Les émigrants - Arno Schmidt



I

La lune précoce coulissait, rachitique tordue, au-dessus du remblai ; à nouveau repue de viande. Des buissons ornés d'un reste de pluie fraîche ; et peuv recom à fumer. Une grosse nuée putasse vautrait ses épaules grises derrière les bois couchants ; des macaronis et dedans la croûte râpée de gruyère. Deux bourrasques accoururent vers moi, avec des tendres crinières de poussière, corps jaunes transparents ; errèrent près de moi, gênées, troussèrent leur traîne en tremblant, firent une pirouette et eurent un soupir ravissant ( mais alors vint déjà la fourgonnette de Trempenau, et elles durent la suivre, entraînées, et cambrer à fond leurs dos de ménades : un en auto a toujours plus de chance ! )

Le soleil couché laissa encore longtemps derrière lui ce rouge de buvard dans lequel suintent par le haut des encres de nuit. Ensuite la pluie flua en diagonales autour d'arbres ossus ; le vent donnait des bourrades aux réfugiés tordus, dans les cheveux, sur les yeux, allez avance, et vite, les coqs-girouettes nasillaient sur les faîtes. Cité grise couverte d'ardoise ; pour la foutuième fois la ronde autour de Benefeld, toujours le grand tour. Le vent résonnait fort dans le ciel nu ; de la radio dévalait des mornes lucarnes : ils y étaient assis à la lueur d'une 25 watts, les faces rondes rageuses ; mes pieds glaiseux me poussaient dans le ruisselet du chemin, jusqu'à ce que mon coeur fût élimé comme mon manteau, purée, purée. Pas de dommages de guerre, pas d'indemnités de remeublement, pas de réévaluation des comptes-épargnes à l'Est ( maudits soient les ministres ! ). Les étoiles apparurent comme des voleurs en manteau de pluie dans les rampantes venelles de nuages. Mais en revanche trois hommes par chambre ; mais en revanche on réarme hé : quels sont ces veaux qui élisent leur boucher pour roi ! Le vent noir gesticulait comme un fou furieux, cognait et hurlait ; la branche suivante, il me la cingla à travers le front, siffla un comparse et cracha de la pluie : l'autre vint ioulant par-derrière, me souleva le chapeau et m'étrangla avec mon foulard. Mais en revanche les transferts de population ne marchent toujours pas ; dans n'importe quel métier, on est hors service à 65 ans ; mais l'homme d'Etat, Senelissimus, atteint sa pleine maturité à 75 ans seulement : de glace, totalement inhumain, grime, grigou, grincheux, grinçant. Me croisèrent trois hommes chauves-souris gris sous de longues capes voletantes, et déjà apparaissait le coin noir du toit paysan bas-saxon : personne hors les agriculteurs n'a le droit de parler des horreurs de la guerre : ces sempiternels contrôles, mon cher! Que  le Criwetz vous ! Une maigre chouette d'argent pend inerte dans un canevas de pins ; à l'étang : des bougres
Traduction Clad'arbres en guenilles de brume occupent le chemin, brandissant leurs bras noueux comme des massues. Dedans, la malédicité sur les tartines à la mélasse ; des murs lépreux, qui peut chauffer ce trou ; plonger dans le Belphégor de Wezel ( Dieu soit loué Beier n'était pas encore là ) ; c'est donc ça que nous faisons qu'on appelle vivre ( Et au-dehors la rixe du vent avait repris de plus belle. ) (...)

Arno Schmidt - Les émigrants - in Roses & Poireaux
Traduction Claude Riehl - p 99 - Editions Maurice Nadeau - 1994

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