Il est tard, il est tard - Brigitte Fontaine


Jim Jarmusch, Coffee and Cigarettes - Tom Waits & Iggy Pop


Il est tard, il est tard : toujours cette phrase qui revient depuis si longtemps. Je regarde ces cigarettes qui ne sont pas encore fumées, ces cigarettes qui m'étreignent à l'intérieur avec leur venin réconfortant.
Mes doigts, ma gorge, mes poumons sont pleins de tabac. Je fume à suffoquer, sans arrêt, je fume à en crever, je fume à m'en relever la nuit, je fume en vain, mais je fume surtout pour m'aider à vivre quelques minutes. Lorsque j'absorbe goulûment la fumée de ma clope, c'est la vie que je cherche à puiser. Je ne me connais plus aucune mesure, je tousse, je flambe, c'est ma part du feu - le prix à payer pour la dose.

Ici, chez nous, cette loi au sujet des cigarettes dans les endroits publics est assassine et hypocrite. Dans quel funeste délire, dans quel effroi, la terre de la liberté est-elle devenue celle de la répression sous toutes ses formes ? Nous sommes au bord du fascisme. La vérole sur leur gueule.

La police ? Oui, oui, la police est là. Tout est en place. Des buissons de CRS brillent dans la nuit de Paris. On est entre de bonnes mains. Il y a une extraordinaire variété de flics : des soldats bleu foncé, des gendarmes mobiles, des brigadiers par couples, fusil au dos. Paris est une ville occupée.

Alors faut-il encore descendre dans la rue ? Bientôt des insurrections, des barricades, des mitraillettes sur les gamins bouclés serré ? En attendant, où faut-il donc aller habiter ? Je songe à m'installer au Danemark, une terre dans mon rêve jolie, humaine, fraîche et sans orages. Où l'on peut encore fumer, parait-il.

Vivre tout ce qui prolonge le feu : les regards chauds, le rouge, les bêtes, la musique et les cigarettes. Vive le feu. 

portrait de l'artiste en déshabillé de soie - Actes Sud

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