Panaït Istrati – Préface à Adrien Zograffi (1932)




Après avoir eu foi dans toutes les démocraties, dans toutes les dictatures et dans toutes les sciences et après avoir été partout déçu, mon dernier espoir de justice sociale s’était fixé sur les arts et les artistes. Vu leur grand pouvoir sur les masses, je m’attendais à ce que surgissent dans les lettres des géants révoltés qui tous, dans la rue, se mettraient à la tête de la croisade contre notre civilisation bestiale, démasquant toutes les hypocrisies : démocratiques, dictatoriales, scientifiques, pacifistes ou moralisantes.
On a rien vu de tel, comme tu sais. L’art est une supercherie à l’égal de toutes les autres prétendues valeurs. J’ai moi-même fait de l’art, et pas mal réussi, je puis donc te le dire : encore une supercherie. Et l’artiste est semblable à l’homme d’Église ; il prêche le sublime, mais il entasse des louis tant qu’il peut, t’abandonne dans la gueule du loup et se retire pour grignoter son magot, parfaitement défendu par ces mêmes mitrailleuses qu’il te demande, à toi, à toi seul, de détruire.
Voilà ce que sont les arts et les artistes qui t’émeuvent. Des charlatans !
Aussi, quand, de leur retraite, ils t’exhortent à adhérer à ceci ou à cela, en versant des larmes sur ton sort, n’adhère plus à rien. Pas même à toutes ces « patries internationales » qui sont à la mode en ce siècle.
Patrie ? À bas toutes les patries, nationales ou internationales, avec leurs vieux ou leurs nouveaux maîtres – à bas toutes les patries qui font toujours tuer les uns pour faire vivre les autres. Refuse de crever pour qui que ce soit. Croise les bras ! Sabote tout ! Demeure lourd de toute ta masse. Dis à ces messieurs, quels qu’ils soient, d’aller, eux, se faire tuer pour toutes ces patries qu’ils inventent chaque siècle et qui se ressemblent toutes. Toi, homme nu, homme qui n’a que tes pauvres bras et ta pauvre tête, refuse-toi à tout : à leurs idées comme à leur technique ; à leurs arts comme à leur révolte confortable.
Et si l’envie te prend de crever quand même pour quelqu’un ou pour quelque chose, crève-toi pour une putain, pour un chien d’ami ou pour ta paresse. Vive l’homme qui n’adhère à rien !





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