passaiT
ne que vivrait lÀ faire tout avaler par le trait lever la disparition d’un traiT
qu’on assiste l’absence main qui lève et cécité j’entends enfin des calendriers la poussièrE


j’entends la neige
Oh ta mère !
j’étais bloquée dans les congères mon chien mourait je lisais tu n’es jamais là où tu dis que tu es mais je suis où je dis maman j’entendais la clairière j’ai peur des échos d’où je dis patte cassée la neige et les petits tourments nos abandons les fêtes de volaille les fêtes l’eau la montagne toute ta vie t’en fais pas des châteaux de ta mort tu t’endors sur ce qu’on peut pour toi rien torchon coussin la paume ce qu’on peut rien ça va
Tu pleurais
les chétifs titubaient de vie la parole saoule crochait les piedS
la mort affranchissait les souvenirs domestiqueS
se fichait un morceau d’enfance près d’un membre esquinté l’enfance rappliquaiT
relaxée du témoignage des mères l’enfance forçait la langue baragouinait piaulait dedans le meuglemenT nous
n’étions pas sages et pardi pour que sagesse nous soit amante on pariaiT
n’étions pas philosophes mais amis d’amitié dans sa jeunessE
éprises oh là là nous le fûmes du frisson et d’un rhapsode errant
nous prétendions à la promesse en butant sur des fiancés nous fumées noires levées des ruptures de failleS
des fiançailleS
quel fut le nom de ta mèrE ?

j’étais au milieu d’un voyage il neigeait
Prétendions-nous à la promesse ?
j’étais chopée par un mystère maman est toute verte les rails se sont croisés se sont plantés dans la congère mêler ma mère avec les poils d’un âne mais c’est un médaillon Cadichon je m’étais revoltée dans la lumière m’étais fendu la joue dessus le fil de fer où étais-tu passée mais je saignais maman dans les congères
Ma mère m’attendait
la vie rompt pour surgiR la disparition recollait des mèreS
la jeune toute entière convoquait l’amante et la sœur auprès de la mère découpée par l’idéE
tu regardais la mère évacuer l’idée dans le tumulte des humeurs et puis se délivrer de toi je craignaiS
au tranchant de la tranche où le noir se fait blanc, dans le secret du monotypE
de son immense nom la mère se retiraiT

      tant de neige
les corbeaux m’ont crue morte ils ont mangé mes yeux le chemin s’enroulait comme au discours le fil je cherche l’autre bout du fil allo maman pas eu d’enfant ni connu de bestiaux que l’Hourloupe en le château de cartes mais c’est fini déjà les os le jardin le jasmin c’est la fin les beaux yeux noirs à l’entour pipistrelle sont entrés dans le sol et dans mon cerveau clos ce machin mes habits tombaient j’avais honte
dans un grammage une grammaire lunaire et réfractaire écanguait la ligne et le texte pour arquencieller nos deux faces d’orage et voilà tout un monde
on bradait désormais contre l’espace où tu, dans le refus des transcendancesS
on rapprochait des déchets de pallier dans du séparé de languE
le dessin durait l’impressioN on habitait loin des présenceS
on trafiquait du quotidien on suait du revers de surfacE on s’effrayaiT
on citait l’absence on convoquait l’envers la suéE
il fallait vivre au péril de l’espacE avant la fenaison récolter ses lointainS
dans l’humble perception c’était toute une histoirE
la présence illocalisable au large du passé du futur la pelure l’imagE le présent monotypait le tempS

on s’est tout dit le temps s’est décousu de langue dans tes yeux cerclés de houri tout aujourd’hui toute la terre avec sol et broussaille avec dessous le sol constatent ma présence intempestive et l’accepte La barque aux outils touche au vif et c’est quoi non pas ça pas grand-chose en cale et ça pèse une meute
puis le monde a fini de s’intéresser à moi
le temps fait du bruit dans l’huis d’engouffre au pas du jouR
on entend tandis qu’on retourne feuil et la précaution le temps dessous le feulementT
ça écharpe le monde ce feulement foule la plainte aux confinS
on dissimule désormais dans la précaution ça refoule la terre aux confinS
ce mort corps tout entier qui se secoue de nouS
sommes tombées de la levée du corps dans du définitif en morceaux c’est nous le bruit dans le trou d’à côtÉ

