Enthymésis - Arno Schmidt




3° jour
Nous a tous fallu plus de pas aujourd'hui ; trop violent le vent, trop froid. Vers la mi-journée, la couche de sable est devenue plus épaisse, et à plusieurs endroits j'ai ordonné à Mabsut de déployer le stade devant nous (ce qui évite une interruption toujours nuisible) naturellement, les pas ont encore diminué de longueur ; ai comparé avant avec Aemilianus : toutes réductions faites, il en a moins que d'habitude, lui aussi. Deinocrate est presque arrivé au même chiffre que moi, soit 196,34 stades, et après discussions nous sommes tombés d'accord tous les trois sur 195,82 +/- 0,41. Pour l'instant, nous avons donc en tout 623,13 +/- 1,04. - Quand je pense au nombre d'erreurs directement imputables à notre méthode de travail - ô grands dieux ! Sommes-nous bien sûrs de ne pas nous écarter de la direction nord-sud ? Et quand nous procédons aux déductions imposées imposées par le relief, notre estimation de la distance à vol d'oiseau est-elle correcte ? Et nos pas : ont-ils la bonne longueur ? Le deuxième jour déjà nous avons dû faire un détour pour contourner un large front rocheux qui nous barrait la route (la route ! - alors que nous avançons comme les nuages dans l'azur : pas de chemin devant nous ; derrière, le vent efface toute trace . - J'aurais plutôt dû parler de > direction < ; ce qui prouve une nouvelle fois qu'on est toujours trop paresseux pour penser correctement. Remplacer > on < et > toujours < par > je < et > déjà < ) -
Tard le soir. Froid. Grosses étoiles qui charbonnent ( malicieuses comme des yeux ; bâillent ; clignent. Toute la nuit ). Mabsut contourna le foyer d'où s'échappaient de grosses bouffées de fumée et vint me masser les jambes - oui, lui en personne. Je suis le seul à savoir sa langue ; de temps en temps il surgit on ne sait d'où et, pour autant que sa dignité de chef de caravane le permet, laisse tomber une ou deux sentences, puis rabat les pans de son ample vêtement et replonge dans l'obscurité. Aujourd'hui il s'est tu. Bien.

Arno Schmidt - Enthymésis - 1949
Traduction Claude Riehl - In Léviathan - Christian Bourgois éditeur - 1998 - pp 85-86

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