L'usure des chaussure - Nathalie Quintane





A quel moment puis-je dire d'une chaussure : «  elle est usée » ?
A quel degré d'usure, à quel stade de transformation de la chaussure, intervient le jugement : « elle est usée » ?
Quelles sont les circonstances qui m'amènent à repousser dans le temps la formulation de cette phrase : « elle est usée » ?
Les signes extérieurs de l'usure sont-ils semblable d'une chaussure à l'autre ? Sont-ils constants ?
Une botte en cuir s'use-t-elle de la même manière qu'une pantoufle en feutre ?
Toutes les semelles s'usent-elles plus vite que l'empeigne ?
Jusqu'à quel degré d'usure la marche est-elle possible ?
Une chaussure s'use-t-elle même quand je ne la porte pas ?
Une chaussure est-elle usée plus vite par la marche, ou par les intempéries ?
Y a-t-il un moment, au cours de son utilisation, où une chaussure s'use plus vite (par exemple, juste avant « la fin ») ?
Quel est le laps de temps, limité par deux états de la chaussure, au cours duquel les différents degrés d'usure qu'elle présente permettent d'énoncer : « elle est usée » ?
Puis-je connaître la limite entre l'usure et la destruction de la chaussure ?
Quand je porte sans cesse la même paire de chaussures, est-ce parce qu'elle me plaît, ou par désir de l'user (i.e. « d'en finir ») ?
Est-ce vraiment par souci d'en prolonger la durée que je prends soin de mes chaussures ?
Une chaussure est-elle usée quand je ne peux plus la porter, ou quand je ne veux plus la porter ?
La même chaussure, portée par moi, sera-t-elle pareillement usée aux pieds d'autrui ?
Lorsque je parle d'usure, cela concerne-t-il le cuir de la chaussure, matière dont elle est constituée, ou la chaussure entière ?
L'usure change-t-elle la nature de la marche ?
L'analyse de certains paramètres (qualité du cuir, forme du pied, façon de marcher, aire géographique, climat de la région dans laquelle je marche...) permettrait-elle de prévoir l'évolution de l'usure ?
Est-ce l'achat de la chaussure, ou son usage, qui détermine la possession ?
Une chaussure usée est-elle plus « mienne » qu'une chaussure neuve ?
Quelle signification a le fait que je puisse regretter, voire même pleurer, la perte d'une chaussure ?
L'usure est-elle de l' « humanité » ajoutée à de l'inanimé ?
L'usure comme processus a-t-elle plus d'intérêt que comme résultat ?

Nathalie Quintane – Chaussure – P.O.L -1997
in la poésie française contemporaine – pp. 334/335 – Le Cherche Midi

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