J'ai appris hier - Antonin Artaud



J’ai appris hier
(il faut croire que je retarde, ou peut-être n’est-ce qu’un faux bruit, l’un de ces sales ragots comme il s’en colporte entre évier et latrines à l’heure de la mise aux baquets des repas une fois de plus ingurgités),
j’ai appris hier
l’une des pratiques officielles les plus sensationnelles des écoles publiques américaines
et qui font sans doute que ce pays se croit à la tête du progrès.
Il paraît que parmi les examens ou épreuves que l’on fait subir à un enfant qui entre pour la première fois dans une école publique, aurait lieu l’épreuve dite de la liqueur séminale ou du sperme,
et qui consisterait à demander à cet enfant nouvel entrant un peu de son sperme afin de l’insérer dans un bocal
et de le tenir ainsi prêt à toutes les tentatives de fécondation artificielle qui pourraient ensuite avoir lieu.
Car de plus en plus les américains trouvent qu’ils manquent de bras et d’enfants,
c’est à dire non pas d’ouvriers
mais de soldats,
et ils veulent à toute force et par tous les moyens possible faire et fabriquer des soldats
en vue de toutes les guerres planétaires qui pourraient ensuite avoir lieu,
et qui seraient destinées à démontrer par les vertus écrasantes de la force
la surexcellence des produits américains,
et des fruits de la sueur américaine sur tous les champs de l’activité et du dynamisme possible de la force.
Parce qu’il faut produire,
il faut par tous les moyens de l’activité possibles remplacer la nature partout où elle peut-être remplacée,
il faut trouver à l’inertie humaine un champ majeur,
il faut que l’ouvrier est de quoi s’employer,
il faut que des champs d’activité nouvelle soient crées,
où ce sera le règne enfin de tous les faux produits fabriqués,
de tous les ignobles ersatz synthétiques
où la belle nature vraie n’a que faire,
et doit céder une fois pour toutes et honteusement la place à tous les triomphaux produits de remplacement
où le sperme de toutes les usines de fécondation artificielle
fera merveille
pour produire des armées et des cuirassés.
Plus de fruits, plus d’arbres, plus de légumes, plus de plantes pharmaceutiques ou non et par conséquent plus d’aliments,
mais des produits de synthèse à satiété,
dans des vapeurs,
dans des humeurs spéciales de l’atmosphère, sur des axes particuliers des atmosphères tirées de force et par synthèse aux résistances d’une nature qui de la guerre n’a jamais connu que la peur.
Et vive la guerre, n’est-ce pas ?
Car n’est-ce pas, ce faisant, la guerre que les Américains ont préparée et qu’il prépare ainsi pied à pied.
Pour défendre cet usinage insensé contre toutes les concurrences qui ne sauraient manquer de toutes parts de s’élever,
il faut des soldats, des armées, des avions, des cuirassés,
de là ce sperme
auquel il paraîtrait que les gouvernements de l’Amérique auraient eu le culot de penser.
Car nous avons plus d’un ennemi
et qui nous guette, mon fils,
nous, les capitalistes-nés,
et parmi ces ennemis
la Russie de Staline
qui ne manque pas non plus de bras armés.
Tout cela est très bien,
mais je ne savais pas les Américains un peuple si guerrier.
Pour se battre il faut recevoir des coups
et j’ai vu peut-être beaucoup d’Américains à la guerre
mais ils avaient toujours devant eux d’incommensurables armées de tanks, d’avions, de cuirassés
qui leur servaient de boucliers.
J’ai vu beaucoup se battrent des machines mais je n’ai vu qu’à l’infini
derrière
les hommes qui les conduisaient.
En face du peuple qui fait manger à ses chevaux, à ses bœufs et à ses ânes les dernières tonnes de morphine vraie qui peuvent lui rester pour la remplacer par des ersatz de fumée,
j’aime mieux le peuple qui mange à même la terre le délire d’où il est né,
je parle des Tarahumaras
mangeant le Peyotl à même le sol
pendant qu’il naît,
et qui tue le soleil pour installer le royaume de la nuit noire,
et qui crève la croix afin que les espaces de l’espace ne puissent plus jamais se rencontrer ni se croiser. C’est ainsi que vous allez entendre la danse du TUTUGURI 

Novembre 1947

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