le jour aussi se perd
Au point du blanc du point du noir où s’écrit sans le jour sans la nuit l’attrait des mots pour le retrait des mers la petite bête infiniment gracieuse tournait encore les yeux et la tête bravo si loin déjà dans les parages
dans l’épaisseur du grand chiffon
alors l’oiseau ce n’est pas rien l’oiseau noir quand le trait disparaîT
puis on dit neige et tout s’en va dans disparaîtrE
une couleur un champ le monde s’est réduit tandis qu’on brûle puis le froid brûlE
mais c’est du vide pour que froid et feu gagnent ensemblE
quand les mères dédomestiquées mains d’amantes et les pieds ouvriers dérivent sur la pensée du mondE
dans l’apocalypse de nos écorchures la charogne déprivatisE
terre nous conjugue à l’imparfait de quiconque et de tout temps tes braS
repliés pour cacher ton visage ce sont des ailes qui me coupent les braS
l’oiseau n’en avait plus besoin dans la nasse du peintre et son nom dans mon bec les contienT

la neige ah c’est autre chose elle est tapie dans la feuillure
ensuite on se fourvoie dans la délicatesse d’un participe qui passe et repassera seul au bois joli cet été
il neige sur encore en corbeau du rempart
l’espace outrepasse quand désormais franchiT
donne le là ! dessine ! pendant que le mot charge aussi comme un trait par un trait le dangeR
le trait blanc l’a noir là ! pas de transparence au paradoxe, un foulagE
si tu presses le mot fait son enfant dans le doS
c’est dedans par affront d’opaque que le monotype livre et réfute ses évidenceS
fin du réciT

           il neige sur le commencement
le temps des mères finit avant les mères quand on n’a pour enfant que l’enfancE
Le genou se brise et voilà qu’il devient sœurette pourquoi ce genou rompt-il encore la jambe s’il ne plie plus ? et ces cuisses nues sur ma tête ma fille range-les nous ne sommes pas les derniers à parler les âges sont confus les états se bousculent y a qu’à voir les dessins ! merci qui ? merci mon chien
les filles n’ont pas de passé où rêver de rentrer elles sont sorties c’est pour toujourS
planquent l’attaque pour tenir jusqu’à la finalE
et faire la vague encore et chuter de finale petit bateau maman les jambes et s’il n’en avait paS
planquent l’alerte dans l’alarme et l’attaque au rebours pour réfuter la loi du genrE
le muet infiltre l’arène prend le vent recule en lice pour l’élan de rompre l’attaque ET
laisser le champ libre à viens mon bel amant retourner le chant librE on respirE

il neige sur encore      il neige sur alors       puis il neige encore      alors neige comme il neige
on se figure l’éblouissement d’abstraction avant rouler dans ce qui restE qu’est ce qui restE ?
un livre avec de beaux dessins pour franchir ce qui restE une rusE ?
l’espoir fou que sauvera de honte, la reddition le livrE qu’est ce qui restE ?
tout ! ce qui reste s’était massé dans l’épaisseur du papier fiN touT ?
le reste et ça n’est pas du temps tenait au chant du papieR même le morT ?
même le mort le temps du port d’un bord à l’autre borD qu’est ce qui restE ?
un bricolage de langues vocatives et de dessins dans un grammagE mais dehorS ?
le charroi pour tombeau se dit l’ami, mais qu’une précaution musicale ébauche sur la glèbE avec nouS ?
jusqu’au monstre d’une chose pongouée qui se modèle et nous renoue pas se souvienT qu’est ce qui restE ?
glaise encore empoignéE chose à confieR ?

            je crois qu’il neige
seuil seul en deuil du paradoxe              mon dieu qu’il neige
On shoote une misère puis on y va s’il faut
raconter les chevaux l’un blanc l’un noir et que ce fut un soiR
deux femmes chevauchant, que l’une était âgéE
et dit se retournant je suis trop vieille femme pour être de ce tempS
reste encore un momenT
que l’autre la plus jeunE
la vit franchir le mur et tomba dans le jour et le mur sur son doS

Dire
icI
cieL
baS
j’imaginE
qu’il neige toI
sur le seuiL
où j’attendS
j’imaginE
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