Le Buffre - Caroline Sagot Duvauroux







Juillet 2007

Il y a quelque temps, avant du moins. Ils sont venus couper le frêne chez Véronique. C'était très difficile. Un peu tard et difficile. Quand ils ont porté le dernier coup ne fut pas grâce mais tumulte. Le bout de tronc a dégobillé le tumulte. C'était comme la guerre ou Johnny got is gun. On avait honte et peur. Je me suis demandé d'écrire. Je suis le bâtard ou le simple qui demande une fable.

Il y a

Saleté de déroute à rouler jusqu'où ? La caillasse, soit, le sec et la boue mais jusqu'où ? Chance encore, l'espoir zinzinule : jusqu'où. On aurait pu dire la caillasse, soit, le sec et la boue. Mal aux pieds. Mais ça pousse au caillou et puis le marigot, pousser les jambes. C'est si doux la vase douce autour des mollets voudrais rester.

Quelques temps

L'eau déferle. Le frêne vomit son eau. Le corps coule son eau blanche d'écume plaintive. L'eau porte plainte. Toutes ces eaux je suis allongée. Je pisse longuement. La chaleur me revient d'un jour de jour. L'odeur entête. Tout est mouillé. Drap blanc. Nous partirons demain vers d'autres survivances. D'autres causses et le peu de dolines. Secs à nouveau dans le sec. Jusque-là nous avons été jusque-là vomir l'urine d'un frêne pleureur. La rendre aux divers deuils, aux divers seuils. Saler les prés du bord des mères. Important. Mourir un peu. Important. Sûr et certain. Son départ chacun. On a fait. L'eau s'est retirée du corps par l'entaille du frêne et des mères. L'entaille très femelle a pissé l'eau du frêne dans les draps blancs des lavandières. On n'a pas pu s'empêcher pas voulu. On n'est rien que rien. Sans la honte. On est un ver luisant mâle. Sans la loupiote . La honte. On est bien. on a très mal on est bien. C'est mieux. Tout en bas. A plat. Ventre ou dos. Accroupion. Possible. On attend que le ru d'urine tourne autour du pied, gagne l'eau du frêne et qu'aujourd'hui perde les eaux. Tourne sa petite histoire dans l'histoire des eaux. Après deux verres tout sera doux les gens les bêtes. On dira la bonté partout. Ou bonté. Tout court. Facile. Bonté. On est tellement foutu qu'on peut plus dire foutu. Les eaux d'en haut les eaux d'en bas. On est fragile. De la brindille emportée par un filet d'urine. Demain peut-être verra des femmes magnifiques emportées dans une aventure de lavande. Mais on n'en sait rien. On ne peut pas prévoir d'autant qu'on ne sait rien des aventures de lavande. Ni des femmes magnifiques. On connaît des hommes comme soi. Déroutées du magnifique. On n(est pas mal au sol mais il faut être seul. On n'est pas mal du tout dégrossi de gloire et d'espoir. Dans la misère. Demain.

On n'est plus là On est loin Plus loin que là c'est rien

Les cuisses sont un peu fades. Crues.

Il y a quelque temps

On va aimer quelqu'un demain. Mais on n'en sait rien. Une lavandière peut-être. En chemise de lin. Avec de l'autrefois plein les mains du jour ci-devant. Le mors les dents. Demain peut-être. L'enfant dans le dos. Demain, jamais ! On vivra une aventure de lavande sur le gros dos d'un survivant. Un causse. Peut-être qu'on verra  de l'univers tout autour de soi pourtant cassé en deux le pauvre soi par fauciller des touffes bleues. Peut-être qu'on s'en foutra total des essences et fleurs de Bach mais de la musique sérielle des abeilles non. Ni de l'odeur ni du bleu ni des cuisses offertes au rien qu'il y a ni même de la culotte qu'on voit entre les jambes reposées sur le dos du crapaud d'avant les avavants. Peut-être qu'on est un jeune homme glabre qui se fait passer pour une fille et qui vit là troublé. Comment savoir ce qui se passe. Peut-être qu'on est heureux après pisser au lit tous les cadavres du monde de s'essayer à la serpette près d'une lavandière aux mains ci-devantes. Peut-être qu'on est heureux que la ronçaille vous tatoue au mollet la croix des Cévennes mais sans l'apartheid, sans les banques mondiales. Deux herbes sèches trempées de ton encre, tu en avais donc de cette encre où toutes ont un jour surpris la honte avant l'amour. Peut-être qu'on est une femme après tout. Peut-être qu'on sera content demain sur un mont chauve entre vautour et lavande.

On est là-bas voilà ce qu'on voit.


