La nuit, avec son feu rouge au derrière - Arno Schmidt





La nuit, avec son feu rouge au derrière : la lune (seule manque la plaque d'immatriculation ; autrement, tout à fait réglementaire).
Les leviers de commande d'aiguillage, larbins empressés : Votre tout dévoué, Düring ! Des signaux brandissaient des moignons implorants et desséchés (des paumes de mains amputées de leurs doigts). Des pieuvres ocellées de regards fixes, rouges et verts, soulevaient leurs monstrueuses paupières de tôle anguleuse ; en contrebas, un ruban d'acier séparait inexorablement la gauche de la droite : Une petite gare.
Etrangement agitée, ce soir, la forêt. < Les brouillards traînent au ras du sol. Le gibier n'a vent de rien et ne voit rien venir. > Ou bien : < Les branches bruissent. La neige danse et tourbillonne. Pas un souffle d'air pourtant. > Ou mieux encore : < Des hurlements dans les grands bois. > (Donc, enfonçons-nous au plus profond des halliers et hurlons avec les loups !)
Une corneille décrit un long arc de cercle noir et bruissant dans le ciel sans écho. La lune apparaît et me considère, glaciale, par la fente de ses paupières argentées de nuages. Les buissons décharnés se serrent plus étroitement dans la terrifiante lueur blafarde. Je suis resté longtemps prisonnier des lacs ténus qui tendaient le jardin. L'éclat de la lune se fit plus incisif et plus emphatique : comme un prophète annonçant le prochain attroupement des astres. Le vent me coupait le visage. Au bout d'un moment, quelques flocons ; venus de l'est (puis à nouveau un froid banal). Quand je me dirigeai vers la maison, mes pas décrivirent une danse balourde et feutée, le chemin dense et gelé ne voulait pas lâcher mes semelles et je dus le secouer à grand fracas contre le portail engourdi de froid.


Arno Schmidt - In Scènes de la vie d'un faune
Traduction Jean-Claude Hémery, Martine Vallette
Editions Christian Bourgois - 1991 - pp 70/71

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