Promesse d'assassinat aux pitres du Palais-Bourbon - Georges Proteau



Quand à mon pays j'aurai tout donné, bras et cerveau, que les seigneurs du capital me rejetteront ainsi qu'un vieux citron ridé dont ils auraient exprimé tout le jus, je ne me tuerai point.
Lorsque ma main débile ne pourra plus soulever le marteau ou conduire la plume rétive à mon inspiration décadente, que mes yeux brûlés par les acides et le feu de la houille ne pourront plus distinguer les traits de cuivre sur la tôle ou les caractères sur le papier, que mon cerveau liquéfié pour les patrons de la Sociale ne parviendra plus à mettre une pensée debout je retrouverai, dernière lueur d'une lampe prête à s'éteindre, un moment d'énergie et ne disparaîtrai pas avant de lancer une dernière imprécation vers cette marâtre qui me laisserait crever de faim si je n'avais un dernier mouvement de révolte.
Mais, pour que cette suprême imprécation ait toute la portée que j'attends d'elle, je l'introduirai dans le canon d'un revolver, la piquerai sur la pointe d'un stylet ou m'en servirai pour envelopper quelque explosif.
La coucher sur le papier avant de mourir serait bête et trop platonique. Elle exciterait tout au plus les sourires moqueurs de bourgeois sceptiques à la place des larmes de sang que doivent verser les dirigeants.
Me jeter dans la Seine ferait voter son élargissement par les misanthropes afin que tous les déshérités pussent trouver place dans son lit.
Je veux l'échafaud !
Que tous les Charcot et les Falret me signent le : Bon à doucher ! peu m'importe; j'irai jusqu'au bout.
Quand ma dernière croûte sera grignotée, que tout espoir sera disparu, j'attendrai les charlatans du pouvoir à la sortie du Palais-Bourbon.
Les balles de mon revolver sauront percer le tympan de ces sourds volontaires, l'acier de mon poignard trouver le chemin de leur cœur pétrifié, les éclats de mes bombes faire sauter autre chose que les bouchons du Champagne et les chairs molles de leurs catins !
L'on m'arrêtera puis, la comédie du jugement terminée, Deibler s'offrira le plaisir de faire rouler ma tête jusqu'aux pieds des soldats sauveurs de la société.
Après ???…
Les bourgeois m'auront évité une mauvaise corvée, car c'est très ennuyeux d'en finir soi-même avec la vie, et j'aurai donné un exemple qui, je l'espère, sera suivi.
Alors, quand les repus ne pourront plus mettre le nez dehors sans être exposés à la vengeance des suicidables par misère, l'on n'osera plus nier la question sociale ; et les bourgeois, afin de préserver leur propre vie, se décideront à faire en sorte que les travailleurs ne puissent plus mourir de faim !
Je n'aurai point perdu ma dernière journée. 

Georges Proteau
Les cent sonnets d'un fumiste : rimes brutales, joviales et sociales





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