11 juillet 2007, 8 heures, on rase la Picharlerie. On, c'est le propriétaire avec l'assentiment du préfet. La Picharlerie est un lieu-dit abandonné depuis soixante ans. Des histoires d'héritage. De l'indivise division. Au ban donné.
Ban prend. Abrite depuis cinq ans une poignée d'utopistes marginaux. Des histoires de survie. De communauté. Des ban-dits. La Picharlerie c'est le symbole de la résistance cévennole. L'école du maquis. 1942 1943, refuge pour les réfractaires. 1944 on lance l'assaut. On, c'est les forces alliées des nazis et du régime en place. 11 juillet 2007, 8 heures : le bastion est encerclé. 200 agents de la force publique. A l'intérieur, un occupant fait ses malles. Un homme. Le bastion est un hameau. Le bulldozer rase le hameau. Le bulldozer est protégé par l'ordre public. Les derniers occupants, les illégitimes, se sont envolés dans le danger ordinaire des pauvres et des insoumis. Sans protection sociale. S'étaient réfugiés en mal d'utopie et de gîte. Pour pas encombrer les quais de Seine. Entre vautours et lavande. Quelques hurluberlus.
Bon.
C'est légitime alors on légitime. La violence guerrière est entrée dans l'ordinaire de la vie d'un pays en paix. En désertification.
Bon.
C'est loin, c'est petit. C'est dans la lourde survivance des Cévennes. On a d'autres chats à fouetter. Plus urgents plus gras plus démocratiques. Que quoi ? Que la résistance à l'ordre insupportable de la propriété. Que le talent de résistance du genre humain. Que le logement que la réflexion. Que le respect des choses dont les biens. Que la bataille de vivre. Que le commun des mortels. Que la communauté paradoxale des citoyens. Que l'irréductible.
Bon.
200 agents de la sécurité protègent des bouteurs contre la communauté des vivants d'avant. Ceux qui quand dire vivre ont dit vivre. 200 flics appointés par la communauté. Par les exclus qui ne payent pas moins d'impôts sur les tuiles d'un toit qui le leur appartient pas que les 60% de français non-imposables. On est en France en 2007. Un propriétaire craque devant des indésirables. Soit ! Question : pourquoi s'il rase son bien ?
On fait Sabra et Chatila au moins personne pro-fitera de la paix qu'on a dans la douce mort d'un pays de vieilles luttes et d'abri pour rebelles sanctifiés vingt ans après. Les bulldozers de l'histoire. Soit. Mais 200 agents de la sécurité avec chefs et sous-chefs viennent de protéger l'intromission de la violence obscure au cul des Cévennes.
Bon.
C'est loin c'est petit, on ne va pas faire le fromage. Les occupants sont expulsables c'est la loi, le propriétaire est propriétaire et les symboles ont fait leur temps oui c'est vrai. Anciens combattants anciens résistants y'a qu'à dire même affaire plus trop de survivants pour deux assos. Point. La démesure c'est un péché d'antiquité.
L'oubli de l'extermination fait partie de l'extermination, chante un oiseau de triste augure.
Ca va ça va restons sur terre. Le tour de France. Le long serpent populaire déroule ses anneaux mortifères de dollars parmi les homofoots. Sur les routes de France Cévennes non comprises. Pas de pot pour la Picharlerie.
Voilà du bon vrai populaire. Manne et poissons multipliés. Fromage en vue. Pâté croûte. Sauf que le peuple comme on ne dit plus s'énerve un peu. Sauf que frissonne un soupçon de dégoût aux naseaux de ce peuple. Sauf que ça sent même le dégoût furieux.
Tientiens.
Sauf que le joujou joli des financiers de la déroute se déglingue sérieux. Mord sa queue. Sauf que.
Nous avons la parole, parlons, sommes des hommes. Avant que la gangrène ne prenne au moignon de la Picharlerie ou de purin d'ortie le corps tout entier. Avec notre assentiment pour litière d'élus appointés par notre misère.
Le maître est parfois l'alibi de l'esclave murmure l'oiseau de triste augure.
Le plus vieux des Romains le plus vieil homme libre sait qu'il faut confier à la loi la mesure afin que la loi le protège de lui-même en son désespoir. Héraclite, Confucius, Al Halladj et jusqu'au dernier sage né de la dernière pluie savent qu'il faut éteindre la violence afin qu'elle n'éteigne la lumière du feu. Je l'ai déjà dit. Mais quand la violence est entrée légitimée par le droit constitutionnel de l'exception de violence. Je répète. Qui sera le feu ? Nous, le peuple au travail de terre et de parole ? Serons-nous le feu quand on aura bouché nos bouches sous prétexte de manque présumé d'oreille ? Quand il sera trop tard pour reconnaître une bavure une erreur ? Serons-nous le remède de feu de la gangrène. Comme depuis la nuit des temps, ces choses-là se passent.
Espérons.
Ne pas oublier qu'un siècle avant la Révolution française, des équipages pirates euro-américains, je l'ai déjà dit, en refus de détresse et d'esclavage, je répète, ont inventé pour devise : liberté égalité fraternité.
Bonne nouvelle :
on vient de repérer sous le désert du Darfour un gigantesque lac d'eau douce.
Il suffit de percer la croûte pour transfuser toute une région d'agonie.
Bonne nouvelle.
Trouvons un lac, nous, bûcherons, carabiniers, lavandiers ou poètes, sous le nouveau désert de la Picharlerie, pour irriguer la résistance des nés là ou des non-nez au cul de l'opinion publique. Soyons jeunes un peu. Ne laissons pas la paix virer désert. Transfusons-nous pourquoi pas. Bonne idée le tour de France. C'est facile. Suffit d'un ami sur la terre.





 

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