[...] n’avoir jamais pu vivre, ni penser vivre, qu’en possédé [...] - Antonin Artaud




Günter Brus


Van Gogh n’est pas mort d’un état de délire propre,
mais d’avoir été corporellement le champ d’un problème autour duquel, depuis les origines, se débat l’esprit inique de cette humanité,
celui de la prédominance de la chair sur l’esprit, ou du corps sur la chair, ou de l’esprit sur l’un et l’autre,
Et où est dans ce délire la place du moi humain ?
Van Gogh chercha le sien pendant toute sa vie, avec une énergie et une détermination étranges.
Et il ne s’est pas suicidé dans un coup de folie, dans la transe de n’y pas parvenir,
mais au contraire il venait d’y parvenir et de découvrir ce qu’il était et qui il était, lorsque la conscience générale de la société, pour le punir de s’être arraché à elle,
le suicida.
Et cela se passa avec Van Gogh comme cela se passe toujours d’habitude, à l’occasion d’une partouse, d’une messe, d’une absoute, ou de tel autre rite de consécration, de possession, de succussion ou d’incubation.
Elle s’introduisit donc dans son corps.
cette société
absoute,
consacrée,
sanctifiée
et possédée,
effaça en lui la conscience surnaturelle qu’il venait de prendre, et telle une inondation de corbeaux noirs dans les fibres de son arbre interne,
le submergea d’un dernier ressaut,
et, prenant sa place,
le tua.
Car c’est la logique anatomique de l’homme moderne, de n’avoir jamais pu vivre, ni penser vivre, qu’en possédé.


Vincent van Gogh / Le suicidé de la société

Antonin Artaud

 

 

 


Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire