MICHEL LEIRIS - Michel Leiris

Michel Leiris par Marc Trivier


Il y avait un temps où je dormais à l’ombre de ces caractères. Le vent les faisait se balancer gravement et je les croyais très hauts :
M, comme la mer qui s’étend jusqu’aux montagnes marmoréennes de la mort, de minuit à midi ;
I, comme les idées, itinéraire d’Icare, l’irréel qui s’imite; I, comme les ides de Mars fatales à l’imperator ; I, I, I, I, I, comme un rire en forme de chiffre 1, figure primordiale tirée de l’abîme de M.
Quant à C, c’est le cadastre, le plan que fera respecter la douce hache qui précède l’aile, le CHEL qui sonne comme la période préhistorique chelléenne, le CHEL mou (contraction de cheptel), qui commence comme la chute – ou le chut qui impose silence – après la mie qui est le coeur du pain pour parachever le mot
MICHEL
qui, si je lui tranche l’L, devient le nom maintenant trivial de ces petits pains en forme de sexe féminin, qui figuraient autrefois dans les cérémonies de certains cultes érotiques.
Et je trouve ce premier mot grotesque.
MICHEL,
c’est un nom d’homme gras, aux joues lourdes. C’est le nom d’un buveur de bière qui tient sur ses genoux et tripote à pleines mains de grosses commères de kermesses flamandes. C’est un nom de capon, un nom mou, sans consonne dure, sans rien qui roule ou qui se déclenche comme une volée de pierres.
MICHEL
quel beau portrait de roi gâteux ou ladre ! Pour sceptre légume à la main, ou bien un cierge obscène ! Mais chut ! voici qu’une dalle se lève, juste sous les pieds de notre roi. Le trône se fend comme une chaise percée, le roi tombe les quatre fers en l’air et pète comme le roi Dagobert, la dalle se soulève, elle monte... Puisse-t-elle à jamais écraser cet idiot à couronne ! Non, elle ne l’écrase pas, mais, un par un , six spectres sont sortis de la fosse, six spectres et je les vois se ranger devant moi.
Un L comme le mot lourd et comme le mot léger. Il y a long et large. Il y a le mot lueur aussi, et le mot larme. Lumière livide et légitime orgueil. Lame de l’épée des nues. Limite de ma langue. Luxe et l’âme de ma loi. Mais c’est un leurre liquide, une luxure encore, une lâcheté. Commence, lettre, le mot plus dur : LEIRIS, qui est la carapace dans laquelle j’enferme mon orgueil, le château-fort et l’armure étincelante derrière lesquelles je masque ma faiblesse ; éclate comme un cri de trompette, ô mon nom ! pour effondrer les murs méchants.
A coups de pierres, à coups de pierre ! Je me défendrai à coups de pierre. Mes mots ce sont les pierres, triste balistique de ma voix !
Mais il y a un E aussi, 2 I, un S, un R...
Un E, c’est le seul oeuf, le noeud qui me retient au monde, espoir de voir un jour un peu de neuf crever la coquille, la conque où je dépose ce que je sais, réceptacle ETERNEL, (ce mot contient trois E, mon nom n’en a que deux : où trouver le troisième ?), éternel comme épée.
Les I, ce sont deux fins piliers. En passant sur la langue, ils déposent une piste minérale. J’aime à goûter leur froidure. Ils forment comme un porche dans lequel s’engouffre l’R, et au pied du second d’entre eux dort le traître SERPENT, le reptile sournois et silencieux qui termine mon nom, celui qui chaque jour me damne.
Un beau nom, somme toute, LEIRIS, et qui contrebalance bien l’ordurier MICHEL. C’est un peu le pot de fer, tout près du pot de terre.
MICHEL, ce nom je voudrais le clouer au fronton d’un bordel. Ce nom courbe, ce nom veule ferait bien à la porte de l’antre des literies et des odeurs d’amour et de toilette. Mais l’autre nom, celui dans lequel je vois circuler les mineurs qui me déchirent, je voudrais en faire une fronde, une catapulte ou bien un édifice mort, mais vaste et rigide, un monument qui pourrait être l’aliment de ma fierté.
MICHEL LEIRIS.
Je suis bien avancé maintenant. Pourquoi cette signature ? Assez de ces lamentations grotesques.
Quant ce qui, le jour, s’appelle « fantôme », la nuit se personnalise, disais-je, mon nom s’inscrit sur le revers de mes paupières.